Cirkopolis : un nouveau festival dominé par des troupes francophones
Un nouveau festival du cirque contemporain a été lancé au mois d’avril à Prague. Après le très connu festival « Letní letná », le rendez-vous incontournable sous les grands chapiteaux à la fin de l’été, le festival Cirkopolis propose des productions plus petites en salles. Ces spectacles se distinguent par la multiplicité d’approches et les artistes, eux-mêmes, se servent de la technique circassienne pour aller vers d’autres genres comme la danse ou le jeu d’acteur. Pour cette première édition, qui se tient jusqu’au 16 avril au palais de l’Akropolis, les organisateurs ont parié sur des artistes francophones.
Vous êtes tous les deux originaires de la Catalogne, mais vous connaissez-vous depuis la France?
Marta « On s’est connu déjà à l’école de cirque à Barcelone, après Barcelone nous avons fait l’école de cirque de Le Lido qui est une école professionnelle. Et là il y a huit ans qu’on habite à Toulouse. »
Pau « En fait, cela fait dix ans qu’on travaille ensemble et depuis huit ans on est en France. On avait été deux ans à Barcelone et après nous sommes partis ensembles en France. »Pourquoi avez-vous choisi le nom « Fet a Mà » ?
Marta « Fet a Mà en catalan signifie « fait à la main », quelque chose d’artisanal. On l’a choisi parce que notre travail c’est beaucoup nous qui le faisons sans utiliser d’accessoires, c’est vraiment deux corps et deux chaises sur scène. Le spectacle vient de nos cœurs et de nos émotions. »
D’où vient l’inspiration de nommer ce spectacle « Cru » ?
Pau « Nous étions en processus de création et nous avions eu plein d’idées de ce qu’on voulait faire mais on ne trouvait pas un terme qui englobait tout. On voulait faire quelque chose de direct, de simple et de choquant. Mais on ne savait pas quel thème principal utiliser. Après que Marta a eu cette idée de « Cru » cela nous a beaucoup aidés à trouver une direction et une façon de mettre ensemble tous les idées qu’on avait en tête. »
Marta « Dans le spectacle, on utilise un thème qui est universel. Déjà on est deux personnes sur scène, un homme et une femme. Le spectacle parle non seulement de l’amour mais aussi de la folie. Cela parle aussi de nos peurs, et jusqu’au où on met les limites. Ce qui peut être choquant pour le public, c’est quand il s’identifie dans quelques parties. Et quand tu t’identifies, cela peut vraiment te toucher. Finalement, cela s’appelle « Cru » aussi parce qu’il n’y a pas vraiment le théâtre, c’est nous sur scène. C’est direct. »Qu’est ce qui se passe sur la scène entre vous, entre un homme et une femme ?
Pau « Il faut dire que nos scènes ne sont pas très claires, il ne s’agit pas d’une histoire du début à la fin. Nous travaillons plutôt avec les émotions et c’est au public de se raconter une histoire. Bien sûr que nous avons des histoires que nous avons envie de partager, mais on ne les explique pas trop parce qu’on a envie que les gens reçoivent ce qu’ils veulent. Après il se passe beaucoup de choses sur la scène. Ce sont deux personnages qui se cherchent tout le temps, mais qui ne se trouvent pas beaucoup. »
Le spectacle, évolue-t-il encore ?
Marta « Oui, toujours. »Pau « Depuis le tout début, il s’est pas mal resserré. Quand nous avons fait la première, nous avions déjà fait beaucoup présentations de travail, donc le spectacle n’était pas tout à fait nouveau, mais il était fragile. Mais maintenant après autant de présentations, il s’est resserré et il est beaucoup plus compact. »
Est-ce que le spectacle s’inscrit dans la continuité de vos projets précédents ou y-a-t-il des éléments novateurs ?
Pau « C’est clair qu’il y a une évolution parce que notre travail à nous a évolué au cours de ces années. Avec ce spectacle on voulait se surprendre et se mettre en danger ou en risque. On a bien réussi parce que la création était particulièrement difficile pour cette raison. C’était un travail émotionnel qui nous a demandé beaucoup de nous-mêmes. Il y a quelque chose de novateur dans la forme et dans la dramaturgie pour nous et les gens nous disent souvent que c’est nouveau pour le cirque. »
En quoi c’est nouveau plus précisément ?
Marta « C’est surtout la technique circassienne. Notre technique se base sur les portées acrobatiques que nous avons beaucoup travaillées avec Pau. Dans le spectacle il n’y a aucune figure technique pure qui viendrait du cirque. Notre technique est au service de la dramaturgie. »Cet espace à Palác Akropolis à Prague, est-il convenable pour le spectacle ?
Pau « Oui, c’est espace est bien parce que nous aimons avoir la proximité avec le public. D’un autre côté, il est un peu petit, mais ça va, on rentre. Aussi, la scène est située très haut et nous nous retrouvons au-dessus du public mais comme c’est très proche, je pense que ça va aller. Je crois qu’il y a une bonne énergie dans cette salle on l’a bien senti quand on est entré. »
S’agit-il de votre premier passage à Prague ?
Pau « Oui, pour l’artistique, oui. Mais les deux nous sommes venus quand on avait quatorze ou quinze ans, sans savoir que l’autre venait aussi à la même époque. »
Il n’y a pas de hasard dans la vie…
Pau « Non » Marta « Non, ça, c’est sûr. »
Subliminati corporation – ce sont cinq artistes, acrobates, originaires des cinq coins d’Europe : Mikel de Bilbao, Lorenzo de Trieste, Jordi de Barcelone, Romain de Paris et Maël de Lyon. Ces cinq artistes, qui se sont présentés devant un public tchèque pour la première fois en début de semaine, ont fait retenir le souffle du public tout au long de leur spectacle multilingue #File_Tone. Si la signification du titre est restée une énigme, il nous a été dévoilé que déjà cinq ans se sont écoulés depuis la création de certaines scènes. Ayant déjà traversé l’Espagne, le Danemark ou le Mexique, #File_Tone est un spectacle troublant et perturbateur, qui mêle à la fois le jonglage, l’acrobatie ou la danse. Suivant une ligne non conformiste, #File_Tone ne vous laissera pas indifférents, tout en vous rappelant que les artistes sur scène restent soumis à la dangerosité de leur métier. Malgré ces risques de blessures parfois très graves, Subliminati corporation manifeste énergiquement leur volonté de continuer de créer, et par là, d’éblouir indirectement.
De quelle façon vous êtes-vous rencontrés, étant donné que vous êtes tous originaires d’un lieu différent ?
Jordi : « On s’est rencontré dans une école (le Lido à Toulouse, ndlr.), nous avons tous faits des études de cirque. Un an après la formation on s’est réuni. On avait de la matière à travailler, après avoir participé à des laboratoires. Pendant un an et demi, nous avons fait des recherches, dans la technique, dans les idées, et puis on a construit le spectacle. Romain est arrivé un petit peu plus tard, mais il a ramené sa touche, sa couleur. Nous avons donc rassemblé tout cela, et le résultat c’est #File_Tone. »
Vous passez souvent à l’extrême, sans forcément perdre le sens de la réalité. Quel est le fil conducteur du spectacle ?
Lorenzo : « La robe rouge (rires). Il n’y a pas vraiment un fil conducteur. Mais je pense qu’il a un thème très clair, qui est basé sur notre société, sur notre vécu personnel, mais pas seulement. On peut dire que le fil conducteur, c’est l’actualité, c’est ce qui passe tous les jours dans les rues, à la télé, au niveau politique et social. Et la robe rouge, symbolise une femme qui ramène cinq hommes habillés en noir. »
Jordi : « Le fil conducteur, c’est nous aussi, ce sont les personnages sur scène qui se transforment, qui deviennent femme, présentateur, manipulateur ou policier. Mais nous ne quittons jamais la scène, du début jusqu’à la fin. Donc il y a des transformations, des mutations, mais nous en tant que personnes, nous restons là, tout le temps. Il n’y a donc pas un fil conducteur théâtral clair, une cohérence qui se tient, mais nous on est tout le temps présent. Même si chaque personnage a sa propre évolution, on reste là. D’un point de vue théâtral, le fil conducteur est la personne sur scène, qui devient une chose ou une autre, qui se perd, qui se fait mal. Et même s’il y a cinq personnes, il y a également une solitude, qui est toujours présente sur scène. »Sur scène vous êtes cinq hommes, mais le sujet féminin y est présent quel est le rôle de la femme dans votre spectacle ?
Jordi : « On n’a pas voulu donner un point clair ou une critique. On a voulu donner un point de vue, mais qui reste ouvert. Chaque spectateur peut avoir sa propre lecture. Donc des gens vont dire que cela parle de la maltraitance de la femme, de l’abus, de la libération. On aime bien les laisser libres. Dans notre recherche, on a essayé de ne pas parler tout à fait de la femme, mais sinon comment l’homme trouve sa féminité en soi. C’est le point de départ. Après on y a introduit des scènes un peu fortes, un peu tragiques. Mais on a essayé de laisser une ouverture. Par exemple, au moment où on montre le sexe ‘féminin’, il y a des réactions très différentes. Il y a des gens qui tapent dans les mains, des gens qui rigolent, des gens qui ne rigolent pas du tout. Il y a des gens qui peuvent même pleurer, qui peuvent être vraiment mal à l’aise. Donc, nous on donne un point de vue, mais ce qui est « reçu » est très différent. Et c’est ce qu’on aime bien : ne pas donner une vérité. On ne ramène aucune vérité. Selon ton vécu, selon ton façon de penser, tu vas voir une chose ou une autre. »
Lorenzo : « On retrouve également une sorte de parodie du cirque traditionnel, revu en tant que cirque de la société, le cirque d’aujourd’hui : les politiciens qui ressemblent de plus en plus à des clowns, ou des choses que l’on voit tous les jours dans les rues ou à la télévision, mais qui sont devenues si normales, si simples, que l’on n’y réfléchit plus. Par exemple le rôle de la femme dans les médias : c’est un peu compris comme « tu es belle, alors on va te mettre là au milieu, habillée en rouge. Et si tu n’es pas belle, tu ne vas pas sortir sur ces plateaux de télévision, tu ne vas pas faire beaucoup de cinéma. » C’est dur. »« Une des idées de base c’est aussi que le public prenne conscience de son rôle. A un moment donné, on est trop habitué à être trop ‘public’ de tout. Cela nous est arrivé que des gens se soient levés pour nous dire que ça n’allait pas du tout. Mais c’est en montrant ce qui ne va pas, que l’on se rend compte que cela arrive tous les jours. »
En plein milieu du spectacle, les gens se sont levés pour protester ?
Lorenzo : « Cela nous est arrivé. Pleins de choses nous sont arrivées. Chaque pays a une culture très différente, même si on est tous « européens ». Chaque pays a une culture très différente, un sens de l’humour très différent. En France, les gens ont été assez troublés par cette scène, il y avait une réaction assez obscure. Alors que plus on bouge vers le nord de l’Europe, plus les gens ils rigolent, jusqu’au moment où ils ont une prise de conscience, qui dit que « peut-être je suis en train de rire pour quelque chose qui n’est pas bien du tout ». C’est ce qui est intéressant pour moi. Car le public, il est actif, il existe, et il a un grand pouvoir. Si les gens sortent troublés ou dérangés du spectacle, c’est une réussite. »
« Dans les cirques modernes, ou dans les cirques en général, on ne pose que très peu des questions, qui vont au-delà de l’exhibition, de la maîtrise de la technique, de la discipline. Notre choix, c’est aussi de ramener notre technique, notre cirque, mais trouver une façon pour que les gens y trouvent un message derrière également, et pas uniquement des paillettes. Il n’y a pas que les applaudissements, il y a aussi des pleurs, des cris, de la douleur. La douleur est très présente dans le cirque. Le cirque, ce n’est pas un spectacle trop douloureux pour le public, mais pour les artistes, c’est très dur. A un moment donné, on a tous été blessés. Ce sont donc des choses qui sont présentes, dans notre vie de tous les jours. »
Votre spectacle est multilingue. Est-ce seulement en raison de vos différentes nationalités ou pas ?
Lorenzo : « Il y a une autre thématique qui est centrale dans notre spectacle, et c’est l’Europe. L’Europe c’est quelque chose qui n’existe pas vraiment. Moi je n’ai rien avoir avec les gens des autres pays. On peut avoir des choses en commun, mais des fois on ne s’entend pas, et on est tous obligés de parler en anglais. Alors que ce n’est pas ma langue, c’est quand même l’unique façon par laquelle je peux parler avec les autres européens. Ici, on parle tous beaucoup de langues. Je pense que cela amène également quelque chose d’honnête et de vrai. Je parle beaucoup italien dans le spectacle que le reste de la journée. Donc c’est un bon moment pour récupérer. Mikel parle en basque à un moment donné. »Mikel : « Le spectacle on le fait en anglais, en français, en espagnol et en italien. »
Lorenzo : « Avec ces quatre langues, tu as déjà la possibilité de voyager pas mal. Et de se faire comprendre. De toute façon, il y a une thématique européenne. Est-ce qu’il y a des européens, au-delà de l’Europe ? Est-ce qu’il y a quelque chose qui nous tient unis, qui nous rassemble vraiment, au-delà du côté financier, business, politique ? Telle est la question. Est-ce qu’il y a vraiment quelque chose qui nous réunit ? Je me pose des questions. »