Le 21 août 1968, date de l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie : souvenirs des auditeurs
Le 21 août 1968, l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes du Pacte de Varsovie a démoli les espoirs d’un peuple de vivre dans une société libre. Depuis, 50 années se sont écoulées, et pour commémorer cet anniversaire, Radio Prague a invité ses auditeurs à raconter leurs souvenirs de cet événement tragique. Dans cette émission, nous avons le plaisir de vous présenter quelques extraits des lettres qui nous ont été adressées par nos auditeurs, en français mais aussi en d’autres langues, que nous avons traduites.
Commençons d’abord par un souvenir de notre auditeur français M. Thomas Bégué, qui a suivi avec attention depuis la France l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes soviétiques :
« J’étais arrivé en France en avril 1967, et je m’intéressais déjà à la Tchécoslovaquie. J’écoutais même la radio quand je pouvais. J’ai suivi les événements du Printemps de Prague depuis le 5 janvier au 21 août 1968 par la presse et la télévision, puis par les personnes qui s’y intéressaient. C’est également ainsi que j’ai pris connaissance de l’invasion russe. Ce fut pendant huit mois une période excitante pour la population tchèque en France et même pour le pays. Je pense qu’avec le Printemps de Prague, les Tchèques et les Slovaques se sont sentis plus forts et déterminés. Beaucoup de Tchèques se ruaient à la découverte des pays limitrophes sans prendre garde aux manœuvres prémonitoires des troupes du Pacte de Varsovie. Après l’invasion, les Tchèques et les Slovaques se sont résignés à la normalisation. Enfin du moins la plupart, puisque Jan Palach fait l’exception car il s’est immolé par le feu sur la place Venceslas. Le 16 février 1969, par défi et par déesespoir, ses compatriotes ont salué son geste par le recueillement. Ils ont dû patienter encore vingt ans avant le retour de la démocratie. »
Place ensuite aux souvenirs de M. Denis Ciaudo, de France, qui n’avait quant à lui que sept ans lors de l’invasion tchécoslovaque par les troupes du pacte de Varsovie. De ce fait, il n’a pas beaucoup de souvenirs réels de l’époque. Il a pourtant décrit en quelques mots son intérêt pour l’évolution de l’ancienne Tchécoslovaquie après l’occupation soviétique:
« Il se trouve que dès 1977, grâce à un poste de radio super performant, j’arrivais à capter Radio Prague en langue française de temps en temps quelques soirs et j’aimais écouter les propos qui y étaient tenus. J’ai d’ailleurs en tête quelques émissions qui y avaient été développées telles que la Charte 1977. Une autre émission parlait de la non convertibilité de la couronne tchèque en devises occidentales et je me souviens très bien de cette émission qui avait été diffusée en août 1988 et dans laquelle on disait: ‘Chaque année au mois d’août ont lieu en Tchécoslovaquie des manifestations antisocialistes’. En fait ces souvenirs sont un peu comme des coupures de journaux rassemblées ça est là dans un tiroir, mais ils me laissent toujours l’heureux sentiment de les avoir. En 1990 un livre français a été publié sur Alexander Dubček. Il s’appelait ‘Dubček, un homme pour toutes les saisons’. Je l’ai lu à l’époque et je me suis rendu dans la rue où habitait Dubček à Bratislava. »
L’auditeur français nous a également posé quelques questions dont une concernant le sort de Ludvík Svoboda. Elu en mars 1968 président de la Tchécoslovaquie, Ludvík Svoboda, l’un des « hommes du Printemps de Prague », est resté en fonction jusqu’en 1975, année de sa mort. En tant que président, il a été pendant plusieurs années le témoin et l’un des acteurs de la normalisation de la société tchécoslovaque, et son rôle historique est donc considéré comme pour le moins ambigu.Films et témoignages…
Nous n’avons toutefois par reçu uniquement des couriels et des lettres suite à l’annonce sur notre site et sur notre Facebook quant aux souvenirs de l’occupation de 1968. Mme Kristina Boudová a par exemple bien voulu partager avec nous un documentaire qu’elle a fait avec ses collègues au lycée et dans lequel des personnes lambda racontent leurs souvenirs. Un grand merci à elle, mas également à M. Franck Brudieux pour son film de fin d’études réalisé à l’Ecole supérieure de cinéma FAMU, qui témoigne également du Printemps de Prague.
Pour cette émission, nous avons également choisi quelques citations de lettres adressées aux autres rédactions de Radio Prague en langues étrangères. Ainsi, par exemple, M. Dieter Feltes d’Allemagne écrit :
« En août 1968, j’avais 21 ans et j’étais en service à la Bundeswehr. A l’instar des années précédentes, je passais mes vacances chez ma cousine en Styrie en Autriche. A l’époque, mon oncle avait une petite boulangerie dans laquelle il préparait du pain et toutes sortes de pâtisseries. Je lui ai demandé de le suivre un jour à la boulangerie pour voir qu’il faisait. Ce jour-là, il écoutait la radio. Tout à coup, le programme a été coupé et la radio a diffusé une nouvelle très étrange qui disait que les troupes russes avaient envahi la Tchécoslovaquie. Plus aucune information n’était diffusée. Effrayés, les gens réunis à la boulangerie se doutaient de ce que les Russes voulaient marcher jusqu’en Autriche. Dans la journée, il s’est avérée que, heureusement, il n’en n’a rien été. J’étais jeune à l’époque, voilà pourquoi je ne m’en occupais pas plus que ça ».
Les Russes allaient-ils vraiment entrer dans la Tchécoslovaquie ?
Il est intéressant de citer également les souvenirs d’un auditeur russe qui n’a pas apposé de signature à sa lettre adressée à Radio Prague et dont voici un extrait :
« Au printemps 1968, mon père a terminé sa troisième année à la Faculté de physique à Kiev. Il a alors décidé de partir avec des copains en Crimée où ils se sont trouvés un hébergement bon marché. Ils étaient jeunes et gais, la mer était douce, avec des jeunes filles tout autour. Le jour on se baignait, on bronzait, jouait au volley-ball, le soir on dansait et écoutait les Beatles. Le temps de nouvelles rencontres, d’aventures romantiques. Le mardi 20 août, la bande a décidé de changer de programme et de se rendre au village Radoujnoïe. Un feu de camp, un dîner... Mais là, les jeunes filles sont demeurées en marge de leurs intérêts. Tous les débats ont tourné autour de la question de savoir si les Russes allaient vraiment entrer dans la Tchécoslovaquie. Il n’y avait que ça. Les amis de papa sont nés dans les années 1960, ils ont lu les livres d’Aksïonof et de Salinger, écoutaient Vysocki et Okoudjava. Autrement dit, ils prônaient ‘le socialisme à visage humain’. Finalement, le charme et la beauté de la soirée estivale ont dissipé leurs soucis. »
La journée du 21 août 1968 est décrite par l’auditeur russe comme suit :
« Tout le monde s’est réveillé vers 5 heures et est allé se baigner. La radio de la tente voisine diffusait pendant des heures le même texte évoquant une aide fraternelle, des engagements internationaux. Autrement dit, l’intervention avait effectivement eu lieu. L’ambiance s’est brutalement détérioriée, tout le monde a compris que, concernant la liberté, on ne pouvait s’attendre à aucun progrès. On n’avait qu’à s’attendre à un avenir sombre. Mon père et ses amis ont été par la suite surpris par les réactions d’autres vacanciers, surtout celles des personnes d’un certain âge, car la plupart d’entre elles saluaient cette intervention. »
Les familles tchèques prises au dépurvu par l’invasion
Voici, enfin, un souvenir de Mme Petra Dobrovolny de Bern en Suisse :
« Au début d’août 1968, lorsque j’avais 16 ans, je suis partie avec mes parents et avec mon frère aîné du Luxembourg, où nous vivions, pour la Roumanie. C’était notre premier voyage de l’autre côté du Rideau de Fer. Nous avons voulu passer les vacances au bord de la Mer noire et rendre visite à un ami roumain de mon père. A l’époque, le climat était globalement bon : le rêve de liberté en Europe était proche et l’espoir de la paix et de la coopération entre l’Est et l’Ouest se faisait sentir notamment à cause de ce qui se passait en Tchécoslovaquie. Une ‘voie tierce’ semblait alors possible ».
C’est le 21 août 1968 que la famille de Mme Dobrovolny a emprunté le chemin de retour :
« Les Roumains nous ont dit que pendant la nuit, l’invasion en Tchécoslovaquie avait commencé. Ils avaient eux-mêmes peur que l’Armée soviétique attaque également la Roumanie car les Roumains ne participaient pas à l’invasion. Comme la frontière avec la Hongrie était fermée, il nous a fallu passer par la Yougoslavie. A la frontière avec l’Autriche, nous avons vu une longue file d’attente de voitures partant de Tchécoslovaquie. Beaucoup de familles tchécoslovaques ont été prises au dépourvu par l’invasion lorsqu’elles étaient en vacances. Mais à la différence de nous-mêmes, elles ne savaient pas où aller. Un homme qui avait une radio l’a mise sur sa voiture pour que tout le monde puisse écouter les dernières nouvelles. Nous étions tous très tristes, sachant que le rêve de liberté venait d’être pour les Tchécoslovaque brutalement brisé. »Merci à vous, chers amis, qui avez réagi à notre appel en nous envoyant vos souvenirs et observations en rappel de l’invasion de la Tchécoslovaquie survenue le 21 août 1968 et que nous avons eu le grand plaisir de citer dans cette émission. Merci aussi à tous ceux qui ont pensé à nous, ce mardi 21 août 2018, le jour du 50ème anniversaire de cet événement tragique.