Jacques Rupnik : « Le Forum 2000, un cadre pour le dialogue ouvert »
La conférence internationale du Forum 2000 s’achève ce mardi à Prague après une ouverture solennelle, lundi, en présence du dalaï-lama, le leader spirituel tibétain. Consacrée aux « Sociétés en transition », cette 17e édition proposait une quarantaine de conférences accessibles au public, articulées autour de sept grandes thématiques (société, économie, religion et éthique, etc.) dont ont débattu plus d’une centaine d’invités de marque. Radio Prague s’est entretenu avec le politologue français Jacques Rupnik, animateur de la première conférence intitulée : « Avons-nous des aspirations universelles ? »
« Je crois que dans le projet Forum 2000, il y a trois raisons de continuer même après la disparition de son fondateur, Václav Havel. La première, c’est l’esprit du dialogue. Je crois qu’il y a une atmosphère particulière, le Forum 2000 ne propose pas un cadre rigide, une idéologie. C’est plutôt un cadre pour un dialogue ouvert entre les gens de tous les horizons, de tous les pays. C’est un débat d’idées, ce n’est pas un débat d’experts. La deuxième raison, c’est que les questions que se posait le Forum 2000 n’ont pas disparu. Dans les années 1990, il y avait une espèce du triomphalisme démocratique, on a la démocratisation, la mondialisation, la gouvernance mondialisée, les droits de l’homme, bref, on était dans l’optimisme de l’après 1989. Dans la décennie qui a suivi, après le 11 septembre, ce qui a prévalu, c’était le pessimisme culturel, on va vers le conflit des civilisations…. Le Forum a toujours refusé et la première version et la deuxième. C’était toujours une tentative de rechercher le dialogue et les principes communs qu’il y a à toutes les grandes cultures et religions, ce que Havel appelait le minimum moral sur lequel nous pouvons nous mettre d’accord. Je pense que les raisons pour continuer le débat sont toujours là. La mondialisation, la crise, nous les vivons, mais le Forum n’est pas piégé par les partis pris qui ont prévalu dans le passé. Et puis la troisième raison, la plus évidente, c’est la fidélité au fondateur. La plupart des gens qui venaient au Forum, et je pense que ça continue à être vrai, le faisaient par attachement à la personne du fondateur, Václav Havel, à ce qu’il représentait pour eux, et j’espère que cela va continuer. »
Outre le dalaï-lama, qui est désormais un invité habituel du Forum 2000, l’événement a pu accueillir pour la première fois Aung San Suu Kyii. La leader de l’opposition birmane a ouvert le cycle de conférences relatives aux « Transitions des systèmes politiques ». Son discours étant disponible en ligne (http://www.forum2000.cz/en/web-tv/). Radio Prague a choisi de suivre les autres débats du même cycle qui n’ont pas été enregistrés. Parmi eux, notamment, la discussion intitulée « Se réconcilier avec le passé », à laquelle ont participé les représentants des différents instituts chargés de l’étude du passé communiste et de la gestion notamment des archives de la police secrète. Il s’agit souvent d’institutions dites de la « mémoire nationale ». En République tchèque, l’organisme analogue est l’Institut pour l’étude des régimes totalitaires (ÚSTR), qui n’a été crée qu’en 2002. Fondateur de l’association de l’histoire orale qui s’intéresse surtout à la vie et au legs des prisonniers politiques (politictivezni.cz, politicalprisoners.eu), Tomáš Bouška esquisse l’apport de ce débat entre les experts nationaux :« Par rapport aux autres pays, j’ai l’impression que la République tchèque a pris du retard quant à la création de son Institut pour l’étude des régimes totalitaires (ÚSTR). Mais en les écoutant lors du débat de ce lundi, je me suis rendu compte que nos amis polonais et hongrois partageaient le même sentiment. Je suis très content d’avoir pu organiser cet événement avec nos homologues centre-européens. J’ai été surpris d’apprendre, par exemple, que très peu de gens consultaient les archives de la police secrète en Pologne. J’ai appris également qu’en Hongrie, ces archives avaient été privatisées dans les années 1990. Selon moi, il est assez commun que la réinterprétation de l’histoire s’accompagne de luttes et de manipulations politiques, mais ce débat m’a confirmé qu’il fallait avant tout les maintenir dans des limites démocratiques. » Passionnant, le débat l’a notamment été parce qu’il a eu le mérite de ne pas se limiter à l’espace centre-européen. Les intervenants ont été invités à s’interroger sur la portée de ce processus de réconciliation pour des pays à l’aube de leur propre transition politique. Une thématique complexe dont Radio Prague vous présentera un aperçu plus détaillé lors de prochaines rubriques.La conférence internationale du Forum 2000 s’achève donc ce mardi, mais pour les intéressés, ses archives en ligne proposent une documentation très riche des conférences phares de cette 17e édition.