Les Tchèques à la conquête des marchés africains
Les échanges économiques entre les pays africains et la République tchèque : tel était le thème d’un forum international qui s’est déroulé fin septembre à Prague. A cette occasion, de nombreux acteurs de ces échanges ont pu intervenir. Parmi eux, des représentants de la société Veba, une entreprise tchèque qui fabrique des tissus et exporte plus de 90% de sa production vers l’Europe et surtout vers l’Afrique. Radio Prague s’est entretenu avec Siaka Koné, un Malien installé depuis plus de vingt ans en République tchèque qui collabore avec cette société.
Ainsi, la société Veba, qui confectionne des tissus africains et en exporte une part non négligeable vers l’Afrique, est revenue sur le développement de ses exportations de l’autre côté de la Méditerranée. Siaka Koné collabore depuis de longues années avec cette entreprise. Il revient sur son parcours qui l’a amené à s’installer en République tchèque, plus précisément en Moravie :
« Mon parcours est atypique. Je suis arrivé en Tchécoslovaquie en 1985 pour mes études supérieures avec une bourse gouvernementale. Après mes études de sociologie, j’ai continué avec un doctorat. Ensuite, j’ai travaillé dans certaines sociétés pour avoir un peu d’expérience. J’ai ouvert une société de marketing, d’enquêtes d’opinion publique et d’études de marché que j’ai vendue en 2002. Après, j’ai créé une autre société, cette fois parce que j’avais la nostalgie de mon pays, surtout de l’Afrique. Mes obligations ici ne me permettaient pas trop d’aller en Afrique. J’ai donc cherché des opportunités pour pouvoir rester en contact permanent avec l’Afrique. »Cette nostalgie de l’Afrique conduit les destins de l’entreprise Veba et de Siaka Koné à se croiser :
« Je suis entré en contact avec la société Veba qui, à l’époque, fabriquait du Bazin (une sorte d’étoffe, ndlr). Elle venait juste de se lancer dans cette activité, à faire de la finition pour l’Afrique. Et je suis l’un des partenaires de Veba. Mon travail, c’est d’aller chercher des clients sur le marché, de faire des études de marché, de voir les possibilités d’expansion de Veba. Je crois que cela a commencé en 2002-2003. C’est moi qui les avais contactés à l’époque pour leur proposer mes services : aller chercher des clients en Afrique. Ce que j’ai réussi à faire. Cela fait onze ans aujourd’hui que nous travaillons ensemble. C’est très fructueux et c’est pourquoi je suis là aujourd’hui. »
Mais Siaka Koné travaille également à mettre en relation des entreprises tchèques avec des clients potentiels en Afrique et inversement :
« Je suis parti de l’hypothèse qu’au temps du communisme, il y avait beaucoup de sociétés qui travaillaient avec l’Afrique. Après la révolution, beaucoup d’entre elles ont perdu du terrain et veulent désormais revenir. Maintenant, je sers d’intermédiaire pour les sociétés tchèques qui veulent s’implanter en Afrique. Cela dépend si c’est une société tchèque qui me contacte pour aller lui trouver des clients en Afrique ou si ce sont des sociétés africaines. Parce que je suis bien connu également en Afrique occidentale. Cela arrive également que des sociétés africaines me contactent pour leur chercher des fournisseurs, des produits spéciaux. Et généralement cela commence comme ça. »Le déséquilibre des échanges entre l’Afrique et l’Europe ressemble à un gouffre. La balance commerciale africaine est négative. Les Etats africains importent bien plus qu’ils n’exportent. Siaka Koné explique :
« L’Afrique ne fabrique rien. L’Afrique importe. Donc, sachant que l’Afrique a besoin de tout, c’est la base, il faut partir de ça. Il faut se demander sur quel plan on peut supplanter les Chinois. Parce que les Chinois sont moins chers, mais la qualité n’est pas très bonne. L’Europe de l’Ouest est assez chère. L’Europe de l’Est a la même qualité que l’Europe de l’Ouest et le prix se trouve quelque part entre l’Europe de l’Ouest et la Chine. C’est ce qui fait le succès de nos produits. »
Lors du forum, de nombreux intervenants ont pointé du doigt l’une des faiblesses de la République tchèque, à savoir qu’elle est relativement peu connue en Afrique. Siaka Koné confirme cette difficulté mais estime que la société Veba a su la surmonter :
« Le Bazin en Afrique est connu comme le Bazin allemand parce que, pendant des années, la République tchèque a fabriqué du Bazin, mais la finition était faite en Allemagne et le produit fini était expédiée au Mali sous le nom de Bazin allemand. C’est ce qui explique pourquoi, pendant longtemps, le Bazin, qui est notre habit, notre tissu traditionnel, était connu comme le Bazin allemand. Il nous a fallu beaucoup d’efforts auprès des clients pour leur faire accepter la marque tchèque. Mais aujourd’hui, la République tchèque est de plus en plus reconnue comme un grand producteur de Bazin. »Pour les entreprises européennes, et notamment tchèques, qui souhaitent développer leurs activités en Afrique, l’instabilité politique chronique du continent constitue une autre donnée à prendre en compte. Siaka Koné développe :
« Vous savez, l’Afrique n’est jamais stable. La Côte d’Ivoire était stable avant de traverser une crise de plusieurs années, ce qui a complètement foutu le pays en l’air. Maintenant, le commerce reprend en Côte d’Ivoire. Le Mali, qui était cité comme un exemple de démocratie en Afrique, vient de vivre une année de crise sans précédent, mais cela n’a pas tellement touché nos marchés. Parmi tous les pays avec lesquels je travaille, le Sénégal est sans doute le plus stable actuellement. Depuis son indépendance, le Sénégal n’a pas connu de problème grave. Le pays est vraiment stable. »
La société Veba exporte surtout vers l’Afrique de l’Ouest, un marché gigantesque de plusieurs centaines de millions d’habitants qui possède par ailleurs de nombreuses similitudes. Siaka Koné :« L’Afrique occidentale, c’est généralement la même culture, le même mode de comportement. Par exemple, le Bazin pour lequel nous sommes présents à ce forum se porte au Mali de la même façon qu’au Sénégal, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et en allant jusqu’au Bénin. Seul le goût peut différer un peu, mais il s’agit de petits détails. »
Originaire du Mali, Siaka Koné n’est évidemment pas insensible aux événements qui agitent ce pays depuis de longs mois. Et il envisage désormais une action à caractère humanitaire pour venir en aide dans la mesure de ses possibilités au peuple malien qui sort d’une guerre civile à l’origine d’importantes migrations de populations.« Je sais qu’il y a des soldats tchèques au Mali. Je l’ai lu dans les journaux, j’en suis informé. Je sais que le gouvernement tchèque supporte, dans le cadre de l’Union européenne, différentes initiatives. Je voudrais plutôt évoluer dans le cadre de l’humanitaire, parce que, vous savez, nous avons à peu près un demi-million de déplacés qu’il faut replacer sur le terrain. Et c’est pourquoi j’ai contacté au mois d’avril le ministère de l’Action sociale au Mali pour trouver une éventuelle aide à ces gens. Et je suis content que la société Veba soit l’une des entreprises à s’être portée volontaire pour cette action. »