Yann Arthus-Bertrand : « Le film ‘Human’ nous rend un peu meilleurs »
La 18e édition du festival du film sur les droits de l’Homme, One World, bat son plein. Parmi les invités de cette année, le photographe et réalisateur français Yann Arthus-Bertrand, qui y présentait son film « Human ». D’ordinaire surtout connu pour ses célèbres photographies de la terre vue du ciel, Yann Arthus-Bertrand s’est, dans ce très long documentaire, intéressé aux hommes et femmes qui peuplent cette terre et à leurs histoires. Une mosaïque de témoignages dont il parlé au micro de Radio Prague.
« C’est important de le montrer à tout le monde, droits de l’Homme ou pas. Mais c’est vrai que c’est un film qui a plus de sens ici certainement. Ce n’est pas un divertissement, c’est un film un peu lourd sur la condition de l’être humain. D’ailleurs, mercredi soir, j’étais ravie de voir le succès auprès des jeunes ici. Je suis très content, car c’est un film que j’aime beaucoup et j’en parle toujours avec émotion. C’est un film que je vois toujours avec beaucoup de modestie, d’humilité parce qu’il est fort, parce que c’est ce que les gens nous ont donné. On a fait 2000 interviews dans le monde. Ce n’est pas un film facile parce qu’on parle de la guerre dans le monde, des réfugiés, de l’homophobie, donc c’est lourd. En même temps il n’est pas du tout pessimiste. C’est un film qui m’a rendu meilleur en tout cas. »
Vous aimez le revoir, ou avez besoin de le revoir ?
« C’est un film sur lequel on a énormément travaillé. Il fait aujourd’hui 3h15, ce n’est pas facile d’expliquer l’humanité en seulement trois heures. Je ne peux pas dire que je le revois à chaque fois en entier, mais chaque fois que je le vois, je pleure et je suis touché comme les autres. »
Pouvez-vous revenir à la genèse du film ?
« Je fais beaucoup de photos et de films vus du ciel. Un jour je suis tombé dans un petit village au Mali où j’ai vécu pendant deux jours formidables chez quelqu’un qui m’a raconté sa vie. C’était un agriculteur de subsistance – ils sont un milliard dans le monde et ce sont les gens les plus pauvres de la planète. Aujourd’hui, les deux tiers des gens les plus pauvres sont des paysans. Il m’a raconté sa vie, sans rien me demander, en me regardant droit dans les yeux. J’ai compris beaucoup de choses ce jour-là. Je me suis aperçu que parler aux gens qui vous regardent droit dans les yeux et vous ouvrent leur cœur, c’est beaucoup plus fort que n’importe quel article scientifique ou journalistique. J’ai voulu capter cette émotion que j’avais ressentie à ce moment-là avec sa famille qui m’avait accueilli comme quelqu’un de leur famille. Ils m’avaient tout montré : leurs trésors, leurs peines, leurs angoisses d’être malade, de ne pas pouvoir travailler la terre et de ne pas pouvoir nourrir leurs enfants. Moi qui étais un photographe ambitieux rêvant de faire la couverture de Paris Match, lui, sa seule ambition était de nourrir ses enfants, eh bien, ça m’a remis à ma place. Ce que j’avais découvert ce jour-là, j’ai eu envie de le mettre dans un film, car dès que je survolais la terre, je voyais un petit gars qui marchait dans un champ et je me demandais ce qu’il pourrait avoir à me raconter qui me rendrait plus intelligent. »D’une certaine façon, vous descendu du ciel vers la terre. Comment est-ce que ce film s’inscrit dans la continuité de votre travail ?
« Je pense qu’être écolo, c’est aimer la vie, les arbres, les animaux, mais aussi les gens. C’est tout aussi important. Mon travail est un regard amoureux sur la planète, mais j’ai aussi un regard amoureux sur les gens. Et surtout, c’est la première fois dans l’histoire de l’humanité, que l’avenir est très incertain. C’est très nouveau tout cela. Il y a le changement climatique. On sait ce qui va arriver mais en même temps on vit dans le déni collectif, on ne veut pas croire ce que l’on sait tous. Dans ce monde difficile, compliqué, avec la crise économique, climatique, le problème de réfugiés, on est un peu perdus. Je pense que ce qui nous rassemble, c’est de regarder le monde avec plus d’amour, moins de scepticisme, de cynisme, d’être plus généreux. Je vis dans le sixième pays le plus riche au monde et on doit accepter de partager ce qu’on a. Ça va être difficile et la seule façon de le faire, c’est d’aimer un peu plus les autres. »C’est le message politique du film ?
« C’est une politique faite par un citoyen normal, comme tout le monde peut le faire. A la fin du film, quand on demande quel est le sens de la vie à un petit garçon de 12 ans qui vit dans la rue, abandonné, sans rien, un ‘enfant-sorcier’ de Kinshasa, il réfléchit et dit : ‘de toutes façons, dieu a forcément une mission pour moi et la mission de ma vie, c’est à moi de la trouver’. Je pense qu’il a entièrement raison. On a tous une mission sur terre, de rendre le monde meilleur autour de soi. Je pense que dans ce monde difficile, où on peut être pessimiste, il est beaucoup trop tard pour être pessimiste. La seule chose qui est intéressante, c’est l’action, c’est de faire partie de ce monde et d’agir. Je pense qu’agir rend heureux. »
C’est un travail colossal, vous le disiez vous-même. Ce sont 2 000 personnes interrogées dans le monde dans une soixantaine de pays, des heures et des heures de tournage. Comment travaille-t-on sur un projet aussi vaste ?« Ce genre de projets nous dépasse un peu. Il faut savoir que le premier film faisait douze heures, et j’aimais bien ce film. A un moment, j’ai voulu assumer ces douze heures de film, mais bien sûr, on m’a dit que ce serait impossible de le montrer en salles, que ce serait pour un musée, ou juste un événement. Sans doute que ces personnes avaient raison. On a donc fait ce film de trois heures et c’est un énorme de travail de montage, mais pas si difficile que cela au final : ce qui était beau et évident, on l’a mis dans le film. On a commencé ce film sans histoire. Le film s’est fait en cours de route, et ça a marché. Mais de toute façon, on ne peut pas ne pas être touché par ce film car ce que vous disent les gens est absolument extraordinaire. »
Ce sont les gens qui ont fait le film, plus que le réalisateur…
« Exactement, les gens et les paysages. On a tout mis ça ensemble. On aurait pu faire ça autrement, mais on a décidé de commencer avec la guerre, et de finir sur le sens de la vie. On a travaillé avec deux monteuses pendant un an et demie. C’est le résultat de beaucoup de discussions. C’est un film familial, ça ne pouvait pas être autrement : on est tous des êtres humains avec nos histoires personnelles. Ce film peut nous ramener à beaucoup de choses. Tout le monde avait quelque chose à dire sur le montage ! Donc ça n’a pas été si difficile que ça, mais lourd à porter. »Comment avez-vous trouvé et sélectionné les personnes qui interviennent et comment avez-vous fait pour les mettre en confiance ?
« D’abord c’est des équipes formidables de journalistes qui aiment les gens, qui partent en sachant qu’on va ramener des images fortes. Ils sont donc conscients de leur responsabilité. Ce sont des gens qui ont beaucoup d’empathie. On commence par demander : quel est votre nom, votre famille, votre métier ? Puis des questions plus difficiles : qu’est-ce que vous voulez changer dans votre vie ? Quel est l’événement le plus dur et qu’en avez-vous appris ? C’est aussi un film politique, donc si vous allez voir des réfugiés, vous expliquez comment ils sont partis de chez eux, si vous voulez parler de la guerre, vous allez voir des vétérans aux Etats-Unis, au Cambodge ou au Rwanda et vous expliquez comment on sort de la haine et de la vengeance. Tout cela est un mélange de questions assez faciles et en même temps très ciblées. »
Y a-t-il un moment particulièrement marquant de ce tournage ou un témoignage qui vous a plus marqué qu’un autre ?
« Non. Mais il y a le témoignage du début de ce type qui a tué un enfant et que la grand-mère pardonne. Il découvre l’amour en prison grâce à elle. C’était très fort et bien dans l’esprit du film de la rémission. On a tous en nous ce côté terrible. Il y a une femme israélienne qui résume bien le film. Elle dit : ‘Je suis une femme israélienne, mais aussi la femme palestinienne qui se fait exploser dans une école, je suis aussi le soldat israélien qui tue un enfant palestinien, je suis aussi la personne qui mettait les gens dans les chambres à gaz, je suis aussi la femme violée, mais aussi le violeur.’ Elle a bien compris cela : on a tous cela en nous. Tous ces gens qui parlent à l’écran, c’est vous qui parlez et personne d’autre. »« Human » va de pair avec un livre. Pourquoi avez-vous eu besoin d’accompagner le film avec un ouvrage ?
« Dans le film il y a beaucoup de choses qui ne sont pas expliquées. Donc on y explique par exemple l’histoire de l’Américain au début. Dans le film il n’y a aucun commentaire, donc le livre est un peu le commentaire du film. Mais on a fait aussi sept films de télévision qui expliquent le parcours de ‘Human’. »
Qu’est-ce que ce film vous a apporté personnellement ?
« Je pense que c’est un film qui nous rend meilleur, un peu plus humain… »
Est-ce que vous avez un autre projet après celui-ci ?« Oui. Et c’était une évidence : le prochain film s’appelle ‘Woman’. C’est un film sur les femmes. On est en train de monter l’équipe. On a déjà trouvé un peu d’argent. Les gens qui ont vu ‘Human’ comprennent très bien ce qu’on peut faire avec ‘Woman’. J’espère qu’on va trouver les moyens, mais on en est dans la phase de production et on est en train d’écrire. »