« Les écrivains sont des individus fondamentalement politiques »
Du 6 au 9 novembre, la capitale tchèque accueille la 25e édition du Festival des écrivains de Prague. Cette année, le thème central de ce rendez-vous littéraire est la peur. Il y a quelques années, le festival avait connu une crise profonde, en raison de la suppression des subventions allouées les années précédentes par la mairie de Prague. Pour parler de l’état actuel des choses et du programme de cette année, Radio Prague s’est entretenue avec Guillaume Basset, le directeur-adjoint du festival :
Le thème de cette année est la peur. C’est un thème très en résonnance avec l’actualité : les guerres, le chômage, l’insécurité, le terrorisme, la peur de l’autre… C’était une volonté de refléter la marche du monde ?
« C’est plutôt l’inverse, l’actualité colle effectivement au thème que nous avions prédéterminé. Le thème est choisi selon le principe que la peur est un phénomène essentiel dans les rapports individuels, politiques et sociaux. C’est l’un des principaux thèmes politiques, le sous-titre du festival étant ‘Laissez-les haïr tant qu’ils craignent’, puisque le ‘meilleur’ mode de gouvernance est par la peur. »
Dans ce contexte, quel est le rôle de la littérature et des écrivains ?
« Pour revenir sur la question de la peur, la peur est ce qui est invisible et ce qui permet de gouverner par l’invisible. Le rôle des écrivains, de la littérature, c’est de voir derrière les apparences, de montrer l’invisible et la réalité des choses. Ce rapport entre la littérature et de la peur, est celui de l’arrière des choses, de la vérité de celles-ci. La littérature se retrouve forcément confrontée à ce qui produit la peur. Elle la dépouille et permet de régler les questions de peur et de domination qui s’y articulent. »
Pour parler de ce thème et de littérature, vous avez une belle palette d’invités, en dépit des coupes budgétaires. Peut-on citer quelques noms des personnalités invitées ?
« Nous avons Samuel Shimon, un écrivain irakien, assyrien c’est-à-dire chrétien. Il a fui l’Irak, est arrivé à Paris et vis désormais à Londres où il a créé la revue Banipal qui s’intéresse à la littérature arabe au niveau mondial. Dans ses romans et dans sa vie, il traite en effet de la question de la peur et de ces questions très actuelles du fait du groupe Etat islamique. Nous avons aussi un écrivain auquel je tiens beaucoup, Mahmoud Dowlatabadi, un écrivain iranien auquel se rattachent deux petites anecdotes intéressantes. A l’époque du Shah, il était déjà extrêmement populaire. Il a été arrêté par la police secrète du Shah pour une seule raison : chez quasiment tous les dissidents arrêtés à l’époque, ils ont trouvé des livres de Dowlatabadi et se sont dit que si tous les dissidents lisent cette auteur, c’est qu’il doit être dissident lui-même ! Ils l’ont donc emprisonné pour deux ans. Après sa libération, il a continué à écrire, il est très populaire en Iran même si son statut est particulier du fait de la république islamique. Le livre dont il va lire des extraits au festival, Le colonel, publié en français, en allemand, en anglais, et qui a remporté l’Asian Booker Prize, est en réalité encore interdit en Iran. Nous avons également Arnon Grunberg, auteur néerlandais qui a passé beaucoup de temps avec les troupes de son pays en Afghanistan et en Irak. Il y a aussi Yishai Sarid, écrivain israélien, dont le livre Le poète de Gaza, publié en France chez Actes Sud, traite des services secrets et de la problématique des mouvements indépendantistes islamistes dans la bande de Gaza, ce qui fait une fois de plus écho au thème de la peur et à l’actualité brûlante du Moyen-Orient. »Dans le cadre du festival sera remis le prix Spiros Vergos, pour la liberté d’expression. Quel est ce prix et à qui va-t-il être remis cette année ?
« Le prix Spiros Vergos a été créé en 2008 en hommage à l’ancien attaché culturel grec à Prague qui était écrivain. Il est décerné aux écrivains qui dans leurs activités, pas uniquement littéraires, ont pris fait et cause pour des questions politiques brûlantes. La première à avoir reçu le prix en 2008 était Natalia Gorbanevskaïa qui avait manifesté en 1968 à Moscou contre l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie. Il y a eu Günther Grass. Cette année, il sera remis à Constantine Kokossis, ancien ambassadeur grec en République tchèque, écrivain lui-même, qui a fondé un hôpital en Grèce et se bat pour la possibilité pour les réfugiés d’être soignés de manière efficace en Grèce. Ce n’est donc pas seulement l’œuvre qui est récompensée mais l’action du citoyen-écrivain. Nous pensons, au festival, et ses 25 ans le prouvent, que les écrivains sont des individus fondamentalement politiques. »