Festival Arena : deux circassiens entre le public et les airs
Une traversée des berges de la Vltava sur un fil, un numéro mythique de l’homme-canon ou une performance vertigineuse dans un silo… Depuis jeudi dernier et jusqu’au dimanche 24 juin, les quais de Smíchov, dans le Ve arrondissement de Prague, accueillent le festival Arena, une fête du théâtre et du cirque lancée par le célèbre Théâtre des frères Forman. Rencontre avec deux grandes stars internationales qui sont à l’affiche tout au long du festival, le funambule suisse David Dimitri et l’acrobate français Boris Gibé.
« Enfant, j’étais entouré de mimes tchèques, copains de mon père »
Funambule renommé qui a évolué au sein des plus grands cirques du monde, tels que le Cirque du Soleil, le Big Apple Circus de New York ou le Cirque national suisse Knie, mais aussi acrobate, musicien, clown et homme-canon, le Suisse David Dimitri est arrivé à Prague pour y présenter son one-man-show « L’Homme Cirque ».Depuis onze ans, David Dimitri voyage avec son chapiteau et son spectacle « L’Homme Cirque » à travers le monde entier. Jeudi, le circassien de 55 ans, spécialiste de la danse sur un fil de fer, a joué son spectacle pour la première fois devant le public pragois.
Les cris d’admiration et les rires affolés des spectateurs qui se pressaient très nombreux sur les bancs du chapiteau ont accompagné tous ses numéros soigneusement préparés et exécutés avec beaucoup de finesse, témoignant du grand savoir-faire de l’artiste qui a découvert l’art du cirque il y a presque 50 ans :
« C’était à travers de mon père qui était clown ; pas un clown de cirque mais un clown de théâtre. Il a commencé son parcours avec Marcel Marceau, avant de développer son propre one man show. C’est lui qui nous a amenés au cirque, moi et mes frères et sœurs. Nous avons effectué une première tournée avec lui quand j’avais sept ans. Cette année au cirque m’a incroyablement marqué, à tel point que j’ai décidé de devenir artiste de cirque. »
Seul en scène, accompagné uniquement d’un cheval de bois, son meilleur ami, David Dimitri propose un spectacle charmant et plein d’humour aux confins du cirque traditionnel et du nouveau cirque. Avec un léger sourire sur les lèvres, il joue de l’accordéon et de la trompette, fait des saltos arrières sur son fil et rigole avec des enfants, avant de s’éjecter d’un canon et de quitter enfin le chapiteau par une fenêtre pour terminer son spectacle par une traversée des quais de la Vltava, 15 mètres au-dessus de la terre. Cet « homme cirque », personnage que l’artiste a inventé en 2001, n’essaie toutefois pas seulement de nous stupéfier et de nous faire rire, il nous raconte également une histoire, celle d’une vie et d’un art :
« C’est moi. Un artiste qui a voyagé à travers le monde en présentant ses techniques et ses sauts périlleux sur le fil et qui a décidé, un jour, de fonder son propre cirque. Dans ce cirque, il fait tout par lui-même, chaque numéro. Des fois, il présente même des numéros pour lesquels il faudrait être plus nombreux, comme par exemple la bascule, un numéro classique de cirque, réalisé d’habitude par au moins deux personnes. Il doit trouver de nouvelles astuces pour y parvenir.Je réinvente donc dans ce spectacle les numéros classiques de cirque. Je présente bien sûr les différentes techniques, mais L’Homme Cirque est plus que cela. Ce spectacle montre aussi ce qui se passe entre les grandes prestations de cirque. Dans le numéro de l’homme-canon, je me catapulte à travers le chapiteau. C’est bien sûr très spectaculaire. Mais je construis aussi tout une histoire autour de l’installation du canon. Il ne s’agit plus juste d’une séquence de numéros et de techniques comme on le connaît des spectacles traditionnels de cirque, mais d’un spectacle plus nouveau, plus original. »
Véritable touche-à-tout, à la fois directeur d’un cirque dont il est le seul artiste, mais aussi régisseur, constructeur de la plupart des engins qu’il utilise dans le spectacle, y compris le fameux canon, ou encore chauffeur du camion qui transporte son chapiteau, David Dimitri s’était déjà présenté en République tchèque, il y a trois ans de cela, dans le cadre du projet Plzeň, capitale européenne de la culture. A l’époque, il s’était fait remarquer notamment par son incroyable traversée de la place de la République, marchant sur une corde à 60 mètres au-dessus du sol. A la fin de notre entretien, le funambule, invité par les frères Forman, n’a pas caché la joie avec laquelle il s’est rendu cette fois-ci à Prague :
« Prague est une ville culturelle qui m’intéresse beaucoup. Venir avec mon projet est bien sûr un challenge, mais il y a encore un aspect plus important pour moi. Enfant, j’étais entouré de mimes tchèques qui étaient copains de mon père : Ctibor Turba, Ladislav Fialka et sa compagnie ou Richard Weber, un grand pantomime tchèque qui a passé la plupart de sa vie professionnelle chez nous en Suisse, à la Haute école de théâtre Dimitri. Je n’ai donc pas cette image cliché de Prague qu’ont peut-être des touristes, mais plutôt une image de la Tchéquie comme de la patrie de ces grands artistes, de ces grands créateurs qui étaient les pionniers de leur art. Ce souvenir est encore très profond : j’étais enfant, j’ai été assis à table avec mon père qui discutait avec ces grands artistes tchèques… C’était très enrichissant. »
« Une quête au-delà de la connaissance et du savoir »
Les spectateurs ont aussi pu découvrir pour la première fois dans la capitale tchèque la performance de Boris Gibé, L’Absolu. Radio Prague en était, et a rencontré le circassien français pour en savoir plus sur ce spectacle hors du commun.Sur le quai de Smíchov, une structure pour le moins étrange se dresse au milieu du village du festival Arena : l’immense silo en tôle de Boris Gibé attend patiemment le début du spectacle L’Absolu. A l’intérieur, l’obscurité, et deux escaliers en colimaçon dans lesquels s’installent les spectateurs, chacun assis sur un strapontin contre la barrière. Le circassien français raconte comment son équipe et lui ont conçu la structure :
« On est partis sur deux escaliers qui s’enchevêtrent l’un dans l’autre à l’infini. On s’est inspiré de Léonard de Vinci, qui en a conçu pour le château de Chambord et le Vatican. J’avais envie de parler du rapport qu’on peut avoir à la création, qui revient à se mettre face au vide, à une page blanche. C’est donc une structure qui met le spectateur face à ce vertige, face au vide. »
Perché sur son escalier, qui monte jusqu’à neuf mètres de haut, le spectateur n’est pas seulement face au vertige et confus par cette perte de repères, il est aussi directement face à l’artiste. Ici, plus de distinction de placement en fonction des revenus ou de la classe sociale, tout le monde est au premier rang indique Boris Gibé :
« C’est une structure qui place le spectateur dans une relation intime avec ce qu’il se passe sur scène. Je pense que tous se sentent concernés, ne serait-ce que par la posture qu’ils ont, et en même temps chaque spectateur est dans sa solitude parce qu’il n’a personne derrière lui. Il n’y a donc pas comme dans les spectacles habituels une masse de spectateurs, avec des gens tout autour qui le protègent et où il sait qu’il ne peut rien lui arriver parce qu’il fait partie d’une masse.»
Pendant le spectacle, l’artiste s’approche du spectateur, près, très près de lui. Boris Gibé joue avec les éléments : d’abord l’eau, puis la terre, le feu et l’air. Il danse avec eux, en y mêlant parfois des éléments de burlesque, d’absurde même. La peur de la noyade, de la chute, de la brûlure mais aussi de l’étouffement quand Boris Gibé fond sous une marée de sable noir, comme du goudron, tiennent le spectateur en haleine jusqu’à la fin. Une peur que justifie Boris Gibé :« L’idée est de créer de l’empathie en confrontant le spectateur à ces choses-là. Il est vrai que c’est assez extrême, le spectacle pousse le corps à l’extrême dans toutes ses capacités. »
C’est ainsi que l’artiste nous confronte à nos propres limites, et part à la quête de l’absolu qui lui est cher :
« C’est une quête au-delà de la connaissance et du savoir, plutôt une introspection. Elle passe au début par la perte de soi et pose la question de ce que c’est que de se perdre dans un trou noir et de l’accepter. Une fois qu’on est tombé dans cette glue, dans cette mer de goudron, il y a le désir de réapparaître à soi et au monde. »
Après un peu plus d’une heure de spectacle, le spectateur aussi revient au monde et retrouve la lumière du jour et l’agitation du festival, laissant le silo de nouveau vide, jusqu’à la prochaine représentation.
Pour plus d’informations sur les spectacles de David Dimitri et Boris Gibé, rendez-vous sur le site du festival Arena, disponible en tchèque et en anglais : http://www.festivalarena.cz/