Le pont littéraire entre le Maroc et la Tchéquie
C’est le Maroc qui est l’invité d’honneur du 24e festival des écrivains organisé à Prague du 2 au 4 octobre. Le directeur du festival Michael March a présenté au public dans le cadre de cette manifestation une littérature peu connue en République tchèque et qui pourtant étonne par sa qualité et sa diversité. De l’avis de Michael March, le Maroc et la République tchèque ont beaucoup de points communs. Les deux pays ont été occupés, ont fini par gagner la liberté et sont aujourd’hui des Etats pacifiques. Selon Michael March, le festival permettra donc à ces deux pays éloignés et pourtant proches sur beaucoup d’aspects, de mieux se connaître au niveau culturel.
« Aujourd’hui la littérature marocaine connaît un grand progrès en ce qui concerne les écrivains, les hommes de lettres et les créateurs, et en ce qui concerne aussi les textes publiés. La littérature marocaine est mieux connue dans le monde qu’avant grâce aux auteurs qui écrivent surtout en langues arabe et française. Notre littérature est connue aussi grâce par exemple au prix Booker - c’est le Marocain Mohammed Achaari qui a eu ce Grand Prix – ou bien par le biais d’autres auteurs comme Tahar Ben Jelloun qui écrivent en français. Elle est connue aussi grâce à d’autres écrivains déjà décédés et qui ont déployé de grands efforts pour que la littérature marocaine soit connue dans le monde arabe et dans le monde extérieur. »
Vous avez dit que vous connaissez assez bien la littérature tchèque au Maroc…
« La littérature tchèque est connue mais pas forcément tous les écrivains tchèques. C’est surtout par le biais de la traduction du français en arabe que la littérature tchèque est présente aujourd’hui au Maroc. Je citerais le nom de Milan Kundera qui est très lu au Maroc grâce à ses romans et aussi à ses livres théoriques et de critique littéraire. Ses livres sont aujourd’hui présents dans les universités marocaines, vu leur intérêt théorique et critique. »La majorité des rencontres et des débats du festival se sont déroulés dans les intérieurs splendides du palais Wallenstein de Prague, siège du Sénat, chambre haute du Parlement tchèque. C’est le Sénat et la Municipalité de Prague qui ont pris cette manifestation sous leur patronage. Les débats ont été consacrés entre autres au grand thème de la 24e édition du festival qui est « L’Amour et la Haine ». Dans le cadre des débats ont été évoquées également des spécificités des littératures marocaine et tchèque. Il s’est avéré que malgré la distance géographique et culturelle qui nous sépare, les Marocains connaissent assez bien la littérature tchèque. Malheureusement, on ne peut pas dire que cette connaissance est mutuelle. Dans la délégation marocaine il y a eu entre autres le critique littéraire Hamza Messari qui a écrit une thèse sur le romancier tchèque Jaroslav Hašek, auteur du Brave soldat Chveïk. Il a trouvé même quelques similitudes surprenantes entre le chef d’œuvre de Jaroslav Hašek et les classiques de la littérature orientale :
« ‘Les aventures du brave soldat Chveik’ sont traduites en arabe et aussi en français. Moi personnellement, je pense que c’est un livre très proche par son origine de la langue arabe. C’est comme un conte oral qui utilise plus au moins les mêmes techniques de narration comme les ‘Mille et une nuits’. On se demande toujours ce que va se passer après. Il s’agit d’événements qui s’enchainent. C’est une forme, je ne peux pas dire primitive, mais une forme naturelle de raconter les choses. C’est la structure du 'Brave soldat Chveïk de Jaroslav Hašek. »Qu’est-ce que les Marocains apprécient surtout dans ce roman ?
« Je vais vous dire un détail très important. C’est que Jaroslav Hašek a cité le Maroc trois fois dans son livre. Chveïk dit : ‘Le roi du Maroc est très sympa.’ Puis il y a, dans l’Académie militaire de Prague, un cadet, un jeune soldat étudiant, qui s’est échappé de la caserne et est allé au Maroc. Et Hašek dit dans son roman que le cadet est devenu ministre de la Défense du Maroc. Donc le Maroc est présent dans le monde de Jaroslav Hašek. (Rires.) »Connaissez-vous aussi d’autres auteurs tchèques ?
« Bohumil Hrabal, Milan Kundera et d’autres noms de la littérature… » Y-a-t-il d’autres auteurs tchèques qui pourraient être traduits et publiés au Maroc ? « Surtout Bohumil Hrabal, si l’on prend l’initiative de le traduire avant tout en arabe, parce qu’au Maroc tout le monde lit en arabe. Il y a des francophones aussi mais la base de la lecture, c’est la langue arabe. C’est un rêve de pouvoir traduire la production littéraire de Bohumil Hrabal. »
Et vice versa : y a-t-il des auteurs marocains qui pourraient être traduits en tchèque ?
« Il y en a beaucoup… »
Alors citez au moins quelques noms ...
« Tahar Ben Jelloun et aussi Mohammed Choukri, auteur du ‘Pain nu’. Traduire en tchèque d’autres auteurs marocains en vaut aussi la peine. »
Vous croyez qu’ils pourront être appréciés par les lecteurs tchèques…
« Oui appréciés, parce que, dans le fond, l’homme tchèque est très simple. Chaque Tchèque quand il boit sa dose de bière, devient écrivain. Tout à l’heure on a discuté de la fondation de l’Union des écrivains tchèques. Ce n’est pas la peine de fonder une union des écrivains tchèques. Chaque Tchèque, quand il boit sa dose de bière, devient auteur et commence à parler de tous les thèmes. (Rires) »
Le festival des écrivains a eu également son côté officiel. Le président du Sénat tchèque Milan Štěch a accueilli à cette occasion son homologue marocain Mohamed Cheikh Biadillah et le ministre de la Culture du Royaume du Maroc Mohamed Amine Sbihi. Ce dernier a présenté au micro de Radio Prague la culture marocaine dans son ensemble et a ébauché aussi la future coopération culturelle entre la Maroc et la République tchèque :« Comme vous le savez, le Maroc est l’invité spécial du Festival des écrivains de Prague. Il est présent à travers un certain nombre d’artistes, d’écrivains et d’intellectuels parce que le Maroc, dans sa créativité, dans sa diversité culturelle mérite d’être présenté au grand public tchèque. Mais nous savons également que la République tchèque placée en Europe centrale, au cœur de l’Europe, partage avec le Maroc un certain nombre de valeurs, les valeurs de compréhension et du dialogue interculturel. Ces deux pays doivent donc travailler ensemble dans ce monde où la ‘culture de la guerre’ est en train de s’installer, afin que nous puissions faire entendre notre voix, la voix de la culture, la voix du partage, la volonté de vivre ensemble. C’est donc en invitant les institutions culturelles et les intellectuels tchèques à être au Maroc avec nous, que nous continuons ce dialogue pour un partenariat encore plus efficace qui renforce la coopération entre les deux pays mais qui renfonce également la position de ces deux pays au niveau mondial pour faire entendre la voix d’une culture de la paix. »
Quand ce projet pourra-t-il être réalisé ?
« Alors nous avons déjà pris rendez-vous pour le 10 février 2015, où à l’occasion du Salon du livre de Casablanca, nous allons inviter une très forte délégation tchèque à assister à ce Salon avec la possibilité, que nous sommes en train d’étudier, pour que encore avant février, c’est-à-dire dans quelques mois, nous puissions inviter un certain nombre de responsables tchèques, dont le ministre de la Culture à visiter le Maroc pour préparer cette rencontre qu’on veut organiser en février 2015. »
Dans quelques semaines le rapprochement entre la République tchèque et le Maroc sera couronné par une visite au sommet. Le président tchèque Miloš Zeman accueillera au château de Prague le roi du Maroc Muhammad VI.