Mama Africa : un coin d’Afrique au cœur des anciennes mines de charbon
La Camerounaise Agnès Laure Amougou Mengue et le Tchèque Petr Peniška se sont connus il y a quelques années en Afrique, où ils collaboraient à un projet éducatif. Après leur mariage, ils se sont installés à une centaine de kilomètres au nord-ouest de Prague, à Most, une des plus importantes villes minières sous le régime communiste, et à l’heure actuelle une des villes tchèques les plus frappées par le chômage. C’est bien à Most, une commune de 67 000 habitants, depuis toujours proche de l’Allemagne voisine mais à présent assez peu cosmopolite que le couple a ouvert, il y a deux ans, un des rares cafés-restaurants africains qui existent en République tchèque. De plus, « Mama Africa » dépasse le concept d’un simple café, c’est aussi un lieu d’expositions, de concerts, de spectacles et, évidemment, de dégustations des spécialités africaines. Un dépaysement que les habitants de Most semblent apprécier et, aussi, une véritable aventure pour Agnès et Petr...
« Avant de rencontrer Agnès, j’avais fait connaissance de deux médecins africains qui travaillent à l’hôpital de Most. Récemment, il y a un dentiste africain qui s’est installé ici avec sa famille. En plus de cela, trois enseignants originaires d’Afrique vivent à Most. Donc la communauté africaine locale est vraiment petite, elle ne compte qu’une dizaine de personnes. Un de ces médecins, originaire d’Afrique orientale, assiste souvent notre cuisinier et lui apprend à préparer les plats typiques de la cuisine locale. Il est vraiment à côté de lui à la cuisine et lui dit ce qu’il faut mettre dedans pour que le goût soit authentique. Oui, monsieur le docteur nous aide beaucoup (rires). »
Quelque temps avant l’ouverture du café « Mama Africa », Agnès et Petr Peniška tenaient un restaurant africain à Teplice, non loin de Most. Bien que Teplice soit une station thermale recherchée par les touristes, ce premier projet du couple tchéco-africain a mal tourné et le restaurant a fermé. Petr Peniška :« En République tchèque, la cuisine africaine est quasi méconnue. Pour autant que je sache, presque toutes les tentatives de l’introduire ici ont échoué. Il y avait un café éthiopien dans le quartier pragois de Žižkov qui a fermé. Mais c’était un projet plus vaste à vocation sociale, car ce café employait des personnes handicapées. Ensuite, il y avait un restaurant africain à Brno, un restaurant assez chic et cher, il a fermé aussi. Actuellement, un nouveau restaurant qui s’appelle Pretoria vient d’ouvrir à Prague, je veux bientôt y aller avec mes amis. Nous nous sommes donc lancés dans la cuisine africaine à Most… Rien que pour trouver un cuisinier, quelqu’un de passionné et de courageux, c’était assez difficile. Finalement, nous l’avons trouvé, il est Tchèque, mais il a l’expérience du travail à l’étranger. »
Pour faire de véritables plats aux saveurs de l’Afrique, ce café-restaurant s’approvisionne en dehors de Most et de Prague, plus précisément à Dresde et à Hambourg. Tout de même, il reste assez difficile de se procurer dans la région des épices africaines. Agnès Peniška :
« Les épices que nous utilisons proviennent du Cameroun et d’autres coins d’Afrique. Du coup, quand je vais chez moi, je ramène plusieurs valises entièrement remplies de sachets d’épices ! (rires) Ou alors, quand mes amis vont en Afrique, je leur passe commande. Quand je risque d’épuiser mon stock, je vais à Berlin ou à Prague, mais je n’y trouve pas toujours ce dont j’ai besoin. Alors j’essaie d’avoir des provisions pour au moins six mois. »Avez-vous l’impression que les Tchèques commencent à aimer la cuisine africaine ? Ils sont quand même assez conservateurs…
« Oui, très conservateurs. Ceux qui viennent chez nous sont soit des curieux, soit des gens qui ont déjà voyagé, qui connaissent l’Afrique. Mais il est difficile de convaincre un Tchèque ordinaire… »
La cuisine tchèque, cela vous dit quelque chose ?
« J’aime le goulasch ou le poivron rempli de viande hachée. C’est vrai que la ‘svíčková’ par exemple, ce n’est pas ça, mais… je peux en manger. Mais vous savez, quand je prépare moi-même le goulasch, j’y mets toujours une pincée d’épices d’Afrique (rires). »Pendant qu’Agnès Peniška s’habitue aux particularités de la gastronomie tchèque, les clients de son café découvrent petit à petit les divers goûts des cuisines africaines. Petr Peniška :
« Récemment, nous avons proposé, ici au café, deux menus de dégustation, consacrés aux plats typiques de la forêt tropicale d’Afrique de l’ouest et de la côte de l’Afrique de l’est. Les réactions des gens ont été similaires. Presque tous nous ont dit : ‘Au début, on avait des réserves, mais finalement, tout ce qu’on a goûté était extra !’ Personnellement, j’ai fait cette même expérience lors de mes voyages en Afrique et mes compatriotes qui ont voyagé avec moi l’ont faite aussi : parfois, on nous a servi des choses vraiment bizarres, mais c’était à chaque fois excellent. Une seule fois, j’étais un peu déçu. On m’a fait goûter de la viande de porc-épic, considérée comme un délice. Mais moi, j’ai eu l’impression de manger du caoutchouc. Je n’ai pas trop aimé... Là, j’ai eu l’impression de commettre un faux pas : tout le monde était étonné que je n’apprécie pas ce plat de fête. »
Le premier voyage de Petr Peniška en Afrique a eu lieu il y a dix ans. Mais ce voyage purement touristique et organisé qui l’a emmené en Tunisie ne l’a pas vraiment satisfait…« Oui, je me trouvais en Afrique, mais dans un univers arabe et non pas en Afrique noire qui m’attirait beaucoup plus. Je contemplais le Sahara en me disant : voilà, c’est là-bas, de l’autre côté du désert que je voudrais aller. Et alors, j’ai convaincu quatre copains, nous avons pris nos appareils photos et nous sommes partis d’abord au Kenya qui est le pays le plus accessible aux touristes, et ensuite en Tanzanie. »
Dès lors, Petr Peniška, pédagogue et psychologue de formation, a effectué de nombreux voyages sur le continent noir, consacrés notamment à la découverte des tribus d’Afrique centrale. Ses expériences l’ont emmené à organiser des conférences, écrire des livres et aussi participer à un projet éducatif sur les peuples africains, leurs modes de vie et cultures, projet destiné aux enseignants tchèques. C’est justement au cours d’un de ses voyages au Cameroun que Petr Peniška a fait connaissance de sa future femme. Agnès faisait à ce moment-là des études de marketing à l’université de Yaoundé. Elle revient sur sa décision de suivre Petr en République tchèque :
« Je n’avais jamais imaginé vivre en République tchèque. S’il fallait choisir, j’opterais pour la France, peut-être pour la Suisse ou la Belgique, pour un pays francophone ou encore anglo-saxon. Mais la République tchèque ? Non, elle était vraiment loin de mes pensées... C’était aussi difficile pour mes parents, ils me disaient : ‘Que vas tu faire là-bas ?’ Ils s’inquiétaient aussi à propos de l’ancien régime communiste. »Saviez-vous quand-même quelque chose sur la République tchèque avant de vous y installer ?
« Oui et mon père aussi. C’est pour cela qu’il me rappelait toujours des faits historiques. J’expliquais à mes parents que les choses ont changé, que la situation ici est stable, qu’il n’y a pas la guerre... En plus, avec Internet, on peut avoir toutes les informations que l’on veut. »
Mais quand même, à votre première venue ici, qu’est-ce qui vous a frappée ?
« Ce qui m’a beaucoup plu, ce sont les anciennes villes et les châteaux. J’aime visiter ces lieux qui m’emmènent dans une autre époque. »
Vous deviez alors être un peu déçue en vous retrouvant à Most, n’est-ce pas ? C’est une ville assez particulière, du fait que tous ses bâtiments historiques ont été démolis à cause de l’exploitation du charbon...
« Quand j’ai vu un film sur la démolition de Most, je me suis dit : ‘Quel dommage !’ J’aurais tellement aimé vivre dans l’ancienne ville... Franchement, je ne pense pas m’être installée à Most une fois pour toutes. J’aime les endroits où je sens que le pays vit. »On le sait bien : les Tchèques, cloîtrés pendant quarante ans dans le bloc communiste, isolés des pays multiculturels se montrent souvent méfiants voire carrément hostiles à l’égard des étrangers. Des propos haineux et xénophobes, prononcés ces derniers mois par de nombreux opposants à l’accueil des réfugiés en République tchèque, en sont une triste preuve... Mais Agnès Amougou Mengue n’a pas ce genre d’expérience.
« Une seule fois, un monsieur m’a adressé de tels propos, mais je crois qu’il était tellement ivre qu’il ne savait pas vraiment ce qu’il disait. Sinon, depuis quatre ans que je vis ici, je n’ai jamais été victime d’insultes racistes. Je trouve même qu’ici, les gens sont plus ouverts qu’en France. Ils sont accueillants et surtout très curieux : ils me demandent tout de suite qui je suis et d’où je viens. Peut-être que pour eux, la communauté africaine reste encore quelque chose de nouveau. Et moi, ça me plaît ! (rires) »
Qu’est-ce qui vous manque le plus en République tchèque ?
« Le soleil ! (rires) Mais je ne peux pas changer la nature. Je me suis déjà un peu habituée, mais les hivers restent difficiles pour moi. Je dors plus et j’ai besoin de plus d’énergie. Sinon, les gens sont vraiment sympas. Ce qui est drôle, c’est que ceux qui ont voyagé en Afrique viennent souvent me voir au café pour me raconter leurs impressions. »Dans une interview accordée à la presse locale, vous racontez qu’il n’était pas simple pour vous de trouver un salon de coiffure tchèque qui vous conviendrait...
« (rires) Oui, c’est vrai ! »
Vous avez de très beaux cheveux longs... Où est donc le problème ?
« J’ai des amies coiffeuses, ici à Most. Quand je leur demande de me faire du shampooing et du brushing, elles paniquent : ‘Oh non, je ne sais pas me débrouiller avec tes cheveux !’ Du coup, je suis toujours obligée de faire appel à une coiffeuse africaine qui habite Prague. Pareil quand je veux me faire faire des rasta ou des nattes. Je prends rendez-vous avec elle et elle vient me coiffer à Most ou bien je fais le déplacement à Prague. Lorsqu’il m’arrive d’aller dans un salon ordinaire à Most, c’est toujours une aventure, et pour moi et pour les coiffeuses ! Il est vrai que quand mes cheveux touchent l’eau, ils deviennent touffus et difficiles à peigner. Les Tchèques n’ont pas ce genre d’expérience et du coup... c’est la folie au salon de coiffure ! »Nous l’avons déjà dit, « Mama Africa » n’est pas un simple café, c’est un petit coin d’Afrique au cœur de la Bohême du nord. L’ambition du couple tchéco-camerounais est de présenter le continent sous différentes facettes : non seulement à travers la nourriture, mais aussi par la musique, le théâtre et les arts plastiques. On écoute Petr Peniška :
« Récemment, nous avons fait connaissance d’un magnifique ensemble de Bulawayo qui s’appelle Yassa. Il se produit souvent en Autriche, de temps en temps aussi en République tchèque. Il se trouve que le manager du groupe a découvert le site internet de notre café et apprécie notre projet. Du coup, nous avons invité le groupe à Most : il devrait bientôt donner un concert dans notre café, un concert suivi d’une dégustation de spécialités de la cuisine africaine… Ensuite, nous organisons, en collaboration avec une troupe de théâtre de Teplice, des spectacles sur l’Afrique destinés aux enfants. Agnès et notre cuisinier Martin préparent une série de dégustations, ansi que des ateliers consacrés à la cuisine africaine. Côté musique, nous allons faire appel à deux DJs, un Africain et un Pragois, qui présenteront ici des soirées musique d’Afrique. On verra bien si le public de Most y prend goût… Enfin, nous organisons, dans nos locaux, des expositions, par exemple celle des photos de l’artiste tchèque Líba Taylor. Elle s’intéresse aux destins, parfois très durs, des gens qu’elle rencontre au cours de ses voyages à travers toute l’Afrique. »Le café Mama Africa se trouve au centre culturel Repre de Most. Il est ouvert tous les jours jusqu’à 22h00 : www.mama-africa.cz