Ferda la Fourmi, star de cinéma en France aussi
Une exposition au Centre tchèque à Paris, une bande dessinée et un film : en matière de culture tchèque en France, Ferda Mravenec, comprenez Ferda la Fourmi, est la grande star de ce début d’année. Le 8 février sortiront, dans une cinquantaine de salles de l’Hexagone, « Les Nouvelles aventures de Ferda la fourmi », un film des années 1970 œuvre de Hermína Týrlová, première femme réalisatrice de l’animation tchèque. Cette découverte de l’un des trésors du cinéma tchèque, c’est à la société Malavida Films que le public français la doit. Son co-directeur Lionel Ithurralde nous explique son coup de cœur :
Ferda, fourmi bricoleuse et créative qui rend service à tous les petits animaux qu’elle croise lors de ses expéditions, tous les Tchèques connaissent. Extrêmement populaire au même titre par exemple que la célèbre petite taupe Krtek, le personnage fait partie des premiers « biberons de culture » que les parents tchèques donnent à leurs enfants, que ce soit sous la forme de livres ou de série télévisée. En France, Ferda reste encore très méconnu, et ce même si l’héroïne a déjà été l’objet d’un premier succès public et critique encore relativement récent, comme le confirme Lionel Ithurralde :
« Nous avons sorti il y a à peu près un an un programme qui s’appelait déjà ‘Ferda La Fourmi’ et qui incluait un de ces films. Nous avons choisi, au vu du succès de la première édition et de l’attractivité que pouvait avoir le personnage de Ferda sur le public français, de sortir un programme reprenant l’ensemble des trois épisodes de cette série. En fait, quatre films ont été réalisés par Hermína Týrlová, mais le quatrième était plutôt consacré au personnage Pytlík, que nous allons garder pour une édition DVD en bonus. »
Un succès qu’il convient toutefois de placer dans le contexte qui est celui de ce type de films bien particuliers, et qui ne peut bien évidemment pas être mis en parallèle avec les chiffres des grosses productions dans le cinéma d’animation :
« Tout est relatif puisque l’on parle ici de ‘films de patrimoine’, c’est-à-dire de films qui ont plus de dix ans. En l’occurrence, la plupart des films issus du premier programme ont plus de quarante ans. Le premier programme, qui a un an, a fait 25 000 entrées en France, ce qui est beaucoup pour ce type de films. Bien évidemment, on ne se compare ni aux grosses machines issues des majors françaises ou hollywoodiennes qui passent allégrement le cap des 100 000 entrées, ni aux très grands succès de films tels que ‘Ma vie de courgette’. On se réfère plutôt aux chiffres des ‘films de patrimoine’ pour enfants, et, effectivement, pour ce genre de films, le chiffre de 25 000 entrées est au-dessus de la moyenne. »« Malavida est attaché au travail de Hermína Týrlová pour son intérêt principal, c’est à dire le fait de donner vie à des objets, ou à créer des personnages à partir d’objets et de matériaux inhabituels », complète pour sa part Jean-Gaspard Páleníček, directeur du Centre tchèque à Paris et auteur de la traduction en français de la bande dessinée des aventures de Ferda (aux Editions Malavida). Il précise comment, selon lui, les responsables de Malavida sont tombées sous le charme de la fourmi :
« Il y a la musique de Zdeněk Liška, qui était le compositeur principalement de musiques de films, même s’il a composé indépendamment du cinéma aussi. Il est le premier à avoir inventé le Sound design, c’est-à-dire l’expression des bruitages, des sons extra-musicaux par des instruments de musique, des chœurs, etc. Je pense qu’ils ont principalement été attirés par ces aspects, ainsi que par cette créativité débordante. »
« Deux personnes étaient en charge des décisions et des choix éditoriaux : Anne-Laure Brénéol et moi-même, affirme Lionel Ithurralde. Nous sommes plus ou moins tombés amoureux du personnage, avant même de découvrir qu’il était au départ issu du monde du livre. Nous avons beaucoup apprécié à la fois le ton général du court métrage sorti l’année dernière qui n’était pas mièvre, sa conception très moderne, et son sens du rythme remarquable. Ensuite, nous sommes tombés amoureux des livres de Sekora, en découvrant à la fois l’auteur, la qualité de son œuvre et son itinéraire qui nous paraissait particulièrement intéressant. »
Autour de la sortie du film, Malavida, en collaboration donc avec le Centre tchèque, a voulu faire de Ferda un événement plus global en y incluant une exposition (cf. : http://www.radio.cz/fr/rubrique/faits/ferda-la-fourmi-petit-bijou-de-limaginaire-tcheque-exposee-au-centre-tcheque-a-paris) et en éditant en français le premier volume des aventures de Ferda :« En reprenant la qualité de l’édition tchèque faite il y a quelques années, nous nous sommes dit qu’il était très important de faire cette édition papier en France, à la fois pour populariser le personnage de Ferda, et aussi pour faire remarquer au public français la qualité de la création littéraire de Ferda. Nous avons pris un peu de retard sur l’édition du livre, il paraitra début mars en France. »
Cette qualité de la création littéraire évoquée par Lionel Ithurralde est le fruit du travail d’Ondřej Sekora. L’œuvre de l’écrivain et dessinateur, papa de Ferda la Fourmi, s’est nourrie de façon essentielle des deux années que Sekora a passées à Paris. Un aspect d’une vie riche en rebondissements que souligne Jean-Gaspard Páleníček :
« Sekora avait, comme beaucoup d’autres Tchèques au lendemain de la création de la Tchécoslovaquie - Karel Zeman en est un autre -, une forte attirance pour la France. Dès la première moitié des années 20, il a essayé de se faire employer dans des journaux comme dessinateur. En France, il a également tenté sa chance dans un journal belge, ce qui n’est pas anodin. Entre autres, il a essayé de se faire engager dans des journaux où publiait Hergé. Il a finalement réussi à se faire employer par plusieurs journaux en France mais comme dessinateur et caricaturiste, principalement pour les rubriques sportives puisqu’au départ, en grand fan de rugby et amateur de sport, il est envoyé en France comme correspondant pour la rubrique sportive de Lidové noviny. Il fait des dessins et des reportages sur le Tour de France, sur les Six Jours de Paris, etc. »
« Je pense que cela va dans le sens d’un mouvement, d’un regard porté par les Tchécoslovaques vers la France, dans ce pays fraichement créé. Ce qui est passionnant dans l’œuvre de Sekora, c’est que les différentes transformations, y compris du personnage de Ferda la Fourmi, illustrent toute l’histoire tchèque du XXe siècle. A travers un Ferda pacifiste dans les années 30, antinazi et antifasciste ; à travers un Ferda soldat patriote au moment de l’occupation de la Bohême ; un Ferda communiste au lendemain de la guerre puisque Sekora, libéral avant la guerre devient un fervent communiste dès 1945 après avoir vécu la déportation de sa femme en camp de concentration et après avoir lui-même été envoyé en camp de travail. Cette évolution apparaît bien dans les différentes planches que nous avons choisies pour l’exposition. » Pour que ce Ferda de Sekora et Týrlová puisse séduire les petits Français et leurs parents et leur plaire autant qu’à plusieurs générations Tchèques, il a fallu quelque peu l’adapter au temps qui passe, de façon à ce que la fourmi et ses amis restent des héros « modernes ». Lionel Ithurralde explique comment :« Pour le premier épisode qui a été un succès, nous avons fait un choix que nous ne faisons pas d’habitude, qui a été de gommer l’aspect ‘patrimonial’ du programme. C’est-à-dire qu’en refaisant complètement une affiche, en la modernisant à l’image de Ferda, en ne faisant pas sentir aux enfants et surtout aux parents qu’il s’agissait de la reprise d’un vieux programme, en accordant aussi un soin particulier à la restauration de l’image, l’idée était de le sortir comme un programme complétement neuf. C’était aussi parce que nous estimions que le ton général du film, les thématiques environnementales, ainsi que le dynamisme du personnage, étaient complétement modernes et n’avaient pas du tout vieilli. Et nous nous sommes dit qu’en France, il était peut-être plus facile de sortir ce programme qu’il y a une quarantaine d’années. »
Et puis en bon père de famille, Lionel Ithurralde a aussi une méthode très fiable pour vérifier si ses intuitions et celles de sa collègue Anne-Laure Brénéol sont les bonnes :« Nos enfants sont notre premier public test, donc il faut que les programmes passent le test du jugement familial et obtiennent leur approbation avant que nous nous décidions à travailler dessus… C’est la première étape de notre travail ! Ferda ne passe pas en boucle tous les soirs à la maison, mais il a été montré à nos enfants il y a quelques mois, et leurs réactions ont effectivement confirmé notre volonté de travailler sur ces films. »
Sachez encore que le DVD des aventures de Ferda la Fourmi sera également disponible dans les mois à venir dans les réseaux habituels… Et le directeur du Centre tchèque à Paris en est convaincu, il n’y a pas de raison de douter du succès de la fourmi…
« Je suis très curieux de voir les réactions des Français, et j’ai plutôt une bonne impression pour l’instant… »