Charles IV et les pays tchèques (III)
Charles IV, roi de Bohême et empereur du Saint-Empire, dont on fête cette année le 700e anniversaire de sa naissance, a changé à jamais l’image de Prague. Grâce à la fondation du pont Charles, de la cathédrale Saint-Guy, et du quartier de la Nouvelle-Ville, il a fait de la capitale tchèque un centre européen important. Mais on peut retrouver les traces de celui, qui est familièrement appelé par les Tchèques « le père de la patrie », partout dans le pays. Dans cette dernière partie de notre série consacrée à Charles IV, Radio Prague vous propose donc de découvrir les plus beaux endroits de Bohême et de Moravie qui sont liés d’une manière ou d’une autre à cette personnalité sans équivalent dans l’histoire tchèque.
Karlštejn : accès aux femmes interdit ! Ou non ?
Quand on parle des monuments de Charles IV en pays tchèques, on ne peut pas faire l’impasse sur le château de Karlštejn. Situé à une trentaine de kilomètres à l’ouest de Prague, sur un rocher qui surplombe la rivière Berounka, ce château-fort est construit dans le style gothique sous la direction de l’architecte français Mathieu d’Arras, bâtisseur notamment de la cathédrale Saint-Guy. Fondé en 1348 et ouvert solennellement en 1355, il a vite gagné en importance car il abrita à partir de 1365, les joyaux de la couronne du Saint-Empire.Ces joyaux y étaient déposés aux côtés de documents officiels de l’empire, ainsi que de reliques sacrées, comme la Lance de Longin, connue aussi sous le nom de Sainte-Lance, qu’on considérait à l’époque comme une relique de la Passion du Christ. Tout ce trésor était placé dans la chapelle de la Sainte-Croix, située dans un des donjons du château. Cette salle, décorée d’or et de pierres précieuses, cachait une autre rareté, 129 panneaux en bois avec des peintures du maître Théodoric, qui représentent actuellement le plus grand ensemble de peintures gothiques sur bois en Europe.
Le château, considéré comme étant le plus beau en Bohême et qui faisait office à Charles IV de résidence impériale, fait l'objet de différentes légendes. On raconte notamment que l’empereur avait interdit aux femmes l’accès au château afin que les hommes puissent se reposer sans être dérangés. L’intendant du monument, Jaromír Kubů, précise :« Quand Charles IV a déposé les joyaux de la couronne dans la chapelle de la Sainte-Croix, le lieu est devenu si sacré qu’il a interdit aux femmes d’y ‘séjourner, coucher et dormir’. Il leur a ensuite été défendu d’entrer dans le donjon dans lequel se trouve la chapelle. Celle-ci représentait donc une sorte de forteresse dans la forteresse. Mais ce n’est qu’au XIXe siècle que l’écrivain romantique Jaroslav Vrchlický a élargi cette interdiction à la totalité du château dans sa pièce de théâtre Noc na Karlštejně (en français La Nuit à Karlštejn, ndlr). »
Après les guerres hussites au XVe siècle, le château a été abandonné et est petit à petit tombé en ruines. Ce n’est qu’au XIXe siècle, qu'il connaît un regain de popularité. De plus, lors de grands travaux de construction, menés par le célèbre architecte Josef Mocker, le Viollet-Le-Duc tchèque, les ouvriers découvrent un nouveau témoignage de cette époque glorieuse de Charles IV. Jaromír Kubů :« Ils ont abattu un mur. Et soudain, un trésor en or et en argent est apparu. Il s’agissait de 387 objets d’usage quotidien, de petits boutons ou de petites coupes. Ce trésor est déposé au Musée d’Art et d’Industrie à Prague. Et grâce à sa directrice, il est actuellement exposé à Karlštejn. »
Les villes et les châteaux sous le règne du « père de la patrie »
Charles IV a influencé de manière considérable un grand nombre de villes et communes tchèques. Certaines se sont vu accorder différents privilèges, d’autres ont bénéficié de la construction d’un nouveau château ou de fortifications. Il a aussi accordé le statut de ville par exemple à Telč, une commune située à la frontière entre la Bohême et la Moravie et inscrite à l’heure actuelle sur la liste du patrimoine de l’Unesco, ou à Karlovy Vary en Bohême de l’Ouest. Le futur empereur a par ailleurs fait venir, dans cette ville thermale où il serait soigné en 1347 après la bataille de Crécy, différents médecins d’Italie et de France.
Les villes de Český Krumlov, de Poděbrady ou de Kutná Hora ont également connu un important développement économique. Historienne de l’Association Otec vlasti Karel IV. (Charles IV, père de la patrie), Lucie Kodišová poursuit :« Kutná Hora était une ville très puissante car il y avait des gisements d’argent. Cet argent était la principale source de financement de ces grandioses fondations effectuées par la famille des Luxembourg. C’est la raison pour laquelle Charles IV a soutenu cette ville, par exemple en faisant construire différentes églises… En bref, il en avait besoin. »
De nombreux châteaux-forts de l’époque sont également liés au règne de Charles IV qui s’y rendait au cours de ses voyages et les a souvent fait reconstruire. Parmi eux, par exemple le château de Zvíkov, situé au sud de Prague, qui a servi pendant une courte période comme abri provisoire pour les joyaux de la couronne. Lucie Kodišová mentionne encore un autre château, celui de Křivoklát, qui se trouve aussi sur la rivière Berounka, à quelque 40 kilomètres de Karlštejn :« Le château de Křivoklát est l’un des plus grands châteaux où Charles IV a séjourné. La relation du roi à ce château devait être problématique car il y avait été emprisonné pendant son enfance. Nous savons que les relations entre Jean de Luxembourg et sa femme et mère de Charles IV, Elisabeth de Bohême, étaient tendues. Le jeune Charles IV y a donc été isolé de l’influence de sa mère. Mais il y a également séjourné après son retour en pays tchèques, avec sa première femme, Blanche de Valois. Son premier enfant, sa fille Marguerite, est né à Křivoklát. »
Ce monument n’était pas le seul château dans lequel Jean de Luxembourg a enfermé son fils. Avant d’être séparés, Charles IV et sa mère ont été emprisonnés à Loket en Bohême de l’Ouest. Même s’ils avaient été contraints d’y séjourner, l’empereur est souvent revenu dans ce château pour chasser dans les forêts qui l’entourent.Charles IV et le développement du pays
A l’époque du règne de ce souverain, différentes églises, consacrées à différents saints, ont vu le jour un peu partout en pays tchèques. Pour les citer toutes, il faudrait faire une longue liste. Lucie Kodišová en a choisi une qu’elle trouve en quelque sorte unique :
« Sous le château de Karlštejn se trouve l’église Saint-Palmacius. Une église consacrée à ce saint allemand est un cas unique en Tchéquie. En effet, l’arrière-oncle de Charles IV, Baudouin de Luxembourg, était l’archevêque de Trèves, la ville dont le patron est justement saint Palmacius. Il a donné à Charles IV une relique de ce saint. Grâce à ce don, Charles IV a ensuite fondé cette église. »Même si ce sont principalement ces châteaux, villes et églises qui l’ont rendu célèbre, Charles IV n’est pourtant pas seulement le constructeur de grands monuments historiques. Très peu de monde sait qu'il était aussi l’un des pionniers de la viticulture tchèque ou qu’il a fondé par exemple le lac Mácha, un site de villégiature très prisé. Lucie Kodišová :
« La lac Mácha a été fondé en dans les années 1360. Charles IV, comme tout bon souverain, soutenait le développement agricole du pays, dont la création d’étangs et la pisciculture. Il aurait aussi importé en Tchéquie une nouvelle espèce de poisson, le barbeau. »
Ces deux derniers exemples montrent clairement que l’héritage de celui qui a été élu dans une récente enquête le plus grand Tchèque de tous les temps, est beaucoup plus important que ce qu’on imagine souvent et que ceux qui le cherchent le trouvent presque « à chaque pas ».Enfin, il faut dire que Charles IV n’a pas laissé son empreinte seulement sur le territoire de ce qui est actuellement la République tchèque mais aussi dans d’autres pays d’Europe. Ainsi, on peut trouver plusieurs châteaux, églises ou établissements culturels, dont le château de Montecarlo en Italie ou la galerie des blasons de la famille des Luxembourg au château de Lauf en Allemagne, qu’il a fondés pendant ses « aventures guerrières » et pendant ses visites officielles dans différentes villes impériales.