Superamas a ouvert sa boîte à outils politiques à Prague
Superamas est un collectif franco-autrichien de six membres permanents, pluridisciplinaire et multilingue. Il a été fondé en 1999 et depuis il est basé dans trois pays, l’Autriche, la France et la Belgique. Invités réguliers des grands festivals européens, ils avaient également été sollicités par les organisateurs du festival international de théâtre « 4 + 4 jours en mouvement », qui s’est tenu à Prague au mois d’octobre. En 2014, ils continuent de tourner en Europe avec leur nouvelle production « Théâtre » avec laquelle ils avaient ébloui le public pragois.
« Superamas représente les galaxies, cela a à voir avec l’astrophysique, donc ce nom nous a intéressé pour son côté scientifique. De plus, il sonne bien. C’est aussi une chaîne de supermarchés au Texas. Donc en fait ce nom a une pluralité de significations qui nous semblait intéressante. »
Qui sont donc les membres du groupe ? La parole est à Roch :
« On est six membres permanents, dont cinq qui ont une activité directement artistique, et pour chaque production, en particulier la production d’un spectacle, on s’adjoint les services d’un certain nombre de performeurs, danseurs, acteurs ou de techniciens. »
Ces membres permanents viennent d’horizons très divers, comme l’explique Vincent :
« Il y a des gens dans le groupe qui viennent aussi bien du design des objets, du théâtre, de la dance, du cinéma, de la géopolitique. Il y a plein de compétences et d’intérêts divers et c’est cela qui nous a rassemblé dans ce collectif. »
Les activités de Superamas se partagent entre différentes branches artistiques et une pièce combine souvent plusieurs approches. Ils ont déjà fait des spectacles de lumière, des performances ainsi que de la vidéo, mais c’est la production de spectacles qui prédomine. Parmi les spécificités du groupe se trouve également le fait qu’ils sont implantés dans trois pays européens. Vincent en décrit la raison :« C’est une réalité qui recouvre notre pratique. Nous travaillons dans tous ces pays et d’autres encore, mais très régulièrement en Belgique, en Autriche et en France. De part cet état de fait, nous étions amenés à créer des structures dans ces pays-là pour pouvoir demander des subventions, gérer les coproductions qu’on pouvait avoir etc. Cela recouvre une réalité d’une européanisation dans le petit milieu de la performance contemporaine et de l’art contemporain. Pour un groupe comme le notre, c’était un peu la seule façon de travailler. »
Vincent décrit également le processus de création d’une pièce depuis tout le début :
« Soit le sujet s’impose de manière facile parce que quelqu’un en avait vraiment envie et puis cela rencontre l’enthousiasme… ou bien cela peut être plus compliqué. En général, c’est toujours une conjonction de plusieurs choses. Prenons comme exemple le Théâtre. Il y a la question de la perspective, de l’utilisation de la perspective en politique, la question de la représentation publique, du point de vue en politique en face d’une image. Toutes ces questions regroupées ensemble donnent un faisceau, ça fait un nœud comme quand vous créez une tente. Et autour de ce nœud, on fabrique le spectacle. »
Dans le « Théâtre » cette œuvre dans lequel le spectateur entend parler turc, arabe, français, anglais et allemand, les artistes combinent des aspects réels avec de la fiction. Roch :« On va rassembler un certain nombre d’hommes et de femmes politiques sur scène, qui tiennent un discours officiel. Comme c’est le cas dans la plupart des enceintes internationales, ces hommes et femmes politiques s’expriment dans leur langue maternelle avec ici, en République tchèque, des sous-titres en tchèque pour que tout le monde puisse comprendre ce qui se dit. »
Concrètement donc, on retrouve dans la pièce plusieurs figures de la politique : Nicolas Sarkozy, Ariel Sharon ou Mouammar Kadhafi, ce qui nous amène à nous interroger sur la place de la politique dans la production de Superamas. Roch et Vincent répondent :
Roch : « Les thèmes qu’on aborde mettent en scène des hommes politiques et au de-là, ce qui nous intéresse c’est la manière dont la politique se met en scène au quotidien, donc on essaie de démonter ces mécanismes de mise en scène du fait politique. Dans le spectacle, nous n’avons pas une posture de dénonciation ou une posture qui tendrait à indiquer où est le bien et le mal. Démonter ces mécanismes politiques est déjà un acte politique en tant que tel. Mais nous ne disons pas aux spectateurs de voter pour untel ou untel. »Vincent : « Mais je pense que le travail de Superamas et ce que décrit Roch peuvent être extrapolés sur toutes les créations que nous avons faites. Elles sont pour la plupart très politiques parce qu’elles proposent une déconstruction de la réalité. En déconstruisant, en désassemblant des choses que l’on n’a pas l’habitude de voir en morceaux, en les mettant devant les yeux des spectateurs, en jouant avec cela, on propose un regard qui est nécessairement politique sur le monde et sur la réalité et en plus on le fait avec beaucoup de joie, de plaisir et de divertissement. On ne fait pas de la philo, mais on essaie de faire tout cela de manière divertissante et c’est aussi une posture politique. »
Curieux de découvrir leur démarche politique, nous avons demandé à Roch et à Vincent si on peut appliquer à la pièce Théâtre le même le sous-titre « basé sur la politique réelle », déjà associé à leur dernier vidéo humoristique sur l’ancien Premier ministre italien Silvio Berlusconi et qui s’inspire de faits réels.« Oui, on met en scène des personnages politiques existants, on prend une base de réalité pour construire une fiction politique. » Vincent : « « Real politics » a aussi un double sens, c’est pour cela que c’est assez drôle, c’est aussi une posture politique, la « realpolitik », comme on dit en français. Les faits dans le film sur Berlusconi n’ont rien à voir avec la politique réelle, en revanche, c’est du reality show. Le concept de reality show, on l’a beaucoup utilisé aussi. C’est très intéressant de voir ce que cela veut dire. Cet assemblage de mots dit beaucoup le spectacle qu’on est en train de voir. »
Roch : « C’est du « real-politics-show ». »
Vincent nous en dit plus sur ce que le collectif a recherché dans la pièce « Théâtre » :
« Ce qui nous intéresse, c’est la manière dont on représente les choses dans l’art. C’est une question artistique fondamentale. Comment représente-t-on les choses et comment les perçoit-on ? On a voulu évoquer les pays du Sud ou orientaux, si ce terme est une réalité géopolitique. Dans l’histoire de l’art des pays occidentaux, il y a ce mouvement d’orientalisme, qui est tout à fait saisissable. Mais dans les médias contemporains, il y a aussi une approche de l’orientalisme, une manière tout à fait particulière d’évoquer en particulier les pays arabes en ce moment, qui n’est pas sans biais, sans certaines œillères. Cela nous intéressait de croiser ces deux choses. Un mouvement repéré dans l’histoire de l’art et une manière de percevoir la réalité politique des pays qui ne nous sont pas forcément éloignés mais qu’on voit toujours sous un certain angle et depuis une certaine perspective. »La pièce « Théâtre » a la capacité à faire expérimenter aux spectateurs européens un renversement de la perspective habituelle. Elle leur permet d’examiner leur regard sur l’Orient, un regard déformé par les préjugés parfois véhiculés par les médias. Superamas fait apparaître ces préjugés en se situant de l’autre côté de la barricade, dans un monde où le colonel Kadhafi est un défenseur des droits de l’homme et où Nicolas Sarkozy au contraire entrave les efforts de la communauté internationale pour les défendre. C’est aussi un monde dans lequel la Belgique est déchirée par la guerre civile - du moins, d’après l’image qu’en donnent les médias. La pièce accentue donc ce regard très politique et révèle l’étroitesse de notre réflexion par rapport aux autres cultures et pays, tout cela avec un humour à base d’extrapolation et l’absurde.
Si vous n’avez pas pu assister à l’unique représentation de Superamas à Prague, vous aurez peut-être l’occasion de retrouver le collectif au cours de l’un de leurs voyages permanents entre l’Autriche, la France et la Belgique, car vous êtes sans doute curieux de découvrir ce que le colonel Kadhafi et le roi de Belgique Albert II ont en commun…