Art contemporain : le festival Move du Centre Pompidou s’exporte à Prague
A l’occasion de la passation de pouvoir entre la France et la République tchèque au Conseil de l’Union européenne, une collaboration entre le Festival Move du Centre Pompidou et la Galerie nationale de Prague voit le jour.
Cheffe du service Manifestations Art et Société au Centre Pompidou, Caroline Ferreira est l’une des deux commissaires de cette exposition intitulée « L’Intime comme Résistance » :
Qu’est-ce qui est à l’origine de cette coopération franco-tchèque et comment s’est-elle déroulée ?
« La genèse du projet vient d’une discussion avec l’ancien président du Centre Pompidou Serge Lasvignes, (dont le successeur est Laurent Le Bon) de l’ambassadeur de France à Prague et d'Alicja Knast (directrice de la Galerie nationale) à propos d'un échange entre nos deux institutions. »
J’imagine que ce projet a un lien avec la future présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne ?
« Oui, les discussions avaient déjà eu lieu auparavant, mais avec le covid, toutes les discussions prenant plus de temps il a été en effet question d’inaugurer cette collaboration et cet échange au moment de la Présidence de l’Union européenne d’abord par la France puis par la République tchèque. »
Pensez-vous qu’un futur événement de cette envergure ou du même genre pourrait avoir lieu à Paris également dans le cadre d’une coopération franco-tchèque ?
« Le Festival Move qui sera présenté à Paris en octobre sera aussi le fruit d’une collaboration de la Galerie nationale de Prague en commissariat avec Michal Novotný (Directeur des collections d’arts modernes et contemporains de la Galerie nationale de Prague) sur la thématique du corps collectif, ce qui est déjà une belle collaboration. Mais oui il y aura sans doute d’autres collaborations dans le futur. »
Pour parler un peu de l’exposition, l’Intime comme Résistance, de quoi est-elle composée ?
« En préambule on peut déjà parler du festival Move qui est à l’intersection de trois médiums : la vidéo, la performance et la danse et qui met donc la question du corps comme centrale au festival. La question du corps comme objet de pensée, souvent en relation avec des thématiques queers, post-coloniales, féministes. Cette thématique de l’intime elle nous est venue assez naturellement de ces deux réflexions : la première suite à l’épisode de covid, des confinements qu’on a vécus, on se reposait la question de qu’est-ce que l’intime et on l’a mis en parallèle avec cette question de comment l’intime a t-il été abordé dans les années 1960, fin des années 1960, début des années 1970, principalement par des artistes femmes et notamment aux États-Unis mais pas seulement. Des artistes qui prenaient comme point de départ de leur art et réflexion leur propre vie intime, leur vie sexuelle, leur vie amoureuse, leur intérieur domestique… Toutes ces questions qui étaient dévaluées, qui allaient un peu à l’opposé des sujets universels qui étaient plutôt pris par les hommes, et donc cette question est devenue dès les années 1960, le thème du personnel est politique. Comment finalement les artistes en parlant de leur propre intimité peuvent aborder des questions beaucoup plus politiques, générales et qui touchent tout le monde, toute la population. »
Quels sont les artistes qui ont été invités, quels sont leurs projets et pourquoi les avoir choisis ?
« Nous sommes dans l’espace même de la 'velká dvorana', un espace immense, 106 mètres de longueur, 3000 mètres carrés de plain-pied, 14 mètres de hauteur au plafond. C’était donc un challenge quand on m’a proposé d’investir ces lieux. Pourquoi ces artistes ? Je dirais que l'exposition c’est trois artistes français à qui on a commandé des oeuvres spécifiques pour cet espace, car en tant que curateur quand vous vous retrouvez à devoir faire une exposition dans ce type d’espace il faut absolument travailler avec des artistes qui produisent des œuvres in situ, c’est-à-dire qui ont réfléchi l’espace.
On a eu Mélanie Matranga qui est l’artiste qui s’est occupé des “airs“ comme je dis, qui a produit ces trois grandes pièces de tissus à partir de matériaux récupérés qui sont parfois des vêtements, des choses qui ont été portées et qu’elle a recousu, qui viennent scander, qui viennent rythmer l’espace architectural de la galerie.
Pour le sol on a Julien Creuzet à qui on a demandé de produire ces plaques de métal que vous pouvez voir disposées au sol et qui forme une sorte d’archipel de formes diffuses. Il s'est inspiré d’oiseaux migrateurs qui pouvaient parcourir le quatorzième méridien, qui est celui qui part du nord au sud et qui traverse la République tchèque. C’est donc un moyen de lier ces questions avec les habitants de la République tchèque.
Dernière artiste : Julie Béna qui est positionnée à la fin de la galerie et qui a produit cette sculpture sous forme de petite roulotte. Une roulotte parce qu’il s’agit d’une artiste très inspirée par le monde du théâtre et qui a pu passer une partie de son enfance dans des roulottes due au métier de sa mère. Il y a également un film qui met en scène sa propre vie et vient questionner son statut de femme artiste à la fois mère, à la fois épouse, et dont les personnages de ce film sont elle-même, sa propre mère, sa propre fille et son propre mari. »
Autres artistes performants et ayants participé à cette exposition :
Rory Pilgrim qui nous parle de et l’importance de prendre soin des êtres sur cette planète (en créant onze vidéos de type album), Mona Varichon qui a créé une web série sur la cité des arts en filmant constamment sa vie, sa famille et ses amis. Hannah Quinlan & Rosie Hastings qui ont pris des extraits de vidéos sur internet de personnes se filmant pendant le covid avec l’idée que la danse chez les personnes queer a toujours été un élément de résistance et d’affirmation.
L’ambassadeur de France à Prague Alexis Dutertre était également présent au vernissage :
« Une exposition comme celle-ci à la Galerie nationale de Prague est un élément qui participe à notre partenariat culturel entre la France et la République tchèque à l’occasion de la Présidence française puis la Présidence tchèque de l’UE. C’est un élément qui vient compléter tout ce que nous faisons en matière politique, en matière économique et en matière culturelle. Ce que nous voulions faire et vraiment réaliser à cette occasion, c'est un partenariat de long terme entre institutions culturelles françaises et tchèques. On commence avec une exposition qui va durer 3 mois ici et ira ensuite en France avec comme objectif de se faire rencontrer et travailler ensemble des artistes français, tchèques, européens, mais également des institutions muséales françaises et tchèques au service de cette relation culturelle franco-tchèque. »
Pourquoi le Centre Pompidou?
« Pour une raison simple : on a une image, en tout cas en République tchèque, d’une culture française qui peut être figée dans des grandes œuvres, pour la majorité classique. Je trouve qu’il est important de montrer non seulement le partenariat entre deux institutions prestigieuses mais de présenter une figure, un visage de l’art contemporain français, de la création culturelle artistique contemporaine mais aussi au-delà que simplement des artistes créateurs français d’avoir ce partenariat qui durera entre ces institutions. L’idée est donc de présenter une image de la création contemporaine française. »
Avez-vous une œuvre préférée ?
« Cela fait presque deux ans que je travaille sur ce projet d’exposition notamment avec Alicja Knast, la directrice de la Galerie nationale et avec Mathieu Potte-Bonneville et Serge Lasvignes l’ancien président du Centre Pompidou, que je voudrais vraiment remercier. Ce que j’aime dans cette exposition c’est son caractère global, vous entrez dans l’immense hall du palais des foires et vous avez un choc parce que vous avez la combinaison des grands tissus, des écrans vidéos, du son et vous aurez aussi les artistes de danse. C’est vraiment un visage de l’art contemporain ou de la création culturelle contemporaine et c’est une création totale dans un espace immense et qui est rempli par ces créations que j’aime particulièrement. Il y a tout au fond de la salle un petit clin d’œil au cirque, d’une artiste française qui vit à Prague, qui rappelle un petit peu si vous avez vu le spectacle des frères Forman Obludarium la tradition du cirque que l’on a en République tchèque et que l’on partage aussi un peu avec la France. Ici au Palais des Foires cette exposition L’Intime comme Résistance avec le Centre Pompidou est un choc culturel global dans un très grand espace et pour moi c’est une réussite. »
Du 10 juin au 09 octobre au Veletržní palác : https://www.ngprague.cz/en/event/3349/Move-Festiva-Intimacy-as-Resistance