Identity.Move! : l’identité à la limite des différents styles artistiques (1ère partie)
« Identity.Move! » est un projet qui réunit quatorze pays situés à l’est de l’Union européenne allant de la Lettonie, au nord, jusqu’à la Grèce, au sud. L’objectif des coordinateurs de ce projet est de tisser des liens entre ces pays qui, selon eux, ne coopèrent pas assez dans le domaine de la recherche artistique. La recherche était également le contenu principal de la résidence artistique qui s’est tenue à Prague du 2 au 25 juillet car la République tchèque est un des quatre pays organisateurs d’Identity.Move!, par le biais de l’association Motus. Les participants à cette résidence sont venus de Croatie, de Lituanie, d’Allemagne et de Grèce. A la fin de leur séjour, Radio Prague a assisté à la présentation de leurs travaux.
Sonja Pregrad est d’origine croate. Elle vit actuellement entre Zagreb et Berlin. Elle est performeuse, danseuse et chorégraphe. Elle a également lancé le magazine de danse, TASK. La majorité de ses projets sont ses propres créations, comme la prochaine manifestation qui aura sa première à Berlin et qui porte sur la danse dans l’avenir. Outre l’avenir, nous avons également parlé de ses activités passées.
« Cette année, j’ai fait une chorégraphie pour skype que j’ai présentée à Zagreb avec ma collègue Marjana Krajač. C’est une performance de théâtre mais qui se passe sur skype. Je danse, mais je ne suis pas au théâtre, je suis dans un atelier. La chorégraphie s’interroge sur ces deux espaces qui sont séparés et connectés à la fois par ce média. La question c’est de voir comment ils communiquent et se regardent. »
Le spectacle met en scène ce qui se passe quand skype bloque, quand l’espace de 3D est réduit au deux dimensions, quand le son continue à être transmis mais l’image gèle… bref, les expériences que tout le monde connaît… mais nous ne sommes pas habitués à les vivre au théâtre.« Un ami m’a sollicitée pour faire un projet en Croatie, mais à l’époque je vivais à l’étranger et donc notre communication se passait par skype. L’idée était de faire un projet sur comment l’art génère la valeur. Les créateurs du projet avaient en tête la valeur économique, mais moi, je voulais explorer d’autres formes de la valeur ajoutée, qui ne peut pas être monétarisées, comme l’inter-connectivité, le sentiment d’appartenance et les surprises imprévisibles qui apportent toujours quelque chose de nouveau. »
La recherche qu’elle a entreprise à Prague ne serait pas possible sans sa collègue et compatriote Nives Sertić.
Nives Sertić est une artiste interdisciplinaire. Elle s’intéresse au multimédia, au théâtre nouveau et à l’art visuel. Elle croit que l’artiste joue un rôle analogue à celui d’un scientifique ou d’un médiateur vis-à-vis de la société. Dans cette logique, son rôle n’est pas en premier lieu celui d’un observateur qui reflète ce qui passe dans la société mais plutôt d’un acteur. De cette conviction découle également l’engagement à long terme que Nives Sertić a pris.
Nives : « Actuellement, je suis au point de terminer un projet interdisciplinaire sur le passé, le présent et l’avenir des archives du centre du multimédia, un projet sur lequel je travaille depuis trois ans. »
Sonja : « Les archives du multimédia sont de grandes archives d’art contemporain à Zargeb. »Nives : « Depuis les années 1970, c’est le seul espace en Croatie où on a pu présenter le cinéma élargi (expanded cinéma) et les différentes combinaisons des médias. »
Nives : « Après une vingtaine d’années de fonctionnement et de non-fonctionnement, les archives sont devenues une grande question pour la jeune génération. Personne ne savait à quel point les archives contenaient des entrées intéressantes. »
Nives et ses collègues ont donc entrepris l’effort de ranger ces archives. Ils ont aussi organisé des séminaires pour le public pour que tout le monde puisse faire sa petite recherche et explorer les bases de données, ou dicuster avec les historiens de l’art sur ce qu’ils ont trouvé.
A Prague Sonja et Nives s’intéressent à l’identité, un sujet qu’elles trouvent omniprésent :
Nives : « L’identité fait toujours partie de tes projets. Tu ne peux pas y échapper. Par exemple, dans l’exploration des archives, il ne s’agit pas seulement de savoir ce qui se trouve dans ce centre multimédia, mais aussi de savoir si cette mémoire est ditribuée et partagée par le public, le cas écheant, si elle ne l’est pas, il faut aller dans les archives et redistribuer cette mémoire. »
Sonja : « Je pense que pour nous deux, dans notre travail, ce qui nous intéresse, c’est la relation entre les choses et entre les gens. A partir de cela, nous avons commencé ce projet – en s’interrogeant où on se positionne et comment on regarde l’autre, et comment notre média, c’est-à-dire la danse et l’art visuel se regardent et ce qu’ils peuvent réveler l’un de l’autre. »Leur coopération dans le cadre d’Identity.Move! se base sur un autre projet commun de 2011, dans lequel elles mettaient en scène le corps dans l’espace intime d’un appartement.
Nives : « Cette partie du projet est une plateforme pour la recherche. Elle durait pendant un mois et notre idée de départ était de… »
Sonja: « …d’étudier les deux médias qui se regardent et nous deux qui nous regardons aussi. Après, le sujet s’est élargi car on a voulu comparer nos points de départ. Nous avons commencé par quelques exercices avec la danse et la caméra. Nous avons enregistré la danse et puis enregistré l’enregistrement de la danse. »
Pour la phase suivante de la recherche, elles ont travaillé chacune de leur côté.
Nives : « Je suis allée dans le jardin botanique et Sonja est allée dans sa nature, c’est-à-dire sur scène… non je plaisante. Elle travaillait sa partie. Après un moment, nous avons comparé nos expériences et commencé le débat. Au départ, c’était un peu bizarre, mais au bout d’un moment, les choses ont commencé à bien se clarifier »
Sonja: « Ce qui s’est passé c’est que nous nous sommes posées les questions sur qui regarde quoi – nous regardons la nature ou bien la nature nous regarde ? Nous encadrons la nature, ou bien la nature nous encadre ? C’était aussi lié avec l’idée de la nature comme théâtre et du théâtre comme quelque chose de naturel. Toutes les deux nous nous sommes habillées comme des touristes et nous sommes allées au jardin botanique où la nature est mise en scène et prête pour être consommée. Nous avons pris des photos touristiques de nous avec la nature. Néanmoins, avec le temps, nous sommes devenues de plus en plus véritablement excitées par cette nature, car elle est vraiment magnifique. Nous nous sommes rendues compte, en regardant les photos, qu’il n’y a plus rien de simulé, qu’il y a la vraie excitation. »Voici donc les bases sur lesquelles se constituera la performance de Sonja Pregrad et Nives Sertić dont la présentation finale se fera à Prague en mars prochain ensemble avec celle d’un autre binôme gréco-allemand qui a néanmoins décidé de travailler séparément, Pavlos Kountouriotis et Ben Riepe. Toujours dans cette émission culturelle, Radio Prague vous propose l’interview avec ce dernier.
Ben Riepe est chorégraphe allemand qui vient de Düsseldorf. L’année passée il a travaillé sur deux projets, un sur scène et l’autre dans différents espaces, comme des galeries. Il explore les limites de ce qui est encore la chorégraphie avec pour conclusion que la chorégraphie peut être presque tout. Il travaille sur les limites des différents arts, la danse, la performance et l’art visuel. Il dirige la Ben J.Riepe Company.
Dans sa recherche à Prague, il a voulu procéder d’une manière différente par rapport à son style habituel. Il a donc décidé de se mettre sur scène et dans le format de la rencontre avec l’artiste il a présenté Monika Pošívalová, l’actrice tchèque surtout connue dans les années 1960 et 1970, qui a aujourd’hui 70 ans et rêve de revenir au théâtre et au film. Il a par la suite raconté les réponses de Monika Pošívalová portant sur sa vie et sa famille. Elle a fait de même sur lui. La performance s’est achevée par quelques chansons que Madame Pošívalová a chantées au public composé des autres participants au projet Identity.Move!Ben : « Mon projet consistait à reproduire un format de « meeting the artist » (rencontre avec l’artiste). Généralement, je ne performe pas moi-même sur scène, je travaille avec les artistes ou avec les choses. Mon idée aujourd’hui était de travailler avec une personne que je ne connaissais pas auparavant et que je présentais et qui me présentait moi. Je voulais me focaliser sur le vécu des gens. »
Ben explique sur quoi portait sa recherche à Prague et comment s’est opérée la séparation avec son collègue Pavlos Kountouriotis :
« Ma recherche a commencé avec Pavlos. Nous étions le seul duo qui ne se connaissait pas auparavant. De ce fait, notre travail ici portait beaucoup sur notre propre identité. On a commencé à se connaître en s’expliquant comment on travaille et comment on procède dans la création. Cela se jouait beaucoup sur la rencontre des artistes venant de deux domaines assez distincts. »
Pour Ben Riepe, les débats avec Pavlos portaient essentiellement sur le clash entre la théorie et la pratique :« J’ai une approche pratique des choses, je suis un chorégraphe, tandis que Pavlos regarde de la perspective théorique. Quand on a débattu, c’était toujours la théorie contre la pratique. Pour cela, nous avons décidé de travailler séparément mais en se servant de la technique de l’autre. J’ai commencé de manière conceptuelle et Pavlos a essayé la pratique et approche intuitive. »
Les résultats de cet échange feront notamment objet de la prochaine émission culturelle lors de laquelle nous découvrirons non seulement le travail de Pavlos Kountouriotis mais aussi du duo lituanien, Ingrida Gerbutavičiūtė et Agnija Šeiko.