Théâtre des Caraïbes : Marie-Thérèse Picard réveille à Prague « les monstres de l’enfance »
Enseignante, plasticienne et écrivaine, Marie-Thérèse Picard est originaire de Guyane. Elle vit et travaille en Guadeloupe, où elle a fondé un organisme humanitaire, le Centre d’Etude Polyvalent. Les enfants et leur vécu familial, les problèmes qu’ils peuvent rencontrer sont au cœur de son écriture théâtrale.
Marie-Thérèse Picard, comment avez-vous trouvé la lecture scénique de La Médaille ? Votre pièce a été jouée en tchèque, dans un café-théâtre pragois…
« J’ai été très émue. La lecture des comédiens était fantastique. Evidemment, au niveau du sens, je n’ai pas compris, car le tchèque est tellement différent du français. Il n’y a pas de repères dans la langue. En même temps, les comédiens ont su transmettre les émotions. Je suivais le texte et j’avais les mêmes émotions que lorsque le texte est lu en français. J’ai aussi apprécié la mise en scène, la musique et la projection sur l’écran en fond de scène. »
Une lecture scénique est différente d’un spectacle classique. Cela ressemble un peu à la représentation d’une pièce radiophonique.
« La lecture scénique peut être très forte, elle touche le public de la même façon. J’ai eu beaucoup de lectures scéniques de La Médaille, par exemple au Bénin où cela s’est très bien passé, ou encore en Pologne. Cela n’enlève rien au texte, à la sensibilité et la réceptivité des gens. »Vous arrive-t-il souvent de l’entendre dans des langues étrangères ?
« Non, ici à Prague, c’est pour la première fois ! En Pologne, la pièce a été lue en français. »
La Médaille, est-elle destinée plutôt aux enfants ou aux adultes ?
« Maman dit toujours que la violence, c’est pour ceux qui n’ont rien dans la tête ou rien dans le pantalon ! »
« On l’a catalogué ‘pièce pour enfants’. Mais moi, quand je l’ai écrite, j’ai pensé vraiment à un public adulte. Je m’adressais aux parents, pour qu’ils se sensibilisent, pour qu’ils pensent aux tâches qu’ils donnent à leurs enfants. Par exemple, dans ma pièce, la fille est complètement envahie par ses petites sœurs. Elle ne trouve pas d’espace d’expression, d’espace de vie et de jeu. Ti Pierre, quant à lui, il est complètement meurtri par le poids des disputes et de la violence familiale. Je voulais faire réfléchir les parents à leurs actes. »
Lorsque votre pièce a été mise en scène, elle a été jouée par de jeunes comédiens, comme à Prague, ou par des enfants ?
« Elle a été jouée par des adultes, car en France, il est difficile de faire jouer des enfants, il faut avoir toute sorte d’autorisations. On l’a présentée dans des écoles primaires et dans des collèges. Cela a été poignant, on a eu des témoignages d’enfants qui nous disaient : ‘Ma mère, c’est pareil, elle m’a projeté sur un fauteuil, j’ai eu mal ici…’ »Quelles sont les expériences qui nourrissent votre écriture ?
« Je m’occupe d’enfants en difficultés. Non seulement en difficultés scolaires, mais en difficultés de vie. Ti Pierre, il a existé, il a connu la violence dans sa famille. Jeannie incarne la désespérance de ne pas avoir du temps pour soi-même. Ce sont des enfants que j’ai connus. Leur histoire m’a envahie et j’ai eu besoin d’écrire pour m’en libérer. »
Pourquoi, en fait, avez-vous choisi l’écriture théâtrale pour vous exprimer ?
« Tcha, tcha, tcha, par le saint esprit et tous les saints du paradis, le monstre la bête le loup, au pipiri chantant, va perdre la vie… »
« J’ai un peu honte de le dire, mais c’est par facilité (rires) ! Je trouve qu’il est bien plus facile d’écrire des pièces de théâtre qu’un roman. J’ai essayé, mais le fait de décrire des paysages… Non. Tandis que le théâtre, ce sont des dialogues, ‘tac tac’, c’est rapide et cela me convient. »
En écrivant, vous inspirez-vous aussi de votre enfance ? Avez-vous eu une enfance idyllique ?
« Ah non, j’ai dû m’occuper de mon petit frère (rires). C’est pour cela sans doute que Jeannie m’a touchée. Quand je devais surveiller mon petit frère et que j’avais envie de jouer, je n’aimais pas… »Vous êtes aussi artiste plasticienne. C’est par-là que vous êtes arrivée à l’écriture ?
« Mon domaine, c’est vraiment la peinture. Comme j’ai beaucoup voyagé, j’ai arrêté pendant un moment et j’ai commencé à écrire. Il est plus facile de transporter un ordinateur que toute une panoplie de pinceaux… Surtout que je fais des masques en terre, donc il faut du matériel, un peu d’espace, des supports. »
Vous dirigez l’agence ETC Caraïbe. Son objectif est de diffuser des œuvres d’auteurs de la région. Pourriez-vous en dire plus sur son fonctionnement ?
« Oui, depuis peu, je suis la directrice d’ETC, ce qui signifie Ecriture théâtrale contemporaine en Caraïbe. Cette association regroupe plus de 400 auteurs. Le but est de faire connaître l’écriture caribéenne et de découvrir de nouveaux talents. Nous participons à des festivals internationaux et chaque année, nous lançons un concours, en collaboration avec SACD, l’association Beaumarchais. Pour l’année prochaine, nous préparons un concours des lycéens. »
Quelles sont, selon vous, les spécificités de la littérature caribéenne ?
« Dans cette littérature, les émotions sont au premier plan. Nous voulons les partager avec le public, les éveiller chez lui. En même temps, c’est une écriture où la nature est toujours présente : le vent, les couleurs, les odeurs. Il y a aussi un aspect du surnaturel. D’ailleurs, cet aspect-là, je l’ai retrouvé en Tchéquie. J’aime Prague, c’est une ville où l’on sent l’histoire. On se sent imprégné, cela remue à l’intérieur. »