Pour comprendre le monde, arrêtons de nous regarder le nombril

Photo: DOX

Le projet européen Museo Mundial a pour objectif d’introduire dans des institutions culturelles des questions de portée globale et ainsi d’établir pour la première fois une coopération entre les musées et les organisations non gouvernementales actives dans le secteur du développement durable. Le projet, qui doit se poursuivre jusqu’en 2016, a été lancé jeudi dernier à Prague, à la galerie d’art contemporain DOX. Sa première manifestation, une exposition, s’interroge sur la distribution et l’accessibilité des médicaments dans le monde.

Photo: DOX
Outre la République tchèque, le projet Museo mundial se déroulera aussi en Slovaquie, en Hongrie et au Portugal. Installation temporaire à la galerie DOX, sa première pragoise s’intitule Pharmatopia. Pendant deux mois, ses visiteurs seront confrontés au rapport entre l’industrie pharmaceutique et l’utopie. Au micro de Radio Prague, Milan Kreuzzieger, chercheur au Centre d’études globales à Prague et organisateur de l’événement :

« L’industrie pharmaceutique est une des industries les plus puissantes au monde, avec l’industrie d’armement. Museo Mundial veut rappeler que la distribution et l’accessibilité des médicaments est très inégale dans le monde, ce qui est contraire à un des objectifs que, dès 2000, s’est fixés l’ONU en matière de développement. De fait, 1,7 milliards de personnes n’ont pas accès aux médicaments de base. C’est un problème dont on ne parle pas assez. »

Marek Schovánek,  photo: ČTK
Pour attirer l’attention sur cette situation, l’auteur tchéco-canadien de l’installation Marek Schovánek est devenu le plus grand producteur de « médicaments artistiques ». Conçue il y a trois ans, son installation consiste en 180 pilules collées aux murs de la salle d’exposition et couvertes de différents mots et symboles. L’auteur en explique le principe :

« L’installation montre les rêves qui pourraient nous être venus en pilules. J’ai ajouté à chaque pilule un mot qui désigne ce qui ne peut pas être acheté : ça peut être les choses très différents comme le nationalisme, la foi ou le silence, d’autres fois ce sont même carrément des choses qui n’existent pas. »

Photo: DOX
Ces pilules pour le destin, l’amour ou le nazisme, nous ne les trouvons pas dans les pharmacies, certes, mais pour Marek Schovánek, ce sont les obstacles technologiques qui empêchent les compagnies pharmaceutiques de jouer ce jeu digne de Dieu, peu éthique, en nous vendant ces rêves. Le travail de Marek Schovánek se veut une exagération de l’idée selon laquelle les pilules magiques offrent une solution facile à tous nos problèmes. Ces pilules sont toutes très attirantes, ressemblant plutôt à des bonbons qu’à des médicaments. Mais cela n’est pas la seule interprétation possible de la démarche artistique de l’auteur :

« Cette exposition des médicaments existe depuis trois ans dans différentes versions. En Allemagne, elle s’appelait ‘Trust your dealer’ (Fais confiance à ton dealer), ce qui, en anglais, permet de jouer sur l’ambiguïté du mot ‘dealer’, qui désigne à la fois un marchand d’art et la personne qui revend de la drogue. On peut aussi concevoir l’art comme une drogue. »

Photo: Facebook de Marek Schovánek
La variante tchèque du projet met l’accent davantage sur l’accessibilité des médicaments à l’échelle mondiale. L’édition de ce lundi du quotidien Mladá fronta Dnes montre à quel point le sujet est d’actualité en République tchèque. Le journal dénonce une pratique de réexportation de médicaments de distributeurs tchèques dans les pays voisins, où ils sont revendus jusqu’à dix fois plus cher. Si certaines pilules sont importées en République tchèque en quantité supérieure à la demande nationale, elles deviennent toutefois inaccessibles sur le marché en raison de leur réexportation.

C’est donc sur le caractère global de quelques-uns de ces différents défis que les organisateurs du projet Museo mundial souhaitent attirer l’attention du public. Et pour comprendre ces défis globaux, il convient, comme le dit le sociologue allemand Ulrich Beck, d’arrêter de se regarder le nombril.