Le regard des protestants français sur la figure de Jan Hus (I)
Début novembre, l’historien Patrick Cabanel, spécialiste du protestantisme dans la France moderne et contemporaine, donnait une conférence à l'Institut de théologie protestante à Paris sur le regard porté par les protestants français sur le réformateur tchèque Jan Hus, considéré en République tchèque comme une importante figure nationale et dont est commémoré cette année le 600e anniversaire de la mort. Patrick Cabanel a accordé un entretien sur le sujet à Radio Prague, dont voici la première partie.
Quels sont les traits qu’ils mettent en avant dans cette filiation ? S’agit-il de l’expérience commune des persécutions ?
« Il y a effectivement cette expérience des persécutions mais plus fondamentalement, de manière théologique fondamentale, il y a l’idée que ce sont de mêmes chercheurs de vérité et de retour à l’évangile. Ils ont tendance à considérer, et cela deviendra systématique au XIXe siècle, que Hus est le type même du pré-réformateur. C’est une expression qui est un peu anachronique, mais c’est ainsi qu’ils vont présenter Hus et d’autres, un précurseur et donc au XIXe siècle un pré-réformateur. A leurs yeux, c’est la même histoire, la même quête du vrai évangile contre les perversions que l’Eglise, en l’occurrence l’Eglise catholique, aurait apportées.
Voilà comment une sorte de lignée se reconstruit. Théologiquement, elle est sans doute très fragile mais sur le plan de la généalogie inventée, cela fonctionne de façon assez remarquable. De même qu’il y a une sorte de ligne officielle qui est celle évidemment de l’Eglise catholique, et papiste comme disent beaucoup de ses adversaires, il y a une lignée qui est en partie clandestine, souvent persécutée, mais qui finira par aboutir au grand jour de la vérité évangélique. Et dans cette lignée-là, Hus est vraiment important. Comme avec les vaudois auparavant. La lignée remonte même au cœur du Moyen Âge. On croit même au XVIe siècle que les Albigeois ou les cathares font partie de cette lignée persécutée du vrai évangile et on reconstruit la filiation cathares/vaudois/hussites/protestants du XVIe siècle. »Y a-t-il également un regard critique sur Jan Hus, sur la réforme qu’il a pu engager ?
« Je crois que ces théologies, qu’elles soient cathare, vaudoise ou hussite, sont mal connues des réformés, des théologiens du XVIe siècle. Y compris pour des problèmes de langue quelques fois, sauf évidemment lorsque les livres ont été écrits en latin. Mais l’idée n’est pas tellement pour eux de vérifier la réalité de chacun des systèmes théologiques, mais c’est de se persuader que, puisque tous ces groupes ont été de la même manière dénoncés comme hérétiques par la grande Eglise officielle, persécutés successivement, ils avaient tous la même vérité, c’est-à-dire tout simplement l’évangile. Après il y a vraiment des ignorances caractérisées. Par exemple, je crois qu’on peut dire que les réformés du XVIe siècle n’ont rien compris au catharisme. Du reste, il reste difficile de comprendre le catharisme. Mais ils les ont désignés comme ancêtres théologiques alors que je pense que sur le plan théologique, les proximités sont plus fortes avec les vaudois et avec les hussites. »
Au moment de la révocation de l’édit de Nantes, via l’édit de Fontainebleau en 1685, des centaines de milliers de protestants fuient la France. Certains se réfugient-ils en Bohême, peut-être avec l’idée que ces pays tchèques ont par le passé accueilli un mouvement « pré-réformateur » ?
« Non, il n’y a pas de refuge huguenot dans les pays tchèques. Au moment de la révocation de l’édit de Nantes, les protestants français, les huguenots donc, qui fuient, s’installent systématiquement dans les Etats protestants. Que ce soit Genève et les villes suisses, que ce soit le monde germanique ou hollandais, britannique, écossais, un peu scandinave. Au moment de la révocation de l’édit de Nantes, la Bohême n’est plus que l’un des espaces d’un Etat les plus catholiques qui soient, l’Autriche. Cela suffit à faire qu’il n’y ait aucune direction d’immigration vers Prague. Là, l’idée qu’entre les hussites et les huguenots, il y a une filiation, n’est pas suffisante pour transformer le refuge huguenot en une filière géographique qui irait vers la Bohême. Ils cherchent vraiment les Etats protestants où ils sont sûrs de nouvelles persécutions politiques. L’Autriche évidemment ne pouvait pas à l’époque leur offrir une garantie de cette sorte. »