137 morts, le nouveau bilan humain de l'invasion soviétique de 1968

Photo: Anton Kaimakov

Dans la nuit du 20 au 21 août 1968, les armées « fraternelles » du pacte de Varsovie envahissaient la Tchécoslovaquie et mettaient ainsi un terme à la tentative de libéralisation du régime connue sous le nom de Printemps de Prague. Dans un ouvrage qu’ils viennent de publier, Okupace 68, les historiens Prokop Tomek et Ivo Pejčoch proposent une réactualisation du bilan humain de cette invasion et de l’occupation soviétique de la Tchécoslovaquie qui s’en est suivie jusqu’en 1991.

Photo: Anton Kaimakov
Difficile pour les soldats soviétiques d’expliquer aux Pragois les raisons de leur présence, sans invitation et en chars, dans les rues de la ville. Il leur faudrait dire que Léonid Brejnev ne pouvait pas tolérer qu’Alexander Dubček et les réformateurs tchécoslovaques mènent à bien leur programme de « socialisme à visage humain ». Face à l’agression des pays « amis », les Tchécoslovaques choisissent la résistance passive et pacifique, mais cela n’empêche pas certaines échauffourées, et notamment le combat pour la Radio publique tchécoslovaque, le 21 août, durant lequel dix-sept Tchèques perdent la vie.

C’est ce bilan humain que les historiens Prokop Tomek et Ivo Pejčoch ont voulu documenter, en particulier en rassemblant une riche iconographie. Voilà ce qu’explique le premier au micro de Radio Prague, en marge de la présentation au public de l’ouvrage :

« La plupart des victimes étaient inconnues et on ne savait même pas à quoi elles ressemblaient. Avec ce livre, ces gens sont de retour dans l’histoire. Certains n’avaient même pas de nom, ou alors c’était seulement des noms et rien de plus. A présent, ils ont un visage et ils ont une histoire. »

Okupace 68 ne constitue donc pas seulement une étude statistique, même si l’étude propose une réévaluation du nombre de victimes. 137 personnes auraient péri dans le cadre de l’invasion, contre une estimation de 135 précédemment, et les victimes seraient au total environ 400 pour toute la période de l’occupation.

Prokop Tomek et Ivo Pejčoch,  photo: Anton Kaimakov
Le livre entend redonner chair et vie à ces personnes, mais il s’intéresse également aux morts du côté soviétique. Moscou a eu tendance à les présenter comme victimes d’assassinats. Propagande, ou en tout cas déformation des faits, selon Ivo Pejčoch :

« A part les victimes tchécoslovaques, nous avons également étudié le nombre de soldats morts du côté des forces d’invasion. Pour certains, nous avons pu faire des comparaisons avec les rapports de police. Je pense qu’il est désormais bien prouvé qu’aucun soldat soviétique n’a été assassiné par une prétendue ‘contre-révolution’, comme cela est affirmé jusqu’à aujourd’hui sur certains sites, et notamment à l’étranger. S’il y a eu des morts par arme à feu, ils l’ont été du fait de tirs amis ou bien d’accidents malheureux. »

Les deux historiens poursuivent des recherches dont certains résultats avaient fait l’objet d’un précédent livre, Le Livre noir de l’occupation soviétique, publié en 2015. Depuis lors, ils disent s’être appuyés sur des sources inédites, travaillant à partir des archives de la police et des services de santé. Ils reconnaissent cependant que leurs conclusions concernant les soldats soviétiques ne peuvent être que partielles, car l’accès aux archives en Russie, en particulier aux archives militaires, leur est quasiment impossible. Prokop Tomek :

Août 1968,  photo: ČT24
« Au début des années 1990, il semblait que les archives soviétiques, puis russes, seraient davantage ouvertes aux chercheurs étrangers. Mais jusqu’à présent, cette ouverture concerne essentiellement les temps plus anciens, au maximum la Seconde Guerre mondiale. Pour les événements plus récents, il est pratiquement exclu qu’un étranger puisse étudier un sujet aussi sensible. »

Des soldats soviétiques sont restés stationnés en Tchécoslovaquie pendant toute la période de la normalisation, après l’écrasement du Printemps de Prague, et l’occupation du pays n’a réellement pris fin qu’en 1991. Avec ces archives toujours inexplorées, les chercheurs ont encore du pain sur la planche pour faire la lumière sur ces événements douloureux de l’histoire contemporaine tchèque.