Jean-Jacques Annaud : « Prague est une ville qui plaît à mon cœur romantique » (2e partie)
De passage à Prague à l’occasion du festival du film international FebioFest, le réalisateur français Jean-Jacques Annaud y a présenté son nouveau film Le Dernier loup, qu’il a adapté du best-seller chinois Le Totem du loup, de l’écrivain Jiang Rong. Auteur de films que vous devez avoir certainement vus, comme Le Nom de la Rose, Sept ans au Tibet ou Les Deux frères, Jean-Jacques Annaud avait obtenu l’Oscar du meilleur film étranger pour son premier film La Victoire en chantant en 1976. Si dans la première partie de notre entretien que nous vous avons présentée la semaine dernière, Jean-Jacques Annaud, est revenu au micro de Radio Prague plus en détail sur l’aventure du tournage du Dernier loup, qui a duré plus d’un an et demi, dans la seconde partie de l’entretien Jean-Jacques Annaud en dévoile davantage sur son univers cinématographique, sur sa relation avec la ville de Prague, et tout en s’indignant du sort que l’on réserve à notre Planète bleue.
Un cinéaste très globe-trotter
Dans vos films vous aimez souvent remonter le temps et parcourir des contrées inconnues. Est-ce une volonté de votre que de montrer que les hommes, les animaux, sont partout pareils, quelle que soit l’époque ?Jean-Jacques Annaud : « C’est ce que je ressens. Je voyage énormément, je me sens bien dans beaucoup d’endroits. J’ai appris quand j’étais petit qu’il fallait s’ouvrir aux autres. Puis j’ai eu un moment important dans ma vie, j’avais été envoyé pendant mon service militaire au Cameroun, en Afrique, pour y enseigner le cinéma. Je détestais l’idée de cette expérience. Mais à la seconde où la porte de l’avion s’est ouverte, je suis tombé en amour de ce continent, j’y retourne sans arrêt. Ce qui me plaît c’est d’être amené à être ami avec des gens dont je ne parta ge pas le langage, ni la religion, ni le mode de vie, et pourtant je passe des moments formidables d’amitié et de compréhension, souvent bien plus intenses qu’avec mes propres voisins. »
D’une manière générale, est-ce que c’est vous-même qui partez à la recherche d’un motif littéraire, que vous voudriez transposer sur grand écran, ou est-ce que ce sont les différentes histoires, les différents thèmes qui vous trouvent ?
« Si vous voulez c’est une espèce d’interaction. Il y a des thèmes qui ont plus de résonnances en moi. De temps en temps, cela peut être un article dans un journal, cela peut être un chapitre dans un livre d’histoire, cela peut être un roman, cela pourrait être une pièce de théâtre - cela ne m’est encore jamais arrivé, mais pourquoi pas – donc un thème qui me plaît tellement que j’ai envie de cette œuvre initiale un film qui me soit personnel. Par exemple, le film Stalingrad est né d’une seule page dans un livre d’histoire. Mon tout premier film, c’était aussi un tout petit paragraphe dans un livre d’histoire. Puis d’autres fois, ce sont des idées complètements originales, qui me passent par la tête, ou un roman, comme Le Nom de la rose qui m’avait fasciné, parce que ça m’accroche sur des thèmes qui sont les miens. Par rapport au Nom de la rose, par exemple, quand j’étais enfants j’étais fils unique, et je photographiais les monastères. C’était mon truc. Et du coup, quand je découvre un bouquin qui se passe dans un monastère, je tombe à la renverse. Je me dis que c’est pour moi. Je cours vois l’auteur (Umberto Eco, ndlr) en lui disant que je veux porter ce livre à l’écran. »
Le Totem du loup, le pouvoir de séduction d'un roman
« Dans le cas du Totem du loup, c’est un roman qui fédère tellement de thèmes que j’ai déjà traités dans ma vie, des thèmes qui sont fortement enracinés à l’intérieur de moi : la relation de l’homme à l’animal, l’équilibre de la nature et de l’homme, la révolte que j’ai de voir cette nature, dont nous avons besoin, détruite chaque jour un peu plus. Puis aussi cette thématique d’un jeune homme qui voit sa vie transformer par la rencontre et l’immersion dans une nouvelle civilisation. Tout ça, c’était dans le livre. C’est pour cela que l’on est venu me chercher. Moi-même après avoir entendu parler de ce livre, je m’étais dit : ‘Ah, zut ! Voilà un truc qui m’aurait passionné, mais malheureusement je ne pourrais pas le faire parce que je ne suis pas le bienvenu en Chine’. Mais au bout du compte, on se retrouve. Il y a un appel mutuel. L’auteur lui-même (Jiang Rong, ndlr) à qui l’aventure est arrivée, car ce livre est une autobiographie, avait pensé à moi, en disant : ‘si un jour, on fait un film de mon livre, je voudrais que ce soit lui qui le fasse.’ De mon côté, en lisant un article dans la presse française, je me suis dit ‘Voilà un bouquin que j’aurais adoré faire’. En plus de cela, il y avait l’appel de la Mongolie, une région du monde qui me faisait rêver, que je ne connaissais pas. Je la connaissais que par les livres. On m’avait proposé de nombreux films sur Gengis Khan, sur la Révolution culturelle. Puis là, les choses se sont mêlées et puis on m’a donné la possibilité et la liberté de faire ce film. J’ai passé sept ans à m’enthousiasmer. »Pensez-vous que de nos jours on a trop souvent tendance à oublier la simplicité de la beauté du monde, de la nature, et que par le biais des films qui vous tiennent à cœur, vous tirez un peu la sonnette d’alarme ?
« Je me pose pas tellement la question. Je suis mes pulsions. Je suis ce qui me préoccupe. Dans ce film-là, c’est venu naturellement. Quand je voyais ces spectacles grandioses de cette steppe à l’infinie, je ne pouvais pas m’empêcher de me dire, est-ce que dans trois ans ce sera toujours là ? Je suis assez terrorisé de voir ce qui se passe sur la planète. Plus je vais, plus je suis non seulement révolté mais extrêmement inquiet. J’ai rencontré beaucoup de gens qui se préoccupent des océans, qui deviennent des poubelles, et qui vont devenir des réservoirs complètement morts de vie. Comment notre espèce humaine va-t-elle survivre, la question se pose vraiment. Mais on ne veut pas s’en occuper, personne ne veut s’en occuper. C’est comme le réchauffement climatique, tout le monde dit que c’est la faute de l’autre. N’empêche il y aura de plus en plus de tornades qui vont dévaster des régions entières, il y aura de moins en moins à manger pour les hommes qui se multiplient, sans faire attention à ce qu’ils font. »
Un ‘coup de pinceau’ tchèque intégré au film L’Ours
Vous qui êtes un cinéaste globe-trotter, quels sont les liens que vous entretenez avec la République tchèque ou même avec la cinématographie tchèque ?
« J’ai été très influencé par les cinématographies, de ce que l’on appelait autrefois au-delà du rideau de fer. J’avais un professeur qui s’appelait Georges Sadoul, un marxiste convaincu qui a écrit des textes formidables, c’est un des plus grands historiens du cinéma. Grâce à lui, nous avons découvert à l’école la grande cinématographie russe, la grande cinématographie tchèque, polonaise. J’ai donc ici un ami très cher, qui est Miloš Forman, que j’adore, que je respecte énormément et dont j’adore tous les films. Je suis un passionné de Miloš Forman, j’adore l’homme aussi. Lorsque j’étais amené à faire le film L’Ours (1988, ndlr), j’avais envie que le petit ours rêve et j’ai choisi de venir le « faire rêver » à Prague. Je me suis donc tourné vers l’héritier spirituel de Jiří Trnka, un grand animateur qui avait pratiquement inventé ce que l’on appelle le stop motion, c’est-à-dire des petits objets qui s’animent, des petits animaux, des poupées, des marionnettes qui prennent vie image par image. J’ai donc travaillé avec son assistant, son héritier d’une certaine manière, qui s’appelait Břetislav Pojar. C’est lui qui créé les deux scènes de rêve que j’ai dans le film L’Ours. Je suis donc venu énormément à cette époque à Prague, qui m’avait déjà beaucoup séduit. C’est une ville qui plaît à mon cœur romantique. »