Ája Vrzáňová, la dernière pirouette d’une grande dame du sport tchèque
« Quand les gens me demandent comment je fais pour avoir l’air en si bonne forme, je leur réponds que c’est parce que j’ai passé toute ma vie sur la glace. » Elle était ce que l’on appelle une Dame. Une incarnation de l’élégance. Belle, souriante, optimiste en toutes circonstances et toujours très noble dans ses apparitions publiques, l’ancienne patineuse artistique Ája Vrzáňová est décédée subitement jeudi à New York. Elle était âgée de 84 ans. Première et toujours unique Tchèque à avoir été sacrée championne du monde en 1949 et 1950, Ája Vrzáňová, qui avait fui le régime communiste et émigré aux Etats-Unis au début des années 1950, était et restera, au même titre que la gymnaste Věra Čáslavská ou Martina Navrátilová, une légende du sport tchèque et tchécoslovaque. Au-delà d’une carrière exceptionnelle sur la glace, c’est aussi, comme pour Čáslavská et Navrátilová, une vie marquée par quelques chapitres tragiques et douloureux qui restera gravée dans les mémoires.
En 1950, deux ans après « Le Coup de Prague » et après avoir conservé sa couronne mondiale remportée un an plus tôt à Paris, Ája Vrzáňová, Alena de son vrai prénom, profite de la tenue des championnats à Londres pour demander l’asile politique. Elle émigre alors aux Etats-Unis et quitte pour de bon la Tchécoslovaquie, son pays qui s’enfonce dans la dictature et qu’elle ne reverra plus avant près de quarante ans. Peu avant les Mondiaux, alors qu’elle n’a encore que 18 ans, les fonctionnaires communistes demandent à Ája Vrzáňová d’abandonner sa carrière de patineuse pour aller entraîner à Moscou. Après consultation sur le pont Charles avec son père, pourtant encore conseiller en chef du ministère des Finances, elle choisit l’asile.
Aux Etats-Unis, la Tchèque, passée professionnelle, devient très vite une vedette des revues sur glace Ice Follies et Ice Capades, désormais sous le pseudonyme d'Aja Zanova :
« Zanova, oui… Vous savez, ces ‘V’, ‘R’ et ‘Z’, trois consonnes en suivant au début de mon nom… Que dire ? J’étais championne du monde, j’étais une fille tchèque, une brune, tout ce que vous voulez pour les gens, mais je n’ai jamais pu porter mon nom. Il était trop difficile à prononcer pour les Américains. Je voulais conserver le suffixe ‘-ova’ pour garder une connotation tchèque ou slave, et c’est pourquoi nous avons décidé avec ma maman de supprimer les deux premières lettres, le ‘V’ et le ‘R’. C’est ainsi que je suis devenue Aja Zanova. »Très attachée à son pays d’origine malgré l’éloignement et le temps qui passe, Aja Zanova est toutefois toujours restée Ája Vrzáňová dans le cœur et la mémoire des Tchèques. Et à la différence d’une Martina Navrátilová, d’un Ivan Lendl ou d’autres Tchèques émigrés aux Etats-Unis, la première patineuse de l’histoire à avoir réussi un double lutz en compétition a veillé à s’exprimer dans un tchèque sans accent ou presque :
« J’ai été longtemps mariée à partir de 1969 avec un Tchèque qui était originaire de Prague et que j’ai rencontré à New York, Pavel Steindler. C’était un homme très bien et nous parlions bien entendu tchèque ensemble, comme avec ma maman, qui m’avait suivie aux Etats-Unis. Je n’aime pas quand on mélange le tchèque et l’anglais et c’est pourquoi je fais l’effort, sans me forcer et avec plaisir, de conserver un bon niveau de tchèque. »
Parallèlement, tandis qu’elle refait sa vie en Amérique, son père, resté à Prague, est menacé et traqué par la police secrète StB à Prague. Il lui faut attendre treize ans avant d’être autorisé à aller rendre visite à sa fille de l’autre côté de l’Atlantique. Mais lorsque son papa, qui s’était sacrifié pour elle, meurt en 1978, Ája Vrzáňová, devenue propriétaire avec son mari d’un restaurant à New York fréquenté par Miloš Forman, Woody Allen, Paul Newman et autres Frank Sinatra, n’est pas autorisée à assister à son enterrement.Il lui a donc fallu attendre les manifestations de la fin de 1989 pour pouvoir, enfin, retrouver ce pays qui lui tenait tant à cœur. Elue Légende sportive tchèque en 2009, Ája Vrzáňová, amoureuse de Prague, une ville où elle revenait très régulièrement, a également été décorée de la Médaille du Mérite par le président tchèque en 2004. Et quel mérite…