Tanec Praha : continuer à danser
Du 4 au 29 juin se déroule à Prague et en province le festival de danse contemporaine Tanec Praha. Un rendez-vous incontournable pour cette période de l’année, mais dont l’édition 2020 a dû être entièrement adaptée et repensée en raison de la crise sanitaire. Pour évoquer cette situation si particulière et déstabilisante pour le monde de la culture notamment, Radio Prague Int. a interrogé la directrice adjointe du festival, Markéta Perroud, qui s’est d’abord souvenue de sa réaction et de celle de son équipe, à l’annonce des mesures de restriction à la mi-mars.
« C’était un choc pour tout le monde. On a quand même attendu un peu, mais c’était clair ensuite que le festival était en danger. Mais les conditions ont changé, ça change tout le temps d’ailleurs. Et après une discussion, on a décidé de maintenir le festival dans la mesure du possible et de l’adapter à la situation, tout comme tout le monde a dû le faire. »
C’est à la fois pour vous et pour que tout votre travail ne soit pas vain, mais aussi pour le public…
« Oui, et aussi pour les artistes et tous les travailleurs du spectacle. C’est vrai que si le festival avait été annulé, beaucoup de gens se seraient retrouvé sans emploi. Déjà, avec la période de pause, sans spectacles, les gens se sont retrouvés d’un jour à l’autre sans revenus. Evidemment il y a des aides de l’Etat, c’est super, mais ça a quand même mis la scène, indépendante notamment, en danger. »Est-ce que vous avez envisagé à un moment donné de tout annuler ?
« Oui, on a aussi discuté de cette possibilité. Surtout quand on a vu que tous les festivals qui se déroulent après nous, à l’étranger, ont été annulés les uns après les autres. C’est vrai qu’annuler aurait été la chose la plus simple. Parce qu’il n’y a rien de plus difficile que de s’adapter sans arrêt car les conditions changent et continuent de changer même maintenant ! On n’a pas choisi la solution la plus simple, mais nous sommes persuadés qu’il fait continuer à danser ! »
Continuer à danser, c’est le mot d’ordre de ce festival cette année, qui avait un autre programme à l’origine. Comment vous êtes-vous adaptés ?
« Le visuel du festival et la campagne étaient prêts. Mais on a dû tout ‘mettre au tiroir’ comme on dit en tchèque. Dans le visuel d’origine, on jouait beaucoup sur la proximité des corps les uns sur les autres. Ce n’était vraiment pas adapté à cette période. On a dû faire un nouveau visuel d’un jour à l’autre, avec l’aide d’une artiste française, Marie Gourdain, scénographe et chorégraphe. On a choisi ensemble un de ses dessins qui est un personnage qui se compose ou se recompose – on ne sait pas. Les particules sont tout autour, pas au sol : il y a cette composition et recomposition, un sentiment que tout un chacun a dû ressentir pendant la pandémie où tout était sens dessus dessous, où on a dû s’adapter, changer de mode de vie. Ce visuel reflète cette période. »
On vient d’apprendre que les événements jusqu’à 500 personnes étaient désormais autorisés, qu’il n’était plus nécessaire de laisser un siège libre entre les spectateurs dans les salles de théâtre, concert et cinéma. C’était inespéré, j’imagine, juste avant le coup d’envoi du festival !« Oui, c’est vrai que ça change tout le temps. On a commencé avec la perspective de 30 personnes en salle ! En effet, il a été annoncé avant-hier que désormais on peut jouer presque dans des conditions normales. C’est super et je pense que c’est une invitation à venir pour les spectateurs. Je comprends cela comme un signe que la situation est sous contrôle et qu’il n’y a pas à avoir peur d’aller au spectacle, tant qu’on respecte des règles d’hygiène de base. Donc, j’espère que ça va rassurer les gens et qu’ils vont venir en nombre au théâtre. »
Venons-en au programme. Evidemment vous proposez des spectacles à Prague, mais également un peu partout en République tchèque. Vous amenez la danse contemporaine dans 17 villes et communes de province, histoire de dire aussi que ce n’est pas réservé qu’aux gens de la capitale…
« Il y a une longue histoire du festival Tanec Praha à l’extérieur de Prague et c’est une de ses forces de ne pas être concentré que dans la capitale. C’est toujours fait en collaboration avec des partenaires locaux. Au départ, il y avait plus d’une vingtaine de lieux. Certains partenaires se sont rétractés à cause de restrictions locales. Aujourd’hui, on propose neuf spectacles qui tournent dans les régions. Au total, on a donc une trentaine de spectacles et des workshops. Le programme est vraiment riche. C’est une partie du festival qui était prévue et que nous avons pu maintenir avec une certaine adaptation. »Vous proposez aussi chaque année des spectacles site-specific. Rappelez-nous ce qui fait l’intérêt de ces œuvres par rapport à des spectacles plus classiques…
« C’est quand on crée une performance spécialement pour le lieu où il est présenté. Le lieu ou le paysage devient véritablement source d’inspiration pour le spectacle. Il y a des spectacles outdoor qui sont des œuvres créées pour une scène mais montrées en extérieur. Mais ce n’est pas du tout la même chose. »
Peut-on citer un spectacle site-specific en particulier ?
« J’invite les gens les 20 et 21 juin, presque à la fin du festival : nous collaborons avec Landcape Festival, un festival d’architectes et de paysagistes. On a créé un projet intitulé Les poumons de Žižkov, ce quartier de Prague où se trouvent le théâtre Ponec et nos bureaux. On s’est concentrés sur les espaces verts de ce quartier urbain. Par des projets, des installations et des site-specific de nos artistes, on essaye de faire revivre ces endroits et peut-être de montrer à l’autre comment utiliser ces endroits de verdure qui font partie de la ville et qui sont si nécessaires pour nous. »Vous avez été obligés de renoncer aux invités venus de l’étranger, crise du coronavirus oblige. Vous êtes un festival international, et cette année, vous aurez quand même des artistes slovaques. Et quelques Français, mais qui sont installés en République tchèque. Peut-on parler de cette présence francophone ?
« Il y a déjà Marie Gourdain qui a participé à notre visuel. Nous présentons une première les 8, 9 et 10 juin : c’est un spectacle de Florent Golfier qui est parti sur une recherche autour du langage. Il nous propose un regard très complexe sur la langue avec une équipe internationale. C’est un spectacle très intime mais qui nous fait travailler la question : qu’est-ce que la langue pour nous ? »Qu’en est-il cette année des spectacles d’artistes tchèques ?
« Les spectateurs peuvent venir se joindre à nous ce dimanche à 17h, dans le parc de Stromovka à Prague. On participe au projet de la Fondation Pina Bausch, The Nelken Line. Pina Bausch s’est toujours interrogé sur la manière d’entretenir l’héritage artistique et le faire vivre. Ce projet est aussi une façon de faire vivre l’héritage de Pina Bausch. On invite les spectateurs à apprendre, grâce à un tutoriel, une séquence de mouvements de ce spectacle de 1982, de venir à Stromovka où on va former une ligne dans l’espace public en faisant ces mouvements. Ce sera filmé. Nous allons ensuite soumettre cette vidéo à la fondation qui va la publier. C’est un hommage à la danse et au retour à la vie normale. »« Le 16 juin, nous proposons un spectacle qui n’est pas une première mais qui est un des plus populaires ici. Ça s’appelle GUIDE de Vera Ondrasikova. Elle nous propose une sorte de tour, d’où le nom nouveau GUIDEd Tour. C’est une adaptation du spectacle à la période de la crise sanitaire. On ne pensait pas que les restrictions allaient être annulées aussi rapidement. Les gens peuvent circuler librement dans le théâtre en deux groupes. C’est une circulation constante. »
L’épidémie a donné lieu à une adaptation des spectacles et cela peut donner quelque chose de totalement différent, une façon d’apprécier une œuvre très différente par rapport à ce dont on a l’habitude…
« On termine en fait avec un happening également fait sur mesure pour s’adapter à cette période. Ça s’appelle Duety. Ce spectacle qu’on a déjà présenté à Ponec mais qui est adapté : on invite les spectateurs à venir et à faire un duo avec les danseurs qui sont derrière la vitre de la Galerie nationale. c’est quelque chose d’intime et c’est à chacun de créer un duo. C’est vraiment la célébration du moment présent, de ce premier rapprochement physique que nous pouvons faire après cette période d’isolation. Cela permet de rappeler que la danse peut utiliser l’espace numérique, mais on ne peut pas remplacer le spectacle par le monde virtuel. Cette chimie, la présence physique, sont nécessaires pour transmettre le principal. »