Théâtre national : un opéra sur la création du gigantesque monument à Staline
Le destin tragique de l’auteur de la statue monumentale dédiée à Staline, qui a dominé Prague entre 1955 et 1962, a inspiré une nouvelle création de l’Opéra du Théâtre national de Prague. Le sculpteur Otakar Švec n’était pas un communiste acharné. Pourtant, c’était bel et bien lui qui avait remporté le concours pour la construction du monument, organisée à l’occasion du 70e anniversaire du leader soviétique.
« Otakar Švec était partisan du mouvement d’avant-garde. Son langage esthétique était très éloigné de l’art officiel de l’époque. Par un curieux concours de circonstances, il s’est vu obligé de créer une œuvre qu’il n’avait aucune envie de réaliser, qui était aux antipodes de sa création. Mais en même temps, la réalisation de ce monument entre en quelque sorte dans la logique des mouvements tels que l’avant-garde, le surréalisme ou le dadaïsme. Ces courants artistiques voulaient toujours se distinguer du passé, brûler tous les ponts. »
Le 1er mai 1955, deux ans après la mort de Staline en mars 1953, le monument est inauguré sur la colline de Letná. Le sculpteur Otakar Švec se suicide peu avant l’inauguration de son œuvre. Les raisons de ce geste sont multiples. Le suicide de son épouse survenu un an plus tôt, la pression des autorités et la certitude d’être l’auteur d’une monstruosité en sont vraisemblablement les principales causes.
L’opéra intitulé « Žádný člověk » (littéralement « Aucun homme ») a été créé par le compositeur Jiří Kadeřábek, la metteuse en scène Katharina Schmittová et Lukáš Jiřička. Il est programmé pour le 17 avril, le 1er et le 7 mai prochains. Le spectacle a plusieurs particularités : par exemple, le public est installé sur une partie surélevée de la scène, disposant de 150 places. A noter aussi qu’une maquette de la monumentale statue de Staline apparaît sur scène, cette même maquette qui a été construite au printemps dernier sur la colline de Letná en raison du tournage d’un long-métrage consacré, lui aussi, à la vie du sculpteur Otakar Švec et de son épouse Vlasta. Rappelons enfin que la plus grande statue du dictateur soviétique en Europe de l’Est a été détruite en 1962 en raison de la condamnation du culte de la personnalité et remplacée par un métronome après la Révolution de velours.Plateforme de la danse tchèque et Tanec Praha, deux festivals dédiés à la recherche de nouveaux langages du corps
Le meilleur de la danse tchèque contemporaine est à voir actuellement sur sept scènes pragoises dans le cadre du festival Plateforme de la danse tchèque. Le festival se terminera ce dimanche 9 avril, par la remise des récompenses dans les catégories du meilleur spectacle et meilleurs danseur et danseuse de l’année écoulée, ainsi que du prix du design lumière ou encore du prix des spectateurs. Des compagnies renommées sont à l’affiche, à savoir VerTeDance, ME-SA, 420PEOPLE ou Cirk La Putyka.
La Plateforme de la danse tchèque est un prélude du plus important festival de danse contemporaine du pays Tanec Praha (Prague Danse), dont la 29ème édition aura lieu en juin prochain. Fondatrice, juste après la chute du communisme du festival Tanec Praha et organisatrice de la Plateforme de la danse tchèque, Yvona Kreuzmannová a fait venir en République tchèque une pléiade de solistes et de compagnies mondialement connus, tels que Maguy Marin, Marie Chouinard, Mikhail Baryshnikov, Merce Cunningham ou encore la troupe taïwanaise Cloud Gate Dance Theatre. Nommée Chevalier de l’Ordre national du Mérite en 2003, Yvonna Kreuzmannová a aussi été, pendant un certain temps, directrice artistique du projet « Plzeň, capitale culturelle de l’Europe en 2015 ». Il y a quelques années, elle est revenue, au micro de Radio Prague, sur les débuts de la danse moderne dans l’ancienne Tchécoslovaquie. Nous vous proposons de réécouter cet entretien.Yvona Kreuzmannová, nous nous trouvons au théâtre Ponec, rue Husitská, dans le 3e arrondissement de Prague. Vous avez fondé ce premier théâtre tchèque dédié à la danse contemporaine au milieu des années 1990. A l’époque, le bâtiment était en ruines. Pourquoi l’avez-vous choisi ?
« La danse contemporaine n’était pas présente dans notre pays depuis la fin des années 1930 jusqu’à la fin des années 1980, donc pendant la moitié du siècle… Je voulais créer des conditions ‘décentes’ pour le développement de cette discipline chez nous. Ce n’était pas facile. J’ai essayé de mettre en place le théâtre dans quatre ou cinq espaces différents, mais sans succès, personne ne voulait s’en occuper, la danse contemporaine était inconnue ici. Finalement, j’ai gagné, avec mon projet, une compétition publique lancée par la municipalité de Prague 3 qui a donné à cet édifice une fonction culturelle. J’ai voulu à tout prix faire rénover ce bâtiment qui avait été une usine métallurgique à la fin du XIXe siècle et ensuite, au début du XXe siècle, une salle de cinéma mise en place par un certain František Ponec. J’ai mis trois ans à trouver de l’argent et à reconstruire le bâtiment. Le théâtre a ouvert en 2001 et aujourd’hui encore, c’est le seul théâtre professionnel de danse contemporaine en République tchèque. »Depuis quand date votre passion pour la danse ?
« J’étais danseuse dans les années 1980. Or, comme je vous le disais, sous l’ancien régime, il était impossible de pratiquer la danse contemporaine au niveau professionnel… »
Mais il y avait des tentatives, n’est-ce pas ? Pavel Šmok et son ballet de chambre de Prague, par exemple…
« Oui, mais Pavel a transformé la danse classique en danse néo-classique. Vous avez raison, dans le contexte tchèque, cela était très moderne. Mais moi, j’étais plutôt attirée par les grandes personnalités de la danse américaine : Martha Graham, Merce Cunningham, José Limón. Nous n’avions pas la chance de pouvoir les étudier ici. Tout de suite après la chute du régime, en 1990-1991, je suis partie à l’étranger, en France. Je savais que la seule chose que je pouvais faire pour aider à développer cette discipline chez nous, c’était de faire venir ici les grandes figures de la danse contemporaine (nous avons commencé avec Maguy Marin et Le Grand Théâtre de Genève), présenter au public local ce qui se fait dans le monde, surtout en Europe, et essayer de créer de bonnes conditions pour le développement de la danse tchèque. »
Comment vous et vos amis vous êtes-vous débrouillés pour suivre la danse mondiale sous le communisme ? Et pourquoi, en fait, la danse contemporaine était si mal vue à l’époque ? Etait-ce une simple aversion à l’égard de tout ce qui venait de l’Occident ?
« Nous avons pu profiter des programmes et des projections de films proposés par l’Institut français de Prague ou par l’Ambassade des Etats-Unis. Nous avons eu aussi des sources d’informations plus ou moins ‘secrètes’. Le régime totalitaire n’était pas favorable au développement des arts contemporains en tant que tels. A la danse moderne en particulier, qui accorde une place importante à l’individu. Ce n’est pas l’école du ballet russe où les danseurs doivent se ressembler. Ici, l’accent est mis sur l’individualité, ce que, évidemment, le régime n’a pas pu accepter. Les communistes ont laissé passer le ballet classique et la danse folklorique, c’était tout. »
Quand on voit aujourd’hui les performances de certains danseurs qui sont souvent à la limite de notre imagination et qui nous semblent même être à limite des possibilités du corps humain, on peut se demander ce qu’on peut encore inventer dans ce domaine ? Comment évolue la danse contemporaine ?
« Elle évolue énormément. Ce n’est pas seulement une question de limite du corps. C’est aussi une question de nouvelles technologies et de leur utilisation sur scène. Elles peuvent créer des effets tout à fait fascinants, mais en même temps, elles font un peu disparaître la dimension humaine que je trouve très importante dans les arts vivants. On discute souvent de cette approche moderne avec mes collègues étrangers et nos opinions divergent. Des spectacles de danse qui font appel aux nouvelles technologies sont, à mon avis, un peu froids. Nous avons appris à utiliser les iPods, iPhones et je ne sais quoi encore, mais il devient de plus en plus difficile de communiquer directement avec les autres. Je trouve alors que la place du théâtre, qui permet de rétablir ce contact direct, est très importante. Je recherche cette intimité, cet aspect humain, aussi dans les villes : par exemple Plzeň est une ville à l’ambiance humaine, à la différence de Prague ou de Marseille… C’est l’avantage des villes à dimension moyenne. »