Des marins tchèques au cœur de la mutinerie de Kotor (1918)

Les marins de la flotte austro-hongroise se révoltent sur la base navale de Kotor, photo: public domain

Le 1er février 1918, des marins de la flotte austro-hongroise se révoltent sur la base navale de Kotor (ou Catarro), dans l’actuel Monténégro. Cet événement, connu comme la mutinerie de Kotor, se produit alors que les armées de l’Empire austro-hongrois commencent à souffrir de l’effort de guerre et de ses conséquences. Parmi ces mutins, des Tchèques également, dont un des meneurs qui sera exécuté pour cette rébellion, František Rasch. Alors que la Première Guerre mondiale touche à sa fin, cette mutinerie peu connue, mais significative, témoigne d’un épuisement des forces des Puissances centrales. Et de la diffusion des idées de la Révolution d’octobre.

Les marins de la flotte austro-hongroise se révoltent sur la base navale de Kotor,  photo: public domain
Il est toujours paradoxal d’évoquer l’existence d’une force maritime en lien avec les pays tchèques, enclavés au cœur de l’Europe centrale. Pourtant, dans le cadre de l’Empire austro-hongrois dont la Bohême a fait partie pendant plusieurs siècles, ce paradoxe n’en est pas vraiment un. Ainsi les forces navales impériales, tout comme les armées de terre, sont à l’image de cet empire constitué d’une mosaïque de peuples : multinationales.

Quand il y a cent ans de cela éclate la mutinerie de Kotor, au bord de l’Adriatique, de nombreux Tchèques font ainsi partie des rebelles aux côtés de marins de toutes nationalités.

En cet hiver 1918, la lassitude et l’épuisement des soldats austro-hongrois se fait cruellement sentir. Les espoirs de voir le conflit trouver une issue victorieuse s’amenuisent, d’autant que la Triple entente est parvenue à mettre en place un blocus naval, empêchant de nombreuses denrées de parvenir en Autriche-Hongrie. Les restrictions alimentaires sont un coup dur et achèvent de saper le moral de la population, et surtout des soldats. Plus à l’Est, la révolution d’Octobre suscite des espoirs croissants.

La marine austro-hongrois au port de Pula,  photo: Library of Congress
Le blocus maritime entraîne des émeutes et des grèves dans les empires centraux, et les voix appelant à la fin de la guerre se font de plus en plus entendre. Dès le mois de janvier 1918, des ouvriers des chantiers navals à Trieste et Pula s’agitent. La révolte gronde au sein d’une armée épuisée par quatre années d’une guerre qui ne semble pas vouloir finir.

C’est dans cette ambiance délétère générale que vont se dérouler les événements dramatiques dans les bouches de Kotor, sur la côte occidentale du Monténégro. Les conditions de vie des marins y sont exécrables : tandis que ces derniers souffrent de la faim, les officiers font du trafic avec des denrées alimentaires et se remplissent les poches. C’est notamment cette injustice qui va conduire les marins à la révolte, celle-ci se transformant peu à peu en une contestation de l’hégémonie de Vienne sur ses peuples et à des revendications nationales.

Le 1er février 1918, les marins du croiseur Sankt Georg prennent en otage l’amiral Alexander Hansa. D’autres croiseurs se joignent à la révolte. Parmi les mutins, des Tchèques, particulièrement engagés, comme le note Jindřich Marek, de l’Institut d’histoire militaire :

Le croiseur Sankt Georg,  photo: public domain
« Quand éclate la révolte, en raison du mécontentement permanent des marins de toutes nationalités, les Tchèques y jouent un rôle très important. Pour preuve, lorsque trois jours après, elle est finalement étouffée, l’amiral Hansa et plusieurs autres officiers austro-hongrois déclarent que sans les Tchèques, la mutinerie aurait été matée dès le premier jour. »

Les noms de certains de ces mutins sont d’ailleurs entrés dans l’histoire des pays tchèques, comme symboles des revendications d’un peuple à l’autodétermination. Car en effet, très vite, les demandes des mutins ne concernent plus uniquement le ravitaillement : le mouvement s’organise, et réclame la fin de la guerre, la démobilisation, le désarmement, et surtout l’indépendance pour les peuples de l’Empire.

« Parmi ces Tchèques, il y a notamment le légendaire František Rasch. Il était originaire de Moravie, issu d’une famille tchéco-allemande. Il a été un des leaders de la révolte et a été d’ailleurs exécuté pour cela, comme de nombreux autres. Il y avait aussi un autre Tchèque important, Rudolf Kreibich, Pragois de naissance, qui était musicien dans l’orchestre du Sankt Georg. Il était une sorte de leader spirituel et organisateur des marins. Au début, certains marins de nationalités différentes, comme des Istriens, des Italiens ou des Croates, menaient la révolte en commettant des déprédations. Mais les marins tchèques, eux, voulaient que ce soit organisé et que la mutinerie ait un cadre rigoureux. »

František Rasch,  photo: public domain
C’est František Rasch qui se retrouve à la tête du comité central des marins, créé dans l’espoir de trouver un accord avec les officiers austro-hongrois, qui, eux organisent de leur côté leurs forces en vue d’écraser la révolte. František Rasch était originaire de Přerov en Moravie. De sensibilité sociale-démocrate, il est, comme beaucoup, séduit par les échos de la révolution d’Octobre en Russie. Le pouvoir issu de cette révolution a d’ailleurs signé en décembre un armistice avec les Puissances centrales. En outre, le président américain Woodrow Wilson, dans un discours retentissant du 8 janvier, a présenté ses « Quatorze points », un programme précis sur lequel baser le futur traité de paix pour mettre fin à la Première Guerre mondiale. Parmi les points évoqués, notamment, le droit des peuples à l’autodétermination. Tous les facteurs internes à l’Empire austro-hongrois, dont la désagrégation future se fait déjà sentir, combinés à la conjecture internationale, trouvent leur expression dans la révolte des marins des bouches de Kotor.

Ce sont au total les marins de 40 bateaux qui expriment ainsi leur mécontentement et demandent un changement. Mais deux jours après le début de la mutinerie, le 3 février, les forces navales restées fidèles au commandement austro-hongrois parviennent à reprendre la main.

800 marins sont débarqués sur le rivage. Quatre d’entre eux, dont František Rasch, sont exécutés le 11 février. Plus de 400 autres passent en cour martiale et ce n’est que l’armistice du 11 novembre 1918 qui mettra fin aux procédures judiciaires. Quelques rares marins parviendront à s’enfuir en Italie.

Aujourd’hui, la mémoire de František Rasch, leader des mutins, est encore entretenue à Přerov, comme le précise Jiří Lapáček, des Archives nationales de district de sa ville natale :

Le buste de František Rasch à Přerov,  photo: Palickap,  CC BY-SA 4.0
« Une place de la ville porte son nom. Sur cette place se trouve un buste de František Rasch depuis 1958. Des événements sont prévus à l’occasion du centenaire de sa mort, notamment une commémoration à côté de son buste. De même, une biographie de František Rasch va être publiée. C’est un peu une façon d’inaugurer cette année où nous commémorons le centenaire de la fondation de la Tchécoslovaquie. »

Evénement peu connu de la Première Guerre mondiale, la mutinerie de Kotor pourrait apparaître insignifiante au cœur d’un conflit aux soubresauts plus illustres. Pourtant, comme l’écrit l’historien Paul G. Halpern, dans un ouvrage collectif de 2003 consacré aux perspectives internationales des mutineries navales au XXe siècle, « la mutinerie de Kotor peut être décrite non pas comme le début de la fin de la monarchie, mais comme sa toute dernière victoire sur les forces sociales qui finiraient par la renverser ».

Auteurs: Anna Kubišta , Martina Bílá
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