Le cas Macháček, révélateur du profond malaise de la presse tchèque
Dans un monde où la presse est frappée de plein fouet et durablement par la crise et l’arrivée des nouvelles technologies, la presse tchèque doit faire face en plus à des problèmes particuliers de conflits d’intérêt. Dans un pays où le richissime ministre des Finances possède deux des quatre principaux quotidiens et la radio privée avec la plus forte audience, on peut s’étonner que ces problèmes ne soient pas arrivés plus tôt. Une récente affaire a remué le microcosme médiatique pragois et mis à jour les conséquences de l’évolution de ces dernières années dans la presse tchèque.
Quelques semaines plus tard, l’une de ses nouvelles collègues au sein de la rédaction de Lidové noviny, s’est étonnée de la ressemblance entre l’un de ses éditoriaux et un document du parti politique d’Andrej Babiš (ANO). Kateřina Šafaříková raconte la suite elle-même :
« Un jour je me suis donc rendue compte que mon collègue journaliste était en même temps un consultant d’Andrej Babiš. Il joue donc un rôle actif en politique. Je trouve que cet amalgame des deux rôles est inacceptable. J’ai présenté les faits à mon rédacteur en chef, qui n’a pas considéré l’affaire comme importante. Pour moi ce n’est pas acceptable et c’est la raison pour laquelle j’ai posé ma démission. »Une démission annoncée sur les réseaux sociaux et qui a fait du bruit, car Kateřina Šafaříková est également une journaliste chevronnée, ancienne correspondante à Bruxelles dont la signature est connue de tous.
L’éditorialiste mis en cause s’est défendu et a comparé sa situation aux plus célèbres des chroniqueurs américains du New York Times – mais même ses plus proches collègues ont eu du mal à accepter ce mélange des genres. Depuis ces révélations, sa signature est précédée d’une mention indiquant qu’il dirige l’institut, ou plutôt le think tank, du parti du ministre.
Au-delà de cette affaire, pour le président du syndicat des journalistes tchèques, Adam Černý, c’est l’évolution de ces dernières années qui est problématique en soi pour la presse nationale :« Avec la crise, les investisseurs – en majorité allemands – se sont retirés du paysage médiatique tchèque. Depuis, des groupes économiques et industriels tchèques ont pris leur place, ce qui pose problème. Le cas d’Andrej Babiš, grand entrepreneur, à la tête d’un mouvement politique, vice-premier ministre et ministre des Finances, constitue une combinaison de conflits d’intérêts frappante. »
Une situation nouvelle pour une presse tchèque redevenue libre depuis seulement un quart de siècle et la chute du communisme. Avec donc des hésitations sur la marche à suivre et la ligne éditoriale à tenir.
L’hebdomadaire Respekt a pendant un temps choisi de ne jamais parler des affaires de son propriétaire, Zdeněk Bakala, surnommé le « baron du charbon ». Un choix sur lequel la rédaction est récemment revenu, car il devenait de plus en plus difficile d’éviter toutes les ramifications du business de ce millionnaire.
Pour Kateřina Šafaříková, également passée par la rédaction de Respekt, c’est le risque de l’autocensure qui plane sur le journalisme d’investigation local :
« On ne sait pas très bien si un article critique vis-à-vis du propriétaire serait validé par la rédaction en chef. Assez souvent mes collègues n’ont pas l’énergie, la volonté ou le courage de se battre : c’est ça l’autocensure. »
« La République tchèque a désormais un problème d’oligarque » : c’est le titre d’un récent article du magazine américain Foreign Policy consacré à la montée en puissance d’Andrej Babiš et à ses multiples conflits d’intérêt potentiels. Certains n’hésitent pas à parler d’une « berlusconisation » du pays.Dans les rues de Prague les avis sont partagés sur la récente arrivée en politique de cet homme d’affaires qui a fait fortune dans l’agrochimie avant d’investir dans tous les domaines, de la reproduction assistée jusqu’aux médias :
« Selon moi c’est un énorme problème, dit cette enseignante, on ne connaît ni ses idées ni ses véritables ambitions et le fait qu’il possède désormais des médias fait que la presse manque de neutralité. »
« De manière générale les potentiels conflits d’intérêts de M. Babiš sont un problème », concède Petr, un retraité qui a émigré aux Etats-Unis sous le communisme, « mais j’ai plutôt l’impression que le mettre en cause fait partie d’une stratégie de l’opposition pour déstabiliser la coalition gouvernementale. »
« Bien sûr les organes de presse qu’il possède sont devenus moins crédibles mais c’est difficile parfois de faire face aux campagnes médiatiques », explique Mirek, un jeune entrepreneur pour qui il serait important que la législation change et empêche les politiciens de contrôler des médias. « Ce n’est pas comme ça que la démocratie doit fonctionner », ajoute-t-il.Le quatrième pouvoir de la démocratie tchèque traverse en tout cas une passe difficile. Au syndicat des journalistes on se rassure comme on peut et le président espère que la prochaine arrivée sur le marché de la version tchèque du magazine Newsweek, financé par un groupe slovaque, va apporter un souffle nouveau à la presse locale.