La foi comme une grande aventure à vivre pour une soixantaine de catéchumènes pragois
Ils sont précisément 61 à se faire baptiser lors de cette Veillée pascale dans la paroisse étudiante catholique Saint-Sauveur de Prague – un chiffre record dans une République tchèque très sécularisée. Des étudiants bien sûr, mais aussi des hommes et des femmes de toutes classes d’âge et de tous les horizons professionnels, des célibataires, des divorcés, des mères et pères de famille. Des natifs de Prague et des Pragois d’adoption. Depuis 1990, près de 1300 adultes ont reçu les sacrements du baptême et de la confirmation au sein de cette paroisse universitaire dynamique, recherchée et ouverte à tout le monde. Nous sommes allés à la rencontre des convertis qui se sont préparés, pendant un an et demi, à cette Vigile pascale qui marque un nouveau commencement dans leur vie. Sans oublier leurs accompagnateurs, notamment le prêtre le plus connu des Tchèques, Tomáš Halík.
Ordonné prêtre dans la clandestinité sous le communisme, Tomáš Halík a eu un parcours de sociologue et de psychothérapeute, métier qu’il a exercé au sein d’une communauté thérapeutique de personnes alcooliques. Riche de toutes ces expériences, sensible au dialogue entre les différentes Eglises et soucieux du rapprochement entre fidèles pratiquants, croyants timides et athées, Tomáš Halík incarne pour de nombreux croyants, jeunes et moins jeunes, l’Eglise catholique telle qu’ils voudraient la voir : une Eglise accueillante et sans préjugé qui ne comprend la foi chrétienne pas uniquement comme un ensemble de règles morales à respecter, mais plutôt comme un terrain d’inspiration à explorer pendant toute la vie, comme une aventure passionnante à vivre et à partager.
Pour les chrétiens débutants, désireux de connaître les sacrements initiaux du baptême, de l’eucharistie et de la confirmation, Tomáš Halík a mis en place, tout juste après la chute du Rideau de fer, un cours sur les bases de la foi chrétienne, intitulé « Kurz základů víry », une Ecole de la foi si vous voulez. Aujourd’hui prêtre jésuite, vicaire à la paroisse Saint-Sauveur et accompagnateur des catéchumènes, Petr Vacík, 40 ans, a fréquenté ce cours au début des années 1990 en tant que jeune converti et étudiant en chimie :« Je suis arrivé à la paroisse Saint-Sauveur à l’automne 1995. A l’époque, le cours de préparation ne durait que quelques mois, c’est-à-dire que nous avons été baptisés au printemps de l’année suivante. La structure du cours et son contenu étaient les mêmes qu’aujourd’hui, sauf que tout s’est passé plus rapidement. Pendant les préparatifs, nous sommes partis une fois en week-end tous ensemble. Actuellement, nous proposons aux catéchumènes quatre séjours le week-end dans le cadre d’un cours qui dure un an et demi. Aussi, le nombre de personnes qui fréquentent la paroisse augmente progressivement : nous, nous étions une trentaine de catéchumènes. Depuis, ce nombre a doublé, voire triplé. »
Une Eglise où l’on peut rester soi-même
Les participants à l’Ecole de la foi se rencontrent tous les mardis soir, après la messe des étudiants, dans la sacristie de l’Eglise baroque Saint-Sauveur, située en face du pont Charles, au cœur de la Vieille ville de Prague. Ils assistent aux conférences animées par leurs accompagnateurs spirituels qui les initient à la foi, à la liturgie catholique. Tomáš Halík :« Dans notre paroisse, la préparation au baptême est longue et elle va en profondeur. J’essaie de créer ici une ambiance de tolérance et de liberté, un espace où l’on peut rester soi-même, où l’on peut partager avec les autres ses questions et ses doutes. Je veux aussi que les jeunes aient une image réaliste de l’Eglise catholique actuelle, qu’ils ne l’idéalisent pas, mais qu’ils se libèrent en même temps des préjugés encore trop présents dans la société tchèque, hérités de l’époque communiste. Nous vivons dans un milieu quine sait presque rien sur la religion et qui est parfois hostile à l’égard de l’Eglise. Les catéchumènes y sont confrontés et il faut les préparer à cela. »
Lucie est professeur dans un lycée pragois. Elle nous fait part de son expérience :
« Je suis originaire de la Bohême du Nord, j’ai grandi dans un milieu très sécularisé. Déjà, vivre une relation quotidienne avec le Christ est une expérience tout à fait nouvelle pour moi. Ce qui a changé, c’est que je suis capable de parler de cette expérience avec mes amis et mes proches qui ne sont pas croyants. C’est désormais quelque chose de très fort, de très important pour moi, c’est une partie intégrante de ma vie. Et alors, il m’est difficile de ne pas aborder ce sujet avec mes amis athées qui sont parfois assez surpris de découvrir que je crois en Dieu et que je pratique ma foi. »Parfois, ce « coming out » religieux se passe sans problèmes, comme en témoigne Linda, une jeune catéchumène et étudiante en biologie moléculaire :
« Je suis d’origine vietnamienne. Dans notre culture, il est habituel que la fille, dès qu’elle se marie, appartient pour ainsi dire à la famille de son mari. Comme mon petit ami est catholique, mes parents ne se sont pas étonnés du fait que j’ai décidé de me convertir au catholicisme. C’était quelque chose de naturel. »
Veronika, une protestante convertie au catholicisme
Pour d’autres convertis, ceux qui se préparent pour le sacrement de confirmation, l’Ecole de la foi est une opportunité de porter un nouveau regard, plus mûr et plus réfléchi, sur la foi acquise pendant la période de l’enfance, comme nous le raconte Veronika, journaliste de profession :
« Je suis issue d’un milieu protestant, ma famille appartient à l’Eglise évangélique des frères tchèques, où j’ai même reçu le sacrement de confirmation à l’âge de quinze ans. Mais ensuite, je me suis éloignée de l’Eglise protestante… J’étouffais dans ce milieu, il y avait trop de pression notamment de la part de mes grands-parents. Aucune discussion sur les sujets religieux n’a été possible chez nous. Pendant un certain temps, je me suis même déclarée athée. Et puis, en une quinzaine d’année, j’ai renoué ici avec mon passé, dans cette église catholique Saint-Sauveur, où je venais d’abord écouter les sermons. Je me souviens d’un moment fort, survenu il y a deux ans, lorsque mes amis et moi avons participé à l’organisation de la Nuit des églises. Ici, à Saint-Sauveur, nous avons aidé Matěj Forman avec son installation : il a fallu fabriquer des centaines d’étoiles en papier et les accrocher un peu partout à l’intérieur de l’église. A l’époque, j’étais dans une situation personnelle difficile. Quand les étoiles ont illuminé l’église, j’ai eu l’impression qu’elles ont illuminé aussi ma vie. »Parfois, c’est la vie de couple qui déclenche le processus de conversion religieuse, comme en témoigne une autre journaliste, Radka. Mère divorcée, elle a rencontré, il y a dix ans, un catholique devenu son deuxième mari.
Radka ou le « virus » de la foi
« Je savais qu’il était catholique et sa famille aussi, mais le baptême était ma propre décision. Personne ne m’a poussé. En fait, auparavant, nous n’avons jamais vraiment abordé des sujets religieux entre nous. Ce n’est que maintenant, lorsque je me prépare au baptême, que nous en parlons. En fait, j’aurais déjà pu me faire baptiser par un curé que nous connaissons, mais j’ai préféré suivre d’abord cette Ecole de la foi, pour en savoir pSacristie de l'Eglise Saint-Sauveur, photo: Magdalena Hrozínkoválus sur le sujet, aussi pour mériter, pour ainsi dire, le baptême. Cela n’était pas facile, car ma fille est née juste avant le début de l’Ecole. Aussi, j’ai commencé à m’engager dans notre paroisse, où mon mari prépare une école de dimanche pour les enfants. Nous avons commencé à prier tous ensemble, avec nos deux enfants en bas âge, ce que nous ne faisions pas auparavant. J’ai beaucoup discuté avec mes amis sur l’éducation religieuse des enfants. Ils pensent qu’il faut laisser les enfants se décider s’ils voudront pratiquer ou pas quand ils auront grandi. Moi, je ne suis pas d’accord, je trouve important de transmettre à nos enfants les valeurs qui sont les nôtres. »Assistant paroissial et père de trois enfants, Martin Staněk a lui aussi fréquenté l’Ecole de la foi, avant de se lancer dans des études de science des religions. Il ajoute à ce sujet :
« Il arrive souvent que les gens qui se préparent au baptême nous disent avoir un partenaire non-croyant, mais qui les encourage dans l’approfondissement de leur vie spirituelle. Et puis, dans quelques années, ce partenaire à l’origine non-croyant se présente lui-aussi chez nous. C’est parce qu’il a fait l’expérience de la chrétienté vécue au quotidien. »
« Je me sentait mécontent dans ma vie. Je travaillais trop, je me sentais seul, sans amour et sans émotions. Avant, ma vie était basée sur le rationnel. Désormais, je me sens beaucoup plus sûr et plus à l’aise dans ma vie spirituelle. »Ce « malaise de notre civilisation », évoqué par l’architecte Honza, qui a vécu et travaillé pendant trois ans à Paris, est à l’origine de nombreuses conversions des Tchèques aujourd’hui. Même si l’Ecole de la foi est destinée avant tout aux étudiants des écoles supérieures pragoises, elle est ouverte à tous les trentagénaires et quadragénaires qui représentent actuellement plus de la moitié des adeptes au baptême et à la conformation. Petr Vacík :
« Les générations actuelles de catéchumènes sont évidemment différentes de celles d’il y a vingt ans. Ils se posent d’autres questions. Par exemple, le sujet de dévotion mariale qui suscitait beaucoup d’interrogations dans les années 1990 ne représente plus un obstacle. Par contre, les jeunes aujourd’hui sont très sensibles aux prises de position de l’Eglise catholique à l’égard des minorités. »
La vie de couple est un autre grand thème qui tient à cœur aux catéchumènes, comme nous le raconte Martin Staněk :
« Les plus jeunes se posent des questions sur leurs relations amoureuses. Les convertis un peu plus âgés sont souvent confrontés aux problèmes de couple, certains doivent résoudre des situations compliquées liées aux divorces, aux mariages malheureux. Lorsqu’ils commencent à se préparer au baptême, ils auront déjà vécu quelque chose, ils arrivent chez nous avec leur histoire de vie, avec une certaine expérience. Le plus difficile ensuite est de régler leur montre personnelle selon l’heure indiquée par l’Eglise. »Mais l’objectif principal de l’Ecole de la foi reste une expérience spirituelle, comme l’indique le prêtre Tomáš Halík :
« Etre croyant ne signifie pas reprendre une conviction de quelqu’un d’autre. Cela signifie entamer un chemin spirituel. Nous souhaitons que les catéchumènes aient leur propre expérience dans ce domaine-là. Qu’ils apprennent à méditer, à penser leur vie, à l’observer avec distance et profondeur. Lorsqu’ils apprennent à profiter du silence pour se poser des questions essentielles et pour y réfléchir, cela leur donne une certaine force et une maturité. Ce processus influence leur personnalité et leurs relations avec les autres. »
Honza: la foi m'a aidé à vaincre la peur
Un des catéchumènes, Honza, qui vient de fêter ses quarante ans et qui travaille dans une banque pragoise confirme les paroles de Tomáš Halík :
« J’ai du mal à parler d’une transformation personnelle, car cela me concerne directement. Mais mes amis et mes proches, ils disent tous que j’ai changé. Ils me trouvent plus calme, moins cholérique qu’auparavant. Il est vrai que je ressens moi-aussi ce changement. En fait, je trouve que la foi m’a aidé à vaincre la peur. Je n’ai plus vraiment peur dans la vie. Du coup, je trouve inutile de m’énerver, de lutter avec les autres, de mettre en avant mon ego. Quand j’ai réalisé que je n’avais pas besoin de tout cela, j’ai retrouvé un calme incroyable. Je suis aussi plus attentifs à mon entourage, à la nature : j’ai l’impression de voir, d’entendre mieux, de mieux entendre les autres quand ils me parlent. Je me rends compte des changements palpables dans ma perception du monde. »« Ou la foi me conduira-t-elle ? Je n’en ai aucune idée. La seule chose que je sais à coup sûr, c’est que je fais absolument confiance à ce chemin. Et j’attends avec impatience ce qu’il m’apportera. »
Nous l’avons dit – les catéchumènes ont l’opportunité de passer plusieurs week-ends ensemble, avec leurs accompagnateurs, dans l’ancien couvent des capucins de Kolín : une occasion pour eux de s’initier à la prière et à la méditation biblique ou encore à la méditation sur les films. C’est Petr Vacík qui est le principal organisateur de ces exercices spirituels :
« En fait, je ne transmets rien aux gens. Je les accompagne. Cela veut dire qu’ils reçoivent. Mais ils ne reçoivent rien de ma part. Ce qui travaille en eux, c’est ce qu’ils ont lu dans des livres, vu dans des films, ce qui leur parle lors de la liturgie et lors de leur méditation personnelle. Nous parlons ensuite de tout cela. Avec chaque individu, j’aborde quelque chose d’un peu différent, en fonction des canaux qui sont à un moment donné actifs chez telle ou telle personne. »Une nouvelle édition de l’Ecole de la foi commence dans la paroisse Saint-Sauveur à l’automne 2017.
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