Des documents d’archives tchèques mettent en lumière les journées précédant les Accords de Munich

86 ans après les Accords de Munich qui ont entériné l’annexion des Sudètes par Hitler, le ministère tchèque des Affaires étrangères a ressorti de ses archives plusieurs documents qui donnent une idée de l’atmosphère autour de la journée cruciale du 30 septembre 1938. Des documents qui ne sont pas sans évoquer des similitudes troublantes avec la guerre de Poutine en Ukraine et la rhétorique agressive du Kremlin.

Si tout – ou presque – a été dit et écrit sur les Accords de Munich et leurs conséquences immédiates, soit le dépeçage de facto de la Tchécoslovaquie née vingt ans plus tôt, il est intéressant de se pencher sur les quelques jours qui ont précédé leur signature par les représentants de la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Italie. Ce symbole de la compromission de dirigeants de pays démocratiques avec des dictateurs revendiqués est depuis devenu « un concept pour les relations internationales » comme le signalait l’historien Antoine Marès sur notre antenne l’an dernier.

Photo: Ministère des Affaires étrangères

Ce qu’on désigne parfois dans l’historiographie comme la « montée de périls » est en effet une gradation des tensions en Europe centrale dans les années 1930, tout particulièrement après l’accession d’Adolf Hitler au pouvoir, accentuée par l’effervescence dans les Sudètes germanophones et décuplée après l’Anschluss de l’Autriche. Un peu à la manière de ce qu’on a pu voir en Ukraine pour le Donbass depuis 2014, Hitler appelle alors à « libérer les Allemands des Sudètes » de « l’oppression tchécoslovaque ».

Le conférence de Munich  (Neville Chamberlain,  Edouard Daladier,  Adolf Hitler,  Benito Mussolini) | Photo: Bundesarchiv 183-R69173/Wikimedia Commons,  CC BY-SA 4.0 DEED

Les Sudètes tchécoslovaques comprennent également en grande partie un système défensif sophistiqué – surnommé la petite ligne Maginot – édifié à partir de 1935. Près de 10 000 fortifications sont construites à cet effet. Face à l’agressivité de l’Allemagne, la mobilisation générale de l’armée tchécoslovaque est décrétée le 23 septembre 1938, en réaction à une rencontre entre Hitler et le Premier ministre britannique Neville Chamberlain à Bad Godesberg qui fixe des revendications allemandes à la Tchécoslovaquie.

Dans un télégramme de l’ambassadeur tchécoslovaque à Londres Jan Masaryk, daté du 25 septembre, sur le déroulement de cette rencontre au cours de laquelle ce dernier a rejeté les exigences du mémorandum de Godesberg, on peut lire :

Photo: Ministère des Affaires étrangères

« Chamberlain est sincèrement étonné du fait que nous n’ayons pas l’intention de retirer nos troupes des fortifications. J’ai souligné qu’hier, sur conseil des Britanniques et des Français, les fortifications avaient été occupées et que nous ne pouvions pas les évacuer à nouveau aujourd’hui. Il n’a pas voulu l’entendre. C’est un malheur que ce petit homme bête et mal informé soit le Premier ministre anglais et je suis convaincu qu’il ne le restera pas longtemps. »

Dans le même temps, l’ambassade tchécoslovaque à Berlin transmet à Prague un rapport sur un discours du dirigeant nazi au Sportpalast, comme le décrit Tomáš Klusoň, des archives du ministère des Affaires étrangères :

Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

« Le 26 septembre, Hitler a prononcé un discours célèbre et très agressif contre la Tchécoslovaquie qui est décrit en détail dans un rapport secret de l’ambassadeur Miroslav Schubert. Nous possédons également une traduction tchèque dactylographiée, datée du 27 septembre, d’un texte vraiment instructif : c’est la réponse d’Hitler à Neville Chamberlain. Ici, on est face à un modèle exemplaire de mensonges et de démagogie, qui a bien sûr trouvé un certain écho auprès de l'establishment politique britannique. Parallèlement, le 27 septembre, Hitler indique dans une conversation avec l’ambassadeur britannique Henderson qu’il est décidé à intensifier sa politique agressive. Il y déclare que si ses exigences ne sont pas acceptées le lendemain, soit le 28 septembre à 14 heures, il se réserve le droit d’une action militaire. Ainsi, les préparatifs ont commencé à Prague et, bien sûr, dans les capitales occidentales et européennes pour le déclenchement de la guerre. »

Pas de réseaux sociaux en 1938, ni de fermes à trolls comme celles qui agissent aujourd’hui depuis la Russie, et pourtant, déjà à l’époque la machine à propagande tourne à plein, comme le montrent certains documents extraits des archives du ministère. Tomáš Klusoň :

Tomáš Klusoň | Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

« On y voit les difficultés et la désinformation auxquelles la diplomatie tchécoslovaques a dû faire face. Ainsi, l’Allemagne a publié une prétendue transcription d’une conversation téléphonique entre le siège du ministère des Affaires étrangères et l’ambassade à Londres qui s’efforçait de démontrer que Prague sabotait les initiatives de paix des puissances occidentales. La diplomatie tchécoslovaque a ensuite dû laborieusement démentir ces allégations. »

La crise des Sudètes aboutira donc à la signature de ces tristement fameux Accords de Munich qui permettent d’éviter la guerre à ce moment précis, une guerre qui, en réalité, sera seulement repoussée de quelques mois. De cet événement, la mémoire tchèque a gardé le souvenir traumatique d’une trahison de ses Alliés occidentaux ainsi que l’expression évocatrice « o nás, bez nás » (à propos de nous, sans nous) : car en effet, les Tchécoslovaques, premiers concernés par ces accords n’ont même pas été invités à la table des négociations.

Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

« Plaie ouverte dans la conscience nationale française », selon les mots du regretté Marc Ferro, Munich s’est aussi avéré une défaite stratégique sur le long terme. Dans un télégramme du 30 septembre 1938, le ministre des Affaires étrangères Kamil Krofta s’adresse à ses ambassadeurs basés à Londres et à Paris et évoque les conséquences très concrètes de la signature de ces accords :

Photo: Barbora Navrátilová,  Radio Prague Int.

« Signalez au gouvernement et à l’Etat-major que les accords de Munich nous ont contraints à livrer nos fortifications, intactes et armées. Signalez-leur que par cette décision, ils se sont assuré qu’Hitler puisse s’armer encore davantage car, dans ces forteresses que nous sommes tenus de livrer au 10 octobre, se trouvent pour 2 milliards [de couronnes tchécoslovaques] de canons, mitrailleuses et munitions. »

Car si Hitler vouait aux Tchèques une haine viscérale et profonde, derrière les revendications territoriales et la rhétorique haineuse, se cachaient également des ambitions bien plus prosaïques et stratégiques : avec son industrie de l’armement très développée, ses usines Škoda et ČKD qui en font le premier exportateur de chars au monde en 1938, la Tchécoslovaquie est un fruit mûr pour nourrir la machine de guerre allemande.

L’invasion totale de la Tchécoslovaquie en mars 1939 et son démantèlement parachèvent cette mainmise : en 1940, lorsque les forces du Troisième Reich lancent leur offensive en Belgique et en France, ce sont justement des chars légers tchécoslovaques LT-38 qui viennent se déverser dans l’Hexagone…