Les agents de Poutine

kundra_putinovi_agenti_slide.jpg
0:00
/
0:00

« Sortir du brouillard russe et prendre enfin au sérieux la défense de la liberté que nous avons reconquise en 1989 et que le Kremlin et ses services secrets cherchent de nouveau à saper. » Tel est l’objectif du livre que son auteur Ondřej Kundra a intitulé « Putinovi agenti » (Les agents de Poutine). Publié par les éditions BizBooks, le livre a été nominé pour le prix Magnesia Litera.

Comment les espions russes volent nos secrets

Journaliste d’enquête au magazine Respekt, Ondřej Kundra suit depuis plusieurs années avec une inquiétude croissante l’évolution des rapports entre la Russie et la République tchèque, et plus particulièrement la partie obscure de ces relations méconnue du grand public. En rédigeant son livre sous-titré « Comment les espions russes volent nos secrets », Ondřej Kundra a voulu attirer l’attention des lecteurs sur les innombrables activités des services secrets russes qui ont pour objectif de fragiliser le système démocratique tchèque. L’auteur s’explique :

« La Russie n’a jamais cessé de considérer l’Europe centrale comme une sphère d’influence. Dans les années 1990, les services secrets de la Russie du président Eltsine ont été désintégrés parce que personne ne savait alors quel serait leur avenir. Lors de leur stabilisation sous le président Poutine, il a été décidé de faire de la République tchèque un des pays importants pour les activités des services secrets russes. La décision a été prise pour plusieurs raisons, entre autres historique. C’est à l’ambassade soviétique à Prague qu’a été créée, dès les années 1960, la première base d’espions russes de tout le bloc de l’Est. A l’époque, leur objectif était d’agir contre les activités du mouvement de libéralisation politique du Printemps de Prague, ce à quoi ils sont parvenus avec un succès relatif. D’autres bases de ce genre ont ensuite été créés aussi dans les autres pays d’Europe centrale et de l’Est. Il s’agit donc bien d’une tradition historique très forte. Les agents russes ont ici toute une série de contacts dont ils peuvent profiter. »

La forteresse pragoise des services secrets russes

Ondřej Kundra | Photo: Luboš Vedral,  ČRo
Selon Ondřej Kundra, le centre des activités organisées ou soutenues par le Kremlin en République tchèque est donc l’ambassade de Russie, située dans le VIe arrondissement de Prague. L’auteur constate que le corps diplomatique russe en mission dans la capitale tchèque compte actuellement 125 membres et 164 membres de leurs familles. Un effectif auquel il convient d’ajouter les 32 employés des consulats russes de Karlovy Vary et de Brno.

Dans ce contexte, Ondřej Kundra cite un agent tchèque selon lequel « au moins 30 % des employés de l’ambassade travaillent pour les services secrets russes ou sont en contact avec ces services et agissent dans leur intérêt ». Les contacts des services de renseignement russes avec le milieu tchèque peuvent ainsi être riches et profonds. Inversement, les effectifs des services de renseignement tchèques - le BIS - sont plus limités et sont dans l’impossibilité de suivre tous les agents secrets russes qui utilisent la base tchèque aussi pour mener d’autres activités dans les pays de l’espace Schengen, par exemple en Allemagne.

Le rôle et le pouvoir des services de renseignement en Russie

Dans un autre chapitre, Ondřej Kundra évoque en détail la situation au Kremlin sous la présidence de Vladimir Poutine, ancien agent du KGB (Comité pour la Sécurité de l’Etat). Le président a réorganisé les services secrets russes, le SVR et d’autres organes de renseignement, pour en faire des instruments efficaces de sa politique tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières de la Fédération russe. L’auteur du livre évoque aussi les principales méthodes de réalisation de cette politique :

« En 2012, le chef de l’Etat-major de la Fédération russe Gerasimov a établi les nouvelles formes de la guerre hybride et désigné la propagande et la désinformation comme des méthodes-clés de cette guerre. Pour dominer un pays, vous n’êtes plus obligés d’envoyer des tanks comme en Tchécoslovaquie en 1968, il suffit d’influencer la société de ce pays, par exemple via des sites internet de désinformation. C’est ce à quoi nous avons assisté en Ukraine. Les différents sites de désinformation ont largement contribué à la désintégration de l’Ukraine qu’ils présentent aujourd’hui encore comme un Etat fasciste et ruiné. »

L’auteur cite de nombreux exemples des méthodes des agents russes en République tchèque ainsi que plus largement dans le contexte international. Les services secrets déploient une grande énergie et un large réseau d’agents et de collaborateurs civils pour recueillir des informations compromettantes notamment sur les personnes occupant de hautes fonctions dans l’appareil d’Etat et l’armée. Cela leur permet ensuite de manipuler ces personnes et de les obliger à collaborer de façon à s’infiltrer, par leur intermédiaire, dans l’appareil d’Etat. Parfois, ils vont même jusqu’à éliminer physiquement les personnes qu’ils considèrent comme dangereuses. Evidemment, ce genre de méthodes n’est pas l’apanage des services de renseignement russes. Ondřej Kundra en est conscient :

Photo illustrative: Mateusz Stachowski / FreeImages
« Je ne suis pas plus sourd qu’aveugle et je sais bien que chaque pays possède ses propres espions. C’est normal. Je ne suis pas un idéaliste. Je sais que les Américains ont fait suivre des hommes politiques allemands. Les Allemands ont protesté, mais il s’est avéré que les services secrets allemands avaient eux aussi suivi des hommes politiques américains. Tous ces pays, mêmes s’ils entretiennent des rapports amicaux, cherchent des informations les uns sur les autres. Il existe néanmoins une différence fondamentale : tandis que les services de renseignement américains, allemands ou ouest-européens ne cherchent pas à changer la nature du système démocratique dans les autres pays, la Russie poursuit justement cet objectif, et ce plus particulièrement dans des pays comme la République tchèque dont elle considère qu’ils appartiennent à sa sphère d’influence. Si je m’intéresse surtout à la Russie, c’est parce que je pense, précisément pour les raisons que je viens de citer, qu’elle menace grandement notre sécurité. »

L’intensification des activités des services secrets en Tchéquie

Vladimir Poutine,  photo: Archive de Пресс-сервис Администрация Президента РФ
Ondřej Kundra cite encore un membre du service de renseignement tchèque selon lequel les activités des espions russes en République tchèque se sont considérablement intensifiées ces dernières années. Selon lui, cette intensification est due aux intentions du président Poutine de renforcer la position de la Russie sur la scène internationale, de disloquer l’Union européenne et même d’annexer certains pays comme l’Ukraine. Que pouvons-nous donc faire pour endiguer cette offensive qui risque d’ébranler les fondements encore fragiles de la démocratie tchèque ? Ondřej Kundra répond :

« Une des choses que nous pouvons faire est de parler de tout cela et de ne pas le passer sous silence. Le thème de la propagande résonne de plus en plus fort dans la société tchèque, il s’introduit dans le débat public et pousse le gouvernement et les hommes politiques à s’en préoccuper plus intensément que jusqu’à présent. Il faut que cela soit un thème prioritaire non seulement pour nos services secrets, mais aussi pour les unités spécialisées de la police tchèque. Si le gouvernement consacrait davantage de moyens à ces services, cela permettrait d’augmenter leur capacité d’action. L’Estonie peut nous servir d’exemple. Elle a décidé d’augmenter ses effectifs en considérant que dévoiler la propagande était devenu une priorité pour la société estonienne. Et ces activités sont fructueuses. »

L’auteur du livre « Les agents de Poutine » souligne qu’il désire vivre dans une société ouverte, européenne et euro-atlantique qui, même si elle possède énormément de défauts, cherche à les éliminer ; une volonté qui est tout simplement impossible dans le système russe.