A Prague, deux diplomates russes expulsés sur fond de rumeur d’empoisonnement
L’histoire avait tous les atours d’un roman d’espionnage digne de la Guerre froide : fin avril, l’hebdomadaire Respekt faisait état d’un lien entre la mise sous protection policière de trois élus pragois et l’arrivée sur le territoire tchèque d’un diplomate russe avec de la ricine dans ses bagages. Vendredi, le Premier ministre Andrej Babiš a annoncé que cette affaire était le résultat d’une mystification et que Prague avait décidé d’expulser deux diplomates russes.
« Toute cette affaire est née d’une guerre intestine à l’ambassade de Russie, où un employé a envoyé aux services de renseignement tchèques (BIS) des informations délibérément inventées sur une attaque planifiée contre des politiciens tchèques. »
Vendredi, c’est dans le cadre d’un point presse inattendu qu’Andrej Babiš a annoncé la décision d’expulser deux diplomates russes, dont le départ, dimanche soir pour Moscou, a été confirmé par le ministre des Affaires étrangères Tomáš Petříček. Une « provocation » pour le Kremlin, qui donnera probablement lieu à une mesure réciproque selon le chef de la diplomatie tchèque.
Fin avril, l’hebdomadaire Respekt évoquait la présence d’un ressortissant russe qui, deux jours avant la fermeture des frontières en raison de la crise du coronavirus, était arrivé à Prague en utilisant un passeport diplomatique et avec de la ricine dans ses bagages. Le journaliste, Ondřej Kundra, s’appuyait sur plusieurs sources issues des services de renseignement tchèques. A la lumière des derniers développements, il a défendu la pertinence de son article :
« J’ai rapporté exactement ce qui s’était passé. Les services de renseignements et la police tchèques ont décidé de placer trois élus pragois sous protection policière après avoir estimé qu’il existait une menace réelle venant d’un diplomate russe, un des deux qui a d’ailleurs été expulsé. C’est une décision sans précédent depuis 1989. Une des raisons était justement que cet agent russe était soupçonné de transporter de la ricine. Nous avons rapporté tout cela très précisément et nous n’avons rien inventé. »
Si la menace a été prise au sérieux à Prague, les autorités tchèques n’ont toutefois jamais officiellement confirmé, ni infirmé, l’information parue dans la presse. Les trois élus pragois concernés ont provoqué ces derniers mois l’irritation du Kremlin pour plusieurs décisions prises dans leur circonscription.
Le maire de Prague, Zdeněk Hřib, a soutenu le changement de nom de la place à Prague où est située l'ambassade de Russie, pour lui donner celui du leader de l'opposition russe Boris Nemtsov, assassiné en 2015. Maire du VIe arrondissement de la capitale, Ondřej Kolář a pour sa part ordonné le déboulonnage d'une statue de l'époque communiste dédiée au maréchal Ivan Koniev. A la tête des troupes de l'Armée rouge qui ont libéré Prague des nazis en 1945, Ivan Koniev est aussi considéré comme un symbole de l'oppression soviétique par de nombreux Tchèques. Toutes ces affaires avaient suscité une montée de tension entre Prague et Moscou.
Suite à l’article de Respekt, les autorités russes avait vivement démenti les révélations présentées comme de la « désinformation ». L’information avait néanmoins suscité beaucoup d’interrogations en Tchéquie : si les services secrets russes sont régulièrement accusés de commettre des assassinats à l’étranger, en général contre des défecteurs, s’attaquer à des hommes politiques aurait été le signe d’une escalade des activités russes à l’étranger.
Quoi qu’il en soit, la version officielle de l’expulsion des deux diplomates russes fait également l’objet de spéculations, comme le relève Ondřej Kundra :
« Nous n’avons toujours pas toutes les informations à notre disposition. A en croire le gouvernement, l’un des deux diplomates en question voulait causer des ennuis à un collègue. Mais si c’était le cas, ce dernier serait une victime dans l’histoire, et donc pourquoi l’expulser lui aussi ? Le gouvernement ne nous donne pas toutes les informations. Il doit y avoir des raisons graves justifiant cette expulsion, l’une d’entre elles étant probablement que ces ‘diplomates’ sont en réalité des agents des services de renseignement russes. »
Toute cette affaire s’inscrit dans un contexte où le BIS met en garde depuis plusieurs années dans ses rapports contre l'influence grandissante de la Russie notamment dans le pays et la recrudescence de ses activités de renseignement sur le territoire tchèque.
Le Premier ministre tchèque a tenu à préciser que la décision d’expulser les deux diplomates russes avait été prise grâce aux résultats de l’enquête du BIS. Des services de renseignement tchèques que le président Miloš Zeman, qui ne cache pas ses sympathies pour la Russie, a récemment qualifiés de « totalement inutiles » et dont il refuse d’élever le directeur au rang de général. Interrogé par la presse tchèque sur l’expulsion des deux diplomates russes, le porte-parole du chef de l’Etat a donné une fin de non-recevoir : « pas de commentaire », a-t-il fait savoir vendredi.