130 ans après la naissance d’Edvard Beneš, la polémique persiste
En République tchèque, le deuxième président tchécoslovaque Edvard Beneš est toujours perçu comme une figure politique controversée. C’est ce que constate l’auteur d’un article publié récemment dans un quotidien national dont nous avons retenu quelques extraits. La présentation en Tchéquie du philosophe et linguiste américain Naom Chomsky, et les réactions qu’elle a provoquées, ont été largement commentées dans les médias. Les historiens tchèques ont désormais la possibilité de dévoiler des détails relatifs aux Tchèques et aux Slovaques disparus dans les goulags soviétiques. Cette information trouve également écho dans cette revue de la presse dans laquelle nous reviendrons enfin sur le prestigieux festival de musique le Printemps de Prague dont la 69e édition s’est achevée cette semaine.
Le 28 mai dernier, 130 ans se sont écoulés depuis la naissance d’Edvard Beneš. Le deuxième président tchécoslovaque a exercé ses fonctions entre 1935 et 1938, puis de nouveau, une fois la guerre finie, entre 1945 et 1948. En rappelant cet anniversaire, le supplément Orientace du quotidien Lidové noviny a caractérisé Beneš comme « la figure politique tchèque la plus controversée » de son époque, une figure par ailleurs entourée de nombreux mythes. Dans un long article, l’historien Petr Zídek remarque qu’il existe un camp regroupant les sympathisants d’Edvard Beneš et un camp de ses adversaires, mais que rares sont ceux qui sont en mesure de le comprendre dans son contexte historique. Petr Zídek remarque sur ce point :
« Nous sommes capables de ranger tous les autres hommes politiques, tant qu’ils ne sont pas encore tombés dans l’oubli, parmi les personnages positifs ou négatifs de notre histoire. Toutefois, Beneš se refuse à des jugements simples. Les opinions divergent, aussi, chez les historiens. Preuve en est avec l’absence de nouvelles biographies ou de conférences pour lesquelles cet anniversaire constitue pourtant un moment opportun. »
Petr Zídek note également que le nom d’Edvard Beneš est aujourd’hui évoqué le plus souvent en rapport avec les fameux « Décrets Beneš » et l’expulsion des Allemands des Sudètes de la Tchécoslovaquie, alors que ces décrets concernaient notamment le fonctionnement courant des insitutions en exil et les problèmes liés à l’administration du territoire libéré. Il souligne par ailleurs que le président Beneš n’a pas été le père spirituel de l’expulsion mise en place après la Deuxième Guerre mondiale. Plus loin, Petr Zídek caractérise Beneš comme suit :
« Beneš avait beaucoup des qualités qu’un bon homme politique doit posséder. Depuis sa jeunesse, il était persévérent et conscient des buts à atteindre. En 1914, il a saisi l’occasion et, au risque de sa vie ou du moins de la prison, il est devenu un des principaux acteurs des activités de résistance qui ont abouti à la création de l’Etat tchécoslovaque. Pendant dix-sept ans, il a été appelé à former, avec beaucoup de succès d’ailleurs, sa politique étrangère. »
Enfin, Petr Zídek constate que la politique qu’Edvard Beneš a mise en œuvre après l’instauration de la dictature communiste, se présente comme le chapitre le plus discutable de sa carrière politique. L’historien cite alors ce que l’ex-président tchèque Václav Havel a déclaré il y a vingt ans de cela :
« Force m’est de constater que notre deuxième président était un grand homme à qui revient le mérite de notre Etat. Il est tout aussi vrai que l’histoire l’a confronté à plusieurs reprises à des dilemmes aussi difficiles que l’était l’histoire elle-même. S’acquitter des actes de Beneš signifie donc s’acquitter de la cruauté de notre histoire ».
Noam Chomsky en Tchéquie
Cette semaine, la presse a largement commenté la première présentation en République tchèque de Noam Chomsky. A Prague, le célèbre linguiste et philosophe américain a reçu la plus haute distinction de l’Académie tchèque des sciences et donné plusieurs conférences dans des salles pleines. A cette occasion, la presse, comme par exemple le quotidien Lidové noviny, n’a pas omis de remarquer que Noam Chomsky est « un des cerveaux les plus influents du monde, qui a toutefois à la fois de fervents sympathisants et de farouches adversaires ».En Tchéquie, Noam Chomsky a semé la polémique en déclarant que les dissidents dans les pays communistes de l’Europe de l’Est ont moins souffert que ceux d’autres pays, notamment par exemple en Amérique latine. Tandis qu’Alexandr Vondra, ancien dissident tchèque, a catégoriquement refusé les opinions de Chomsky, Jan Ruml, lui aussi ancien dissident, a eu une réaction plus modérée en déclarant pour le site de l’hebdomadaire Týden :
« Pour moi, Chomsky est un intellectuel américain de gauche qui est contre la politique des Etats-Unis. Sa réaction a donc une certaine logique. Et je tiens à dire que nous n’avons jamais affirmé que nous ayons particulièrement souffert. Etre dissident était un choix libre et nous faisions ce que nous pensions être juste. Personne ne dit que nous avons souffert, et je comprends que dans les dictatures latinoaméricaines, les gens ont beaucoup plus souffert que nous. »
Lidové noviny informe également de la sortie en Tchéquie de l’ouvrage intitulé « Le dissident de l’Occident », qui constitue une rétrospective d’essais critiques de Chomsky. Le journal constate que « Chomsky est en fait un ‘dissident’, car il va à contre-courant en dénonçant le système politique et les valeurs occidentaux. »
Pour mieux connaître le sort des Tchécoslovaques disparus dans les goulags soviétiques
Un autre chapitre de l’histoire tchèque et tchécoslovaque récente est traité dans un article mis en ligne sur le site aktualne.cz. Celui-ci se penche sur la disparition, pendant la Deuxième Guerre mondiale, des milliers de Tchèques et Slovaques dans les goulags de l’ex-Union Soviétique. Son auteur, Jan Gazdík, note qu’il a fallu plus d’un demi-siècle avant que les familles puissent prendre connaissance de certains détails relatifs à leurs ancêtres disparus. Il précise :« Des historiens de l’Institut pour l’étude des régimes totalitaires ont enfin pu consulter les archives ukraniennes du NKVD, le prédécesseur du service de renseignement KGB, et identifier des documents se rapportant aux Tchèques et Slovaques emprisonnés par les Soviétiques. Ils ont été près de 15 000, dont quelque 5 000 Juifs, à quitter la Tchécoslovaquie en 1939 pour échapper aux persécutions nazies. L’écrasante majorité d’entre eux ont été victimes des représailles soviétiques. Accusés d’espionnage par le régime stalinien ou, dans le meilleur des cas, d’avoir passé clandestinement la frontière, ils ont été envoyés dans des goulags disloqués dans les régions les plus éloignées et les plus rudes de l’Union soviétique ».
Seuls ceux qui, en 1942, ont rejoint le contingent tchécoslovaque, formé après l’attaque des troupes allemandes contre l’URSS, ont pu se sauver. Des milliers d’autres Tchèques et Slovaques, à quelques exceptions près, ont péri dans des camps de travail en Sibérie... Jan Gazdík souligne que le travail des historiens de l’Institut pour l’étude des régimes totalitaires, qui consiste à élucider l’atroce histoire des Tchèques et des Slovaques qui ont choisi l’Union soviétique pour fuir le nazisme et qui ont fini dans les goulags, ne fait que commencer.
Le Printemps de Prague en manque d’interprètes d’un style original ?
Le quotidien économique Hospodářské noviny a publié dans ses pages culturelles une analyse de la 69e édition du festival de musique le Printemps de Prague, événement incontournable qui s’est achevé lundi dernier. Selon son auteur, le pianiste et chef d’orchestre Petr Jiříkovský, le Printemps de Prague reflète la tendance qui se manifeste actuellement dans le monde de la musique, à savoir qu’il y ait plus de professionnels et moins d’artistes d’un style original. Il précise :« Je suis convaincu qu’un vrai artiste doit mûrir et se développer pendant toute sa vie. Pourtant, l’époque actuelle semble ne pas disposer de suffisamment de patience à cette fin. Ainsi, on ne voit que rarement se produire sur scène des interprètes qui possèdent un style irremplaçable. Or, en écoutant les jeunes violonistes ou pianistes d’aujourd’hui, on a du mal à distinguer l’un de l’autre. »
Petr Jiříkovský admet que le festival le Printemps de Prague se porte pourtant très bien. La preuve, c’est qu’il existe toujours et que, confronté à la concurrence croissante d’autres festivals de musique locaux, il détient toujours la primauté, tant aux yeux du public que de ceux des musiciens et des partenaires étrangers. En conclusion, il écrit :
« A l’heure actuelle, il y a beaucoup d’aspects qui comptent dans le monde de la musique ou qui sont décisifs pour les agences qui ont le principal mot à dire. Les aspects commerciaux sont alors prédominants. On cherche de jeunes ‘stars’, de nouveaux visages, une approche peu traditionnelle. Et il y a effectivement de quoi choisir parmi des musiciens parfaitement préparés sur le plan technique... Il faut pourtant que ce festival et la musique classique en général ne perdent pas leur côté magique et unique. Il faut offrir aux auditeurs des émotions fortes et inoubliables et pas seulement des performances d’interprètes à succès. »