Markéta Perroud : « L’aspect imaginatif et sportif de la danse m’a toujours attirée »
Rencontre avec Markéta Perroud, co-directrice du festival de danse contemporaine Tanec Praha qui se déroule à Prague, du 25 mai au 26 juin. Cette ancienne danseuse a été récemment faite Chevalier dans l’Ordre des Arts et de Lettres à l’ambassade de France à Prague. L’occasion de revenir sur son parcours mais aussi sur le programme du festival qui bat son plein.
« C’était un peu par hasard. Je ne veux pas vous décevoir ! Il faut peut-être que je revienne à ma naissance. Ma grand-mère était danseuse au Théâtre national de Prague. Elle a arrêté de danser, comme ça se faisait à l’époque parce que son mari lui a donné le choix entre être danseuse et fonder une famille. Elle a bien entendu choisi la famille. Elle ne m’a donc pas du tout influencée, d’autant moins qu’elle est décédée quand j’avais deux ans. Mais quand je suis née, elle aurait dit que je serai danseuse plus tard. »
C’est comme les bonnes fées qui se penchent sur le berceau de l’enfant…
« C’est cela. Ensuite j’ai grandi, et c’est vrai que j’étais plutôt sportive. Je voulais tout essayer. J’ai fait de la gymnastique. Il paraît que j’avais tout le temps besoin de bouger. Une de mes amies m’a demandé si je ne voulais pas faire de la danse classique avec elle. J’ai toujours été quelqu’un qui avait envie de tout essayer, alors je me suis dit : pourquoi pas ? »
C’est comme cela que vous êtes d’abord devenue danseuse classique. Comment êtes-vous venue à la danse contemporaine ?
« Au départ, j’ai plutôt fait de l’éveil corporel, puis est venue la danse classique, le ballet. Je me rappelle que j’ai commencé chez une vieille dame, une ancienne ballerine… J’ai toujours voulu avancer et donc la prochaine étape, après la danse classique comme activité à côté de l’école, c’était le Conservatoire. Ma professeur de danse m’a suggéré de passer les examens. Je les ai passés et ça a été une surprise tout le monde, car j’ai été prise. »
Même pour vous, c’était une surprise ?
« Même pour moi. J’étais évidemment à fond, mais à côté, j’avais toujours ma petite idée d’aller dans une école de gymnastique sportive. Je ne savais pas trop, et quand la porte du Conservatoire s’est ouverte, je me suis dit que c’était génial. C’était quand même quelque chose ! Il y avait toute cette beauté, ce côté féérique mais aussi sportif. Le Conservatoire mélangeait à la fois l’aspect imagination et l’aspect physique qui m’attiraient depuis le début. »
Comment voyez-vous, avec le recul, ces années de formation ? C’était des années de labeur, des années heureuses, les deux à la fois ?
« C’était un défi. Parce que j’étais une enfant qui a toujours voulu bien faire les choses et donner le meilleur de moi-même, c’était vraiment une main tendue, comme une provocation qui dirait : est-ce que tu peux y arriver ? Moi, je n’ai jamais pensé avoir un corps idéal pour la danse. J’ai toujours été plus grande que l’idéal des danseuses de l’époque. J’ai vraiment pris cela comme un défi. »
Vous vous êtes retrouvée en France un peu plus tard. Comment êtes-vous arrivée à l’Opéra de Lyon ?
« C’était aussi une surprise pour moi… Je travaillais à l’époque dans la seule compagnie professionnelle tchèque ayant un répertoire de danse contemporaine. C’était après la Révolution de velours, il y avait des coupures de budget donc les conditions financières sont devenues très difficiles. Sur trente danseurs, on s’est retrouvés à six ! Mais c’était pour moi une des plus périodes de création : on savait pourquoi on était là… On voyageait en République tchèque, à l’étranger, mais c’était aussi vraiment épuisant. Au bout d’un moment, je me suis dit que je voulais arrêter. Je n’arriver pas à trouver un deuxième souffle. J’ai eu la chance de rencontrer Jiří Kylián, le plus grand chorégraphe tchèque actuel. Il a longtemps été le directeur du Netherlands Dance Theater, à La Haye. Il avait suivi mon parcours, et m’a proposé de venir le rejoindre. Les choses ont fait que j’avais d’autres intérêts à l’époque, ce qu’aujourd’hui évidemment je ne comprends pas ! Il m’a tout de même conseillé d’aller dans une grande compagnie de répertoire et d’essayer l’Opéra national de Lyon. J’ai passé les auditions et j’ai été prise… »Vous y êtes restée pas mal d’années…
« J’étais partie pour un an, et j’y suis resté quinze ans ! J’ai fini par revenir en République tchèque, avec un mari, deux filles et une belle carrière. »
Que retirez-vous de cette expérience en France. Vous disiez qu’en République tchèque, il y avait des problèmes de budget… En France, la situation était peut-être meilleure, mais est-ce qu’elle a aussi évolué depuis ?
« En France, c’est complètement différent. En République tchèque, la question est aussi de savoir quelle place la danse contemporaine a dans la société… En arrivant en France, j’étais choquée d’entendre dans presque chaque discours d’un politicien français, au moins une phrase qui concernait la culture. Les Français vont me dire qu’aujourd’hui ce n’est plus cela, mais à l’époque, vraiment, pour moi, c’était une grande différence. Ensuite, je suis rentrée dans une des plus grandes compagnies de répertoire en France, donc bien entendu les conditions financières ne sont absolument pas comparables. Il y a d’autres choses encore. Ce travail dans cette compagnie m’a ouvert d’autres portes, vers les plus grands noms de la danse contemporaine. J’ai eu la possibilité de travailler avec des gens extraordinaires. C’est une énorme richesse. »
Vous êtes aujourd’hui de retour en République tchèque. C’est la directrice du festival Tanec Praha Yvona Kreuzmannová qui vous a sollicitée pour venir travailler avec elle. Ce retour n’a-t-il pas été trop difficile ? Après 15 ans de vie ailleurs, on prend racine…« On ne sait pas que c’est difficile. Ou plutôt on le sait mais on réalise à quel point qu’après le retour. J’ai quand pris deux ans avant de dire oui. Yvona Kreuzmannová est venue me voir pendant la Biennale de la danse à Lyon. Elle m’a proposé de travailler avec elle. C’était à la fin de ma carrière. J’avais deux enfants. Elle savait que j’avais arrêté de danser. J’avais un diplôme d’Etat pour être professeur de danse, donc je me voyais plutôt dans l’enseignement que dans le management. Elle est venue avec cette proposition et j’avais l’impression que ce n’était pas ma place… Et puis, il y a autre chose : il faut proposer à votre famille de quitter la France. Je ne voulais pas que ce soit moi qui prenne cette décision. Je sais combien c’est dur de partir et de trouver sa place. Mon mari m’a surprise, c’est lui qui m’a vraiment encouragée à dire oui. »
Puisqu’on parle de Tanec Praha, rappelons que le festival a commencé lundi. Il dure un mois. J’imagine que toute cette expérience que vous avez glanée en France, elle vous sert dans votre travail. Quels sont les critères de sélection pour les compagnies que vous faites venir en République tchèque ?« Les critères sont la qualité et la diversité pour le programme que l’on propose. C’est quand même un grand festival qui dure en effet un mois. Donc on voyage beaucoup dans le monde, on essaye de suivre les compagnies, les projets. Yvona et moi faisons des choix et ensuite on en discute. On essaye toujours d’avoir une ou deux pièces-phare, d’avoir de grands noms. On recherche les compagnies avec une certaine renommée mais aussi les noms qui sont en train d’émerger. On essaye de montrer aussi les nouveaux talents. »
Donnez-nous deux, trois idées de sortie pendant le festival…
« Il ne faut absolument pas manquer le 3 juin Sasha Waltz. Le spectacle sera présenté au théâtre Karlínské hudební divadlo. C’est un peu l’ouverture du grand programme du festival. A la fin, on aura la Batsheva Dance Company, dont on dit qu’ils sont les meilleurs danseurs au monde. C’est la première fois que la compagnie d’Ohad Naharin vient en République tchèque. Elle vient en plus avec une toute nouvelle pièce qui va avoir sa première au début du mois de juin. Prague sera donc la troisième ville à accueillir la nouvelle production d’Ohad Naharin. Et côté français, il y aura une artiste française, Maxence Rey, qui a fait partie d’un projet européen. Les artistes devaient s’inspirer des tableaux de Jérôme Bosch. Maxence Rey s’est laissée inspirer par son monde et l’a transcrit sur scène. »Il y a quelques semaines, vous avez été faite Chevalier dans l’Ordre des Arts et des Lettres, à l’ambassade de France, à Prague. Qu’est-ce que cette distinction représente pour vous ?« Cela m’a énormément touchée. Pour moi, c’est une récompense magnifique. Comme je l’ai dit à l’ambassade, cela m’a permis de m’arrêter et de réfléchir un peu au temps parcouru. J’ai réalisé que la France m’a donné beaucoup plus que ce que je ne le pensais… »