Jaroslav Heyrovský, le premier et avant-dernier Tchèque nobélisé
Le physicien- chimiste Jaroslav Heyrovský est le premier Tchèque, et jusqu’alors l’avant-dernier, à avoir obtenu un prix Nobel. Et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit du prix de chimie attribué en 1959 pour sa découverte de la polarographie, une méthode utilisant une électrode à gouttes tombantes de mercure et permettant de déterminer la composition de différentes solutions. A l’occasion du cinquantième anniversaire de son décès, le 27 mars 1967, Radio Prague se penche sur la figure de cet homme dont les travaux ont grandement influencé le développement de l’électrochimie au siècle dernier.
La trouvaille de Jaroslav Heyrovský, il faut aussi la mettre sur le compte du hasard, au moins en partie. « Comme toutes les grandes découvertes », selon Jiří Barek, électrochimiste à l’Université Charles :
« Le professeur Heyrovský mesurait la tension de surface de mercure qui tombait par goutte dans des solutions de différentes compositions. Et le 10 février 1922, il a eu l’idée de mesurer le courant qui circulait dans les électrodes. Et parce qu’il vivait à une époque heureuse où il pouvait faire de la science et où il n’était pas obligé d’écrire de rapport et ce genre de choses, il a pu emprunter dès le lendemain un galvanomètre et mesurer la première courbe polarographique. Néanmoins, comme entre la découverte de la machine à vapeur et la première locomotive de Stephenson, le développement de la technique a pris du temps. Il a fallu dix années pour que Heyrovský mette au point l’outil et pour convaincre les gens de commencer à l’utiliser. »
Une constatation s’impose : Jaroslav Heyrovský a dû attendre un sacré bout de temps pour recevoir le prix Nobel, plus d’un quart de siècle après l’élaboration de son appareil de mesure. Il est pourtant nommé une première fois en 1934, à une époque où son dispositif, qu’il présente partout à l’étranger, n’a pas encore fait ses preuves.Au total, l’électrochimiste tchécoslovaque a été nommé dix-huit fois au prix Nobel, le plus souvent de chimie mais également de physique et de médecine, avant que l'Académie royale des sciences de Suède ne lui attribue la prestigieuse récompense en 1959. Pas trop tôt si l’on en croit les propos tenus par sa fille Jitka Černá dans un entretien trouvé dans les archives de la Radio tchèque :
« Il est dommage que mon père ait obtenu ce prix si tard. Il était alors déjà âgé de 69 ans. Quand mon père a découvert le principe de la polarographie, il était encore célibataire et il vivait chez ses parents. »
La distinction octroyée à Jaroslav Heyrovský, qui a été soupçonné de collaboration durant la Seconde Guerre mondiale puisqu’il a pu poursuivre ses recherches malgré la fermeture des universités tchèques, ne semble pas enchanter les autorités communistes. Elles le défendent de toucher la récompense financière du Nobel et interdisent à sa famille de l’accompagner à Stockholm pour la remise de son prix, craignant une fuite de toute la fratrie à l’Ouest.
C’est sans doute faire preuve d’ingratitude pour le scientifique, lauréat de nombreuses autres distinctions et fondateur à Prague en 1951 de l’Institut central de polarographie, un organe de chimie physique qui porte aujourd’hui son nom. Surtout que ses travaux ont trouvé des applications très concrètes dans de nombreux domaines, ainsi que le rappelle Jiří Barek :
« La méthode polarographique d’analyse, qui a valu à M. Heyrovský le prix Nobel en 1959, était en son temps la méthode d’analyse la plus rapide, la plus sensible et la plus utilisée. On l’utilisait en pharmaceutique, en médecine, pour étudier l’environnement… Le prix Nobel pour cette découverte était donc indubitablement mérité. »Une récompense qu’auraient sans doute également méritée quelques-unes des autres personnalités tchèques qui ont un jour été nommées, par exemple Karel Čapek, Václav Havel ou bien Tomáš Garrigue Masaryk. Un seul autre Tchèque a jusqu’à présent eu cet honneur. Il s’agit de Jaroslav Seifert, prix Nobel de littérature en 1984.