L’incertitude à l’ère de la prospérité économique
Comme à chaque fin d’année, les médias ont dressé toutes sortes de bilans. On en parlera dans cette nouvelle revue de presse de la semaine écoulée. Elle propose aussi un regard sur la position et la cote de popularité du Premier ministre Andrej Babiš et rappelle enfin l’héritage de l’écrivain Karel Čapek, dont on commémore cette semaine le 80e anniversaire de la mort.
« Tout en ayant des causes multiples, ces angoisses ont un dénominateur commun : la peur de l’avenir. Une partie de la société qui est souvent péjorativement désignée comme la ‘kavárna’, une étiquette destinée aux intellectuels des grandes villes, craint pour le sort de la démocratie libérale et pour l’orientation prooccidentale de la Tchéquie. De l’autre côté du spectre, on trouve des gens qui ne partagent pas de telles questions, car ils sont préoccupés par le sentiment que cette société prospère ne les apprécie pas à leur juste valeur, le montant de leur salaire n’étant pas suffisant pour couvrir leurs besoins. »
Un groupe assez important souffrirait d’une angoisse spécifique qui semble envahir l’ensemble du monde occidental. Il s’agit de gens qui, économiquement parlant, se portent plutôt bien mais qui craignent que cela ne dure pas, car le monde n’a de cesse de se transformer, la mondialisation apportant des défis toujours nouveaux. D’autant plus qu’il existe de nombreux phénomènes qui ont de quoi les inquiéter comme le réchauffement climatique, le Brexit, la montée en puissance des nationalismes et l’émergence de partis et de politiciens populistes, ou encore les innovations technologiques et scientifiques. L’auteur du texte publié sur le site novinky.cz écrit à ce sujet :
« Dans le contexte tchèque, tous ces défis peuvent être source d’angoisses, car la politique nationale n’est pas à même d’agir d’une manière rationnelle, presque toutes les tentatives de trouver des solutions et des consensus pour des visions sur l’avenir étant confrontés à des conflits ou à des approches populistes. Personne ne doute du fait que le ‘boom’ actuel de la Tchéquie ne soit lié aux conditions économiques extérieures. Or, l’incertitude qui règne au sein de la société tchèque à l’heure de la prospérité économique traduit le sentiment que la situation peut assez rapidement changer, tout comme après la crise financière de 2008. »
2018 : une année charnière pour la Tchéquie ?
Une analyse publiée dans l’hebdomadaire Ekonom se penche, elle aussi, sur les événements qui ont marqué la République tchèque en 2018 et sur certaines tendances à prévoir pour l’année prochaine. Rappelant d’abord la réélection du président Miloš Zeman et la formation d’un gouvernement de coalition composé du mouvement ANO et du Parti social-démocrate (ČSSD) et dirigé par le Premier ministre Andrej Babiš, avec le soutien du parti communiste, elle indique :
« Nul ne doute que l’année 2018 était une année charnière, mais pour l’heure on ignore encore dans quelle mesure. A partir de l’incertitude qui l’a marquée au début, il est désormais certain que la Tchéquie est dominée par une constellation politique peu commune, un puissant tandem formé par le président de la République et le chef de gouvernement, Andrej Babiš. D’un autre côté, l’opposition est émiettée, tandis que les communistes exercent pour la première fois depuis la chute de l’ancien régime une certaine influence sur la politique du gouvernement. A l’exception du Sénat, on voit donc s’établir aux plus hautes positions des forces dont une partie met en doute le système de la démocratie libérale et dénonce l’intégration européenne. Cette situation demeure très stable ce dont prouvent les sondages d’intentions de vote. »
D’après ce que l’on peut lire dans Ekonom, l’année prochaine mettra à l’épreuve Andrej Babiš en rapport avec l’évolution de l’affaire du dit Nid de cigognes, tout comme son mouvement ANO et le ČSSD. De même, ce sera une année de vérité pour l’ensemble de l’Europe en raison du Brexit et des élections, en mai prochain, au Parlement européen. Celles-ci, comme l’estime l’auteur du texte publié sur le site de l’hebdomadaire, « donneront aux électeurs tchèques une nouvelle occasion de manifester leur euroscepticisme nourri et cultivé depuis de longues années ». Et de conclure :
« Seule la proposition d’une meilleure alternative digne de confiance serait à même d’éliminer le goût de la société tchèque pour les tendances autoritaires, populistes et anti-européennes. Les démocrates d’opposition arriveront-ils, durant les douze mois à venir, à la formuler et à la présenter à la population ? »
La diplomatie tchèque a soutenu les dissidents et les militants étrangers
L’hebdomadaire Respekt a invité les membres de sa rédaction à choisir et à commenter les événements qui, pour eux, ont marqué l’actualité de cette année. La journaliste Andrea Procházková a retenu un événement passé presque inaperçu :« En ce mois de décembre, la diplomatie tchèque, avec à sa tête le ministre Tomáš Petříček a lancé une opération pour soutenir les dissidents et les militants persécutés dans le monde. Elle s’est inspirée du petit déjeuner partagé, il y a trente ans de cela, à l’ambassade de France à Prague, par le président français François Mitterrand et un groupe de dissidents tchécoslovaques. En mémoire de cet événement, le ministère des Affaires étrangères a organisé un petit déjeuner en présence de militants de Russie, de Biélorussie, du Vietnam et de Birmanie, établis en Tchéquie. Au même moment, de telles rencontres avaient lieu dans les locaux des ambassades tchèques en Russie, à Cuba ou en Moldavie. »
De l’avis de la journaliste, cet événement en apparence symbolique est important pour la politique étrangère de la République tchèque, car il témoigne d’un retour possible à l’agenda des droits de l’Homme qui étaient chers à l’ancien président Václav Havel et qui étaient, ces derniers temps, relativement absents dans la diplomatie tchèque.
La cote de popularité d’Andrej Babiš reste élevée
A en croire les résultats des sondages effectués par l’agence STEM, Andrej Babiš, ancien ministre des Finances et aujourd’hui Premier ministre, est un politicien tchèque dont la cote de popularité reste la plus élevée depuis l’an 2015. Et ce en dépit des difficultés et des affaires, en particulier celle du dit Nid de cigognes. Une situation qui rappelle celle des années 1990 et la position forte de l’ancien chef de gouvernement Václav Klaus qui demeurait très apprécié malgré les problèmes liés, entre autres, aux privatisations. Un constat dont fait part l’édition de ce jeudi du quotidien Hospodářské noviny :« Un des principaux piliers du pouvoir d’Andrej Babiš, c’est sa position forte auprès des électeurs, ainsi qu’au sein du mouvement ANO, prêt à accorder à son leader, à tout moment et dans chaque circonstance, un soutien inconditionnel. Un autre pilier, ce sont les moyens financiers dont dispose l’homme classé par le magazine Forbes comme le deuxième Tchèque le plus riche et qui lui permettent de mener des campagnes électorales plus coûteuses que les autres partis en lice. »
Le journal indique que, outre de nombreux succès, Babiš a essuyé également des échecs : à l’issue des récentes élections communales, le mouvement ANO a par exemple perdu les postes de maires dans les deux principales villes du pays, Prague et Brno.
Karel Čapek : un nom et une œuvre qui demeurent incontournables
Les médias ont réservé une place particulière cette semaine à Karel Čapek, l’écrivain auteur d’une vaste œuvre littéraire et théâtrale et dont on commémorait ce mardi le 80e anniversaire du décès. L’auteur d’une note mise en ligne sur le site echo24.cz remarque :« Tous ceux qui aiment Karel Čapek n’ont jamais cessé de regretter sa mort prématurée à l’âge de 48 ans. Mais il est certain que celle-ci l’a épargné des atrocités et des régimes sous lesquels il n’aurait pas pu exister et survivre. Le sort de son frère Josef, peintre et écrivain lui aussi, mort en 1945 dans un camp de concentration, en est une preuve éloquente. Chaque mort est triste, mais celle de gens comme Karel Čapek ne cessera jamais de nous toucher comme une injustice. »
L’hebdomadaire Reflex a écrit à propos de cet anniversaire :
« Karel Čapek était à la fois aimé et détesté, dénigré et célébré. Il a fait l’objet de critiques et d’admirations. Deux dictatures, national-socialiste et, en partie, celle du régime communiste, ont tout fait pour effacer son œuvre qui, précédemment, avait une grande notoriété. Mais en vain, car elle est connue et appréciée d’un large public même des dizaines d’années après la mort de l’écrivain. Le fait que des rues, des places et des prix littéraires portent son nom en dit d’ailleurs long. »