Les noms tchèques au fil des siècles
« Chtěl bych se jmenovat Jan » - « Je voudrais m’appeler Jan », chantait le groupe d’Ostrava Buty dans les années 1990. Jan – Jean en français – qui peut aussi donner Honza, Honzík, Honzíček, Jenda, Jeníček, Jeník, Janík, Janíček, Janek ou encore Jéňa est un des prénoms masculins très classiques donnés par les parents tchèques à leurs enfants. Mais il y en a bien d’autres, comme nous allons le découvrir à travers un rapide voyage dans le temps.
Par ailleurs, ce nom de personne ou nom de baptême est aussi le nom principal de toute identité. Afin de distinguer les différentes personnes portant le même prénom, celui-ci est accompagné ou suivi de différents noms déterminants : nom d'origine géographique, de résidence, de filiation, de parentalité, de métier, ou surnom - souvent une singularité liée au physique ou au caractère, ou un sobriquet.
Progressivement cependant, les pays tchèques s’ouvrent aux influences étrangères, notamment en provenance de l’Allemagne voisine dont les habitants colonisent la Bohême et la Moravie. Les mariages des princes Prémyslides avec des princesses étrangères ont pour conséquence également l’importation de noms exotiques pour l’époque.
La diffusion de la religion chrétienne enrichit également la langue tchèque. Des prénoms d’origine latine comme Pavel - Paul, Silvestr ou Florián, juive comme Jakub– Jacques, Daniel ou Jan, et grecque comme Ondřej– André, Mikuláš– Nicolas, ou Petr– Pierre, se diffusent alors.
Le XIVe siècle, durant lequel l’Eglise assoit son influence sur la vie quotidienne de la population, est marqué par l’arrivée d’une deuxième vague de noms chrétiens et la mise à l’écart des noms slaves. Le culte des saints gagne en popularité à tel point que dans la seconde moitié du XVIe siècle ne sont donnés aux enfants pratiquement que des noms de martyrs. Jan, Petr, encore eux, mais aussi des noms comme Markéta– Marguerite, Kateřina– Catherine, ou Anna sont alors très fréquents dans les villes comme à la campagne, tandis que la noblesse se réserve des noms comme Žofie– Sophie, Eliška– Elise, Jakub– Jacques, Oldřich– Ulrich, ou Heřman– Germain.Plus tard, l’humanisme et la réforme religieuse qui l’accompagne favorisent l’apparition ou la réapparition de noms comme Ámos, Vojtěch, Jiří– Georges, Veronika ou Helena. L’usage de deux noms se répand également avec par exemple Jan Václav– Jean Venceslas, Daniel Adam ou encore Jan Ámos Komenský, nom du célèbre philosophe Comenius, membre du mouvement protestant des Frères tchèques. Plus un homme possédait de noms de saints, plus il était protégé, du moins selon les croyances de l’époque.
La croissance de la population, le nombre somme toute limité de noms de baptême et enfin la nécessité de mieux différencier les gens amènent à l’instauration de l’usage des noms de famille. Nous sommes alors dans la seconde moitié du XVIIIe siècle sous le règne de Joseph II, archiduc d’Autriche et roi de Hongrie et de Bohême. Officiellement, les Tchèques portent un nom patronymique comme « nom principal » depuis le 1er novembre 1780. Joseph II avait alors publié un édit réglementant l'emploi d'un deuxième nom qui devait s'ajouter au prénom ou nom de baptême.
Le plus souvent, ces patronymes étaient inspirés de l’endroit où la personne en question vivait comme dans le cas par exemple de Horský– littéralement « de montagne », de sa profession comme pour Mlynář– Meunier ou Kovář– Forgeron, ou encore de ses caractéristiques physionomiques comme avec Malý– Petit. Autant de noms de famille que l’on trouve également en français…
Toujours au XVIIIe siècle, la troisième vague de christianisation a elle pour conséquence la diffusion de noms comme Terezie, Barbora– Barbe, Karel– Charles, František– François, ou Antonín, tandis que le culte marial aboutit à une surutilisation des prénoms Josef et Marie.
Les XVIIIe et XIXe siècles marquent toutefois un tournant dans l'histoire du peuple tchèque alors placé sous la domination des Habsbourg et de Vienne. C'est en effet à partir de ce moment-là que l'on voit apparaître un sursaut de conscience nationale, un processus que les historiens désignent comme « renouveau » ou « réveil national ». Concrètement, face à l'influence de la culture et de langue allemandes, il s'agissait alors d'élever le niveau de la langue tchèque et de créer une culture nationale. Une volonté d'émancipation qui prit peu à peu la forme de revendications politiques, mais aussi un fort sentiment national qui concourt à un autre renouveau, ou plutôt à un retour des noms d'origine slave qui sont alors même considérés comme des « noms nationaux ». Des prénoms qui se terminent le plus souvent en « -slav » comme pour Miroslav, Ladislav ou Stanislav, en « -mír» comme pour Vladimír, Jaromír ou Slavomír, et en « -mil» avec, par exemple, Bohumil, Vlastimil ou Čechomil. Mais d'autres prénoms sont également très appréciés comme Zdeněk, Zdeňka, Dalibor, Svatopluk, Vladivoj, Růžena, Božena, Věra, Vlasta ou encore Jarmila. Enfin, principalement parmi les personnes instruites, il était devenu plus ou moins d'usage de manifester son patriotisme en ajoutant un nom national au premier prénom chrétien. Des prénoms composés donc qui donnent alors, par exemple, František Ladislav.Et il en reste ainsi à peu près jusqu'au milieu du XXe siècle. Conséquence des grands changements qui se produisent, 1945 et les années de l'après-guerre constituent alors un nouveau tournant dans l'évolution du répertoire des prénoms. L'influence de la religion chrétienne et de l'Eglise dans le choix des noms tend à disparaître, tandis que les différences sociales s'estompent, de même que l'influence du lieu de vie, selon que l'on habite en ville ou à la campagne, celle-ci étant toujours restée plus traditionnelle et moins sensible aux influences étrangères et extérieures.
Désormais, le choix du nom donné à l'enfant se fait selon d'autres critères et se retrouve notamment influencé par le phénomène de mode, mais aussi parfois par certains événements de l'actualité. C'est ainsi que certains prénoms redeviennent très appréciés comme Martin, Michal - Michel, Tomáš - Thomas, Jakub, Ondřej, Markéta, Zuzana, Barbora ou Lucie. Des prénoms qui ne sont toutefois ni nouveaux ni récents puisqu'ils étaient déjà très populaires avant le XVIIIe siècle et l'arrivée du baroque.En revanche, de nouveaux prénoms d'origine étrangère apparaissent, et ce tant d'origine slave avec, par exemple, Igor ou Soňa, que d'origine occidentale avec Monika, Renata - Renée, Iveta - Yvette, Ivona - Yvonne, Nikol, Andrea, Patrik ou René. Notons toutefois encore que ce phénomène de mode influence plus les noms féminins que masculins.
C'est la fin de ce « Tchèque du bout de la langue » qui nous aura fait faire un bond de plusieurs siècles dans l'histoire des noms portés par les Tchèques. Quel que soit le vôtre, portez-vous du mieux possible - Mějte se co nejlíp!, portez le soleil en vous - slunce v duši, salut et à bientôt - zatím ahoj!