Cinq ans de la vie d’une femme heureuse
« J’aime la vie et les fautes que j’y fais, » dit la comédienne Anna Geislerová (1976) dans un livre conçu comme un journal intime et dans lequel elle raconte les événements et les émotions de cinq années de son existence. Son début littéraire illustré par sa sœur Lela Geislerová a été un des plus grands succès de librairie de l’année 2015 en République tchèque. Le livre est sorti aux éditions Ikar sous le titre « P.S. ».
Un recueil de feuilletons
Il semble qu’Anna Geislerová soit condamnée à tout réussir. Tout ce qu’elle fait se solde par un succès. Cinq fois lauréate du grand prix de cinéma « Le Lion tchèque », elle n’avait sans doute pas besoin d’augmenter encore sa popularité par un livre. Elle affirme d’ailleurs que sa décision de publier ses textes n’a été due qu’à un concours de circonstances :« J’ai écrit pendant presque cinq ans des feuilletons pour un magazine féminin et puis on a eu l’idée de publier ces textes dans un livre. Ce sont sans doute les bouclages mensuels dans la rédaction du magazine m’obligeant à achever mes textes qui sont responsables de tout cela. Je crains de n’écrire jamais plus un livre sans ces bouclages. Il est vrai que l’écriture était pour moi quelque chose de familier et m’attirait toujours. Et dans le magazine on m’a offert un espace pour m’exprimer. Je fais assez souvent des choses rapidement sans réfléchir et j’ai donc accepté cette proposition qui a commencé à prendre forme presque toute seule. On m’a seulement dit: ‘Nous aimerions que tu fasses par exemple des photos, que tu écrives ou dessines quelque chose ou que tu fasses ce que tu veux.’ Alors j’ai fait ça. »
Pendant cinq ans les lectrices de la version tchèque du magazine Elle ont pu lire donc tous les mois les articles de l’actrice qu’elles connaissent bien du grand et petit écran et qui les a laissées entrer dans son intimité. C’est une chronique de petits événements qui ensemble forment une vie. Dans ces petits articles, la célèbre actrice aux cheveux roux ne parle que rarement de son travail, du cinéma et de la télévision, elle réserve beaucoup plus d’espace à sa famille et aux petites émotions qui jouent un rôle important dans sa vie intérieure. Par petites touches, elle esquisse des portraits de ses grand-mères, puis de ses parents, ses sœurs, son mari et finalement de ses trois enfants. Elle évoque aussi sa grossesse et la naissance de son dernier fils, Max.Les thèmes apportés par le quotidien
Elle avoue que pour écrire ces textes elle n’est pas obligée de faire de grands efforts. Comme elle parle des thèmes que lui apporte son quotidien, elle se considère plutôt comme une documentariste. Tous ses articles se terminent par un ou plusieurs postscriptums car elle a toujours besoin d’ajouter ou d’expliquer encore quelque chose, de mettre les points sur les i :
« On ne se rend compte de ce qu’il fallait dire que quand on est parti et quand on revoit dans la tête ce qui s’est passé. Et tout à coup on sait ce qu’il fallait dire. Et les postscriptums changent parfois pratiquement la signification de tout le contenu. C’est ce que j’aime beaucoup et j’ai commencé à utiliser les postscriptums depuis le premier feuilleton. Maintenant il me semble que ces postscriptums suffiraient peut-être pour remplir tout le livre. »Cette curieuse manie de cumuler les postscriptums à la fin de ses feuilletons a donné finalement le titre au livre que l’auteure a intitulé « P.S. ». Le ton de ces textes est léger, les phrases sont courtes et pleines d’exclamations, d’images et de couleurs. Les grands thèmes de cette confession - amour, famille, sexe, enfance, vérité, trahison – sont traités avec désinvolture et illustrés par de nombreux épisodes de la vie de l’auteure. Entourée par ses proches, elle se sent heureuse même si cette vie de famille la fait parfois souffrir. Souvent ses constatations ont le goût du paradoxe. Ainsi elle évoque son grand amour pour sa mère et aussitôt sa décision de ne jamais ressembler à celle qui lui a donné la vie. Elle parle également de son père disparu qui lui manque toujours.
Un des grands thèmes sinon le thème principal du livre est la maternité. « Avoir un enfant est beau et terrible », dit-elle et elle constate que tous les maux qui accompagnent la grossesse et la naissance sont infiniment pires que ce qu’on dit dans les livres. Pourtant quand le bébé arrive, le bonheur est infini. « Ce n’est pas vous qui avez un enfant, c’est l’enfant qui vous a », conclut-elle. Dans les passages intimistes elle parle assez ouvertement des problèmes du sexe sans révéler pourtant beaucoup de détails de sa vie érotique. « J’aime faire la connaissance des hommes, j’aime les faire rire, j’aime tomber amoureuse d’eux … », avoue-t-elle et elle n’oublie pas non plus ses amitiés féminines qui ont un rôle extrêmement important dans son existence. Elle affirme:« Il n’est pas vrai que l’amitié entre les femmes n’est qu’une trêve, un arrêt temporaire d’hostilités. » Son livre est illustré de nombreux dessins et Anna adore ces illustrations :« C’est splendide. Ce sont les illustrations de ma sœur Lela. C’est peut-être bête de le dire à propos de mon livre mais quand je le prends entre les mains et je le feuillette, ça me fait un très grand plaisir. Ce livre me plaît énormément. »
Quand c’est pour la première fois
Plusieurs chapitres du livre sont consacrés aux voyages. L’auteure évoque les impressions rapportées des Etats-Unis et de Madère et se souvient aussi de sa première visite à Paris qui a été une grande déception. Ce n’est que par la suite qu’elle a découvert les charmes de la capitale sur les bords de la Seine et s’est mise à l’aimer. Déjà les titres de certains chapitres démontrent l’étendu des thèmes traités par l’auteur souvent avec légèreté, esprit de dérision et humour. En voici quelques-uns : « Je ne sais rien sur les sports », « Œuf », « La lactation », « La confiture d’abricots », « Les larmes », « La femme et le rouge à lèvres », « La peur », « J’envie aux gens leur nature », etc. Parfois Anna Geislerová se hasarde à aborder même des sujets philosophiques comme les questions de la vie et de la mort sans jamais pourtant prendre un ton doctoral et commettre le pêché de pédanterie. Cette capacité de s’ouvrir et de parler ouvertement renforcée encore évidemment par sa popularité de star de cinéma, a attiré à Anna Geislerová l’attention et les sympathies de beaucoup de lectrices. Elle-même se dit étonnée par le succès de son livre :« J’ai été très surprise et ravie. C’était une très belle expérience. Quand on avance en âge, on a de moins en moins d’expériences qui arrivent pour la première fois. Tout se répète et ‘les premières fois’ sont de plus en plus rares. Bien que je sois habituée à l’attention des gens, cette fois-ci c’est exceptionnel. Pour la première fois, c’est vraiment moi qui ai fait ce livre. Je peux le toucher et les gens qui l’ont lu me donnent énormément en retour. Je ne peux pas dire que je me suis complètement livrée, je l’ai tout simplement écrit, je le remettais tous les mois au magazine, et j’en ai été énormément récompensée. »L’autoportrait qu’Anna Geislerová a brossé dans son livre est celui d’une femme qui réagit attentivement aux appels de la vie, qui se cherche, hésite, parfois se moque d’elle-même et fait des fautes, mais qui réussit finalement à mener une existence accomplie. En racontant ses impressions, elle nous apprend que les soucis quotidiens ne font que donner plus de contrastes, de mouvement et de saveur à l’existence. Et nous, en refermant son livre, nous nous rendons compte que le bonheur est un cocktail d’ingrédients doux et amers et que pour vivre heureux il faut surtout savoir savourer la vie dans tous ses aspects.