Théâtre : le public pragois découvre la comédie française « J’aime beaucoup ce que vous faîtes »
Si l’on vous dit « Úhlavní přátelé », littéralement « Les amis jurés », cela n’évoquera très probablement pas grand-chose pour vous. D’autant moins que ces amis, en fait, ne sont pas vraiment des amis, pas plus qu’ils ne sont d’ailleurs des ennemis jurés. En revanche, si l’on vous dit « J’aime beaucoup ce que vous faîtes », cela prendra peut-être plus de sens pour vous. Il s’agit, en effet, d’une pièce de théâtre qui, depuis sa première dans une petite salle parisienne en 2003, a déjà fait plus d’un million d’entrées en France. Fruit de l’imagination de Carole Greep, la comédie, résumée très brièvement, raconte comment une fausse manœuvre avec un téléphone portable fait découvrir à un couple retiré à la campagne ce que leurs meilleurs amis, ou ce qu’ils croyaient être leurs meilleurs amis, pensent vraiment d’eux… Forte de son grand succès, la pièce, dont le thème central est l’hypocrisie ou la sincérité (c’est selon), a été traduite dans plusieurs langues, dont le tchèque depuis peu. Et sa mise en scène figure actuellement à l’affiche du théâtre de la rue Rytířská (Divadlo v Rytířské). Vendredi dernier, la dramaturge française Carole Greep était donc à Prague pour assister à sa pièce en tchèque. Nous l’avons interrogée une fois le rideau refermé. Avec à ses côtés la comédienne tchèque francophone Tereza Kostková, qui interprète un des quatre rôles de la comédie, Carole Greep nous a d’abord dit ce qu’elle pensait du spectacle auquel elle venait d’assister.
Par rapport à la mise en scène en France, le public tchèque réagit-il aux mêmes endroits de la pièce ?
« Oui, j’ai même trouvé ça émouvant, ce qui veut dire que la traduction a dû être très bien faite, même pour trouver les équivalents par exemple des jeux de mots. Les gens rient quasiment aux mêmes endroits, et même peut-être plus encore au début où, en France, le démarrage est plus difficile. En France, on a eu plus de mal à trouver la complicité dans le couple dont Terera joue l’épouse. Or, cette complicité est très écrite. Les époux se charrient, se moquent, c’est un couple très moderne qui n’a pas peur de s’envoyer des piques. Après, pour le reste de la pièce, les situations parlent certes d’elles-mêmes, mais tous les ‘rendez-vous’ sont là, les gens rient ‘quand il le faut’. Après, j’ai aussi reconnu des mots de français qui avaient été traduits ou alors des trucs très perso, mais les gens rient aussi. Le traducteur a réussi à trouver les équivalents de que ce qui était intraduisible. C’est du moins ce que je pense car, encore une fois, les gens rient à peu près aux mêmes endroits, que ce soit en français ou en tchèque. En fait, je suis hyper flattée et très émue. »
Bref, vous êtes en train de nous dire que tout est parfait dans cette mise en scène tchèque… Mais êtes-vous bien sincère, parce que c’est aussi ce dont traite votre pièce ? Les amis sont censés se dire la vérité, or vous êtes en présence de Tereza…« Je ne sais pas trop mentir, mais non, j’ai vraiment tout aimé. Après, les partis-pris… En France, il n’y a pas de musique par exemple. Ici, il y en a. Mais je n’ai pas trop d’avis sur ces choses-là, parce que ça permet de passer d’une scène à une autre. Non, vraiment, je ne vois pas trop… Tu veux vraiment que je dise du mal ? Mais le décor est super, tout s’enchaîne, une comédie doit être rythmée et elle l’est beaucoup, le tout est dirigé de façon naturelle… Non, je n’ai rien de mal à dire. »
Tereza, que diriez-vous pour votre part ?
TK : « C’était la cinquième représentation ce soir (11 avril) depuis février et c’est une pièce que les spectateurs apprécient beaucoup. J’ai passé ma soirée à penser à Carole et à me dire ‘Oh oui, ça doit lui faire plaisir d’entendre rire le public’. J’aime beaucoup cette pièce, parce que je pense qu’elle a une portée mondiale. Elle évoque quelque chose d’universel : la sincérité. La question est toujours de savoir s’il faut être ou ne pas être sincère ? Et si oui, comment, quand, complètement ? Ce sont les questions que posent la pièce, même si c’est une pure comédie. »
C’est une pièce d’un auteur français. L’humour est-il différent de celui auquel est habitué le public tchèque ?
CG : « Cela dépend, mais pour ce qui est concrètement de cette comédie, ce n’est pas très différent. J’ai tout compris tout de suite. Si je les comprends, je peux aussi rire des blagues françaises… Ce n’est pas une question de pays, mais plus des situations qui interviennent dans la pièce. »Joue-t-on différemment quand on sait que l’auteur est dans la salle ?
TK : « C’est une bonne question. J’adore être sur la scène, mais oui, j’avais un peu le trac aujourd’hui. Je voulais que tout soit parfait et que tout le monde interprète son rôle comme il faut. C’est normal. En même temps, c’est agréable, on ressent une certaine excitation. »
Ce qui peut sembler étonnant, Tereza, c’est que vous n’ayez pas vu la pièce en français avant de jouer en tchèque…
« Je n’ai pas eu le temps d’aller la voir en France. J’ai promis d’y aller. Mais surtout, je ne regarde pas le travail des autres quand je prépare la même pièce. Je ne veux pas comparer au risque d’être influencée. Après, quand tout est assis et que je suis prête, je peux lire et regarder. Ceci dit, j’ai quand même vu quelques extraits sur youtube. Mais c’est avec un énorme plaisir que j’irai prochainement en France. »Carole, votre pièce a été montée dans déjà plusieurs pays. En quoi est-elle différente ?
« Les traductions sont en général assez fidèles. Je crois que c’est surtout parce que les situations parlent d’elles-mêmes. Après, selon les endroits, la direction des comédiens peut être plus poussée parce qu’ils ont l’habitude d’avoir des comédies de ce type, comme au Portugal par exemple. Dans d’autres pays, c’est plus subtil et on a l’impression d’être dans du Tchekhov. D’autres encore ont pris la pièce au premier degré en mettant le moins d’humour possible, mais en général, les différences se font vraiment sur la scénographie et le choix de l’interprétation. Ici, par exemple, je trouve que tous les rôles sont bien équilibrés. Ils n’ont pas profité pour ‘surcharger’ certains personnages, alors que c’est une facilité en comédie… »
TK : « Je suis contente de t’entendre dire ça, parce que nous avons vraiment cherché à équilibrer, à peser les qualités et les défauts de chaque personnage. Tous les gens sont comme ça. »CG : « Ce que j’aime bien aussi, c’est l’écueil dans cette pièce, d’être très manichéen, blanc-noir, noir-blanc, d’en détester certains et d’en aimer d’autres, parce que c’est un peu écrit comme ça. Mais ici, même dans le rôle du producteur qui est pourtant particulièrement outrancier, je trouve qu’on s’attache beaucoup à lui. Et j’apprécie qu’on puisse aimer aussi les défauts des gens. C’est précisément ce qui apparaît dans la pièce tchèque. »
Dernière question en forme de conclusion : faut-il être sincère ou plutôt faut-il tout se dire entre amis ?
CG : « Entre amis, oui, parce que je pense la base, c’est la confiance. Après, dans le milieu du théâtre plus particulièrement, on ne fait qu’aller voir des pièces et de congratuler des gens, il faut prendre un autre parti… Personnellement, j’aime toujours les critiques qui sont positives. Si je n’aime vraiment pas un truc, je vais plutôt dire : ‘attendez, est-ce que vous ne pensez pas qu’on pourrait plus développer cette situation-là’, etc. Je vais plus donner des idées, mais ça ne m’empêche pas de donner mon avis. C’est assez édulcoré parce qu’il y a du positif derrière. Ça ne me viendra pas à l’idée de dire à quelqu’un que ce qu’il fait est à chier (sic). Il s’agit toujours de trouver un entre-deux, c’est-à-dire ne pas dire du mal pour dire du mal. En revanche, l’hypocrisie du style ‘tout est formidable’ à longueur de temps est insupportable. »
TK : « Je suis tout à fait d’accord avec Carole. Je pense qu’il faut trouver un juste milieu entre la sincérité et la politesse. C’est avant tout une question de cœur. Si j’aime quelqu’un, je peux tout lui dire. L’important est de trouver la forme pour dire les choses négatives. Dans la pièce concrètement, les mariés sont montés les uns contre les autres, ils ont un problème et c’est pourquoi ils parlent mal aussi des autres. C’est une affaire d’émotions. Si je me sens bien dans ma peau, je peux dire des choses négatives normalement sans faire mal aux autres. Je préfère donc la sincérité, mais sans chercher à faire mal. »
CG : « De toute façon, aujourd’hui, quelqu’un qui n’aurait aucun filtre et dirait toute la vérité aurait une durée de vie de deux jours… »