La marionnette, son maître et l’engagement (II)

the_man_who_made_angels_fly3.jpg

Le festival international du film de Karlovy Vary s’est achevé voici plus d’un mois. Radio Prague, présent lors de l’événement cinématographique le plus important de République tchèque, a ramené plusieurs entretiens dans ses valises. Aujourd’hui, nous vous proposons ainsi de découvrir Wiktoria Szymańska, une artiste touche-à-tout, venue en Bohême pour présenter son deuxième documentaire, « The man who made angels fly », un portrait poétique du grand marionnettiste Michael Meschke. Seconde partie de cet entretien où transparaît à travers les thèmes choisis par le maître et ses pérégrinations à travers le monde une forme marquée d’engagement.

Wiktoria Szymańska,  photo: Film Servis Festival Karlovy Vary
« C’est ça qui pour moi est extraordinaire avec le théâtre de Michael Meschke parce qu’en parallèle d’un répertoire pour les enfants, il y avait toujours un répertoire plein d’histoires mais ancrées dans l’actualité. Donc par exemple, pour Antigone, ce n’est pas l’Antigone antique, c’est l’Antigone d’aujourd’hui, qui se bat, qui s’est toujours battue contre l’injustice, qui défend ses idées. C’est l’immortel Don Quichotte qui revient toujours. Dans chaque pays, dans chaque époque, il y a toujours des Don Quichotte. Je pense que cette icône là a toujours été pour Michael Meschke un « manifesto » quelque part de ses points de vue politiques, de ses points de vue sociaux. C’était vraiment des sujets toujours très inspirés par l’actualité. C’est formidable. Les pièces qu’il a faites ont toujours été en lien avec ce qui se passe dans le monde. Il fait revenir du passé les personnages, les icônes que l’on connaît pour les faire revivre dans l’actualité. »

Michael Meschke parle également d’une transmission aux générations futures de ces icônes…

« Exact, je pense que je voulais aussi cela. Je voulais le marquer dans le film parce que je trouvais qu’il était très juste dans ses choix. Ses choix de marionnettes, de personnages, qui doivent être importants pour nous aujourd’hui et demain, pour les prochaines générations. Je partage ses points de vue : Don Quichotte, c’est quelque chose qu’on ne va jamais tuer, qu’on ne peut jamais oublier. Je pense que cette transmission, c’est important. C’était important pour moi dans le film de bien choisir les marionnettes selon les thèmes qu’il aborde pour qu’elles puissent rester dans nos mémoires. C’est pour cela que je voulais faire des scènes simples et courtes pour qu’il y ait une naissance. Il n’y a pas de discours trop parlé, il n’y a pas de discours de théâtre mais vraiment un discours proche de l’être humain. C’est ce à quoi j’ai toujours pensé. »

Il y a un autre travail au niveau de la musique pour l’adapter au film et parfois donner vie à ces marionnettes. Comment avez-vous travaillé sur la musique ?

« J’ai travaillé avec une compositrice Florencia Di Concilio et en fait c’était très instinctif, très rapide. Je pense qu’on a trouvé la bonne matière qui venait un peu des mouvements des marionnettes, de quelque chose qui nous rappelait les marionnettes, du mouvement en général. Je trouvais qu’il était aussi nécessaire de ne pas avoir la musique comme accompagnement mais comme quelque chose qui donne la sensation du mouvement. »

Michael Meschke a vu le film ? Qu’en a-t-il pensé ?

« Oui ! J’ai eu de la chance… parce qu’il m’a fait entièrement confiance dès le début alors que j’ai poussé les choses assez loin je pense. Je pense avoir dépassé la convention documentaire… »

Par exemple, il y a des scènes dans les rues de Paris avec ces marionnettes ou alors il y a des scènes de théâtres qui les acteurs et les marionnettes sont mêlés. Vous avez voulu tout cela ?

« Oui, j’ai tout mis en place. J’imagine que pour Michael Meschke, cela n’aurait pas été naturel de faire cela parce que quelque part je désacralise un art sacré pour lui. Mais je pense aussi, comme je l’ai dit, que je ne faisais pas un film sur l’art de la marionnette. J’ai fait un film sur un homme et ses marionnettes et sur le fait qu’elles existent indépendamment de lui. Donc c’est deux choses différentes. Bien sûr, ce n’est pas comme cela qu’on doit voir la marionnette normalement pour des gens professionnels mais ce n’était pas le but du film. Et c’est pour cela que je me suis permise d’aller un peu loin dans les idées assez surréalistes. Je voulais qu’il y ait un univers complet et il ne peut pas y en avoir si on ne pousse pas les choses jusqu’au bout, ce n’est pas possible.

J’ai aussi fait quelque chose de terrible mais Michael Meschke a été formidable. J’ai eu plein d’idées pas tout à fait classiques… mais il ne m’a jamais trop posé de questions et j’ai senti qu’il était en confiance. Donc il s’est même jeté dans l’eau pour redevenir un tout petit peu la marionnette lui-même, c’était aussi l’idée dernière cela. C’est le moment où il parle de la mort et même cela il l’a fait en me faisant confiance alors que ce n’est pas évident j’imagine… »

C’est vrai qu’on ne le voit pas à l’écran cela. On peut penser que c’est sa vie quotidienne de faire de la plongée…

« Non ! Ce n’était pas la vie quotidienne ! »

Ca, c’était en Grèce. Revenons en Tchéquie. Avant la projection du film, vous avez dit que vous étiez contente que le film soit projeté en République tchèque car Michael Meschke a une histoire avec la Tchécoslovaquie. Il était par exemple présent en 1968…

'The man who made angels fly'
« Oui, tout à fait. Michael Meschke, pendant la période du communisme, était assez engagé. Il a beaucoup travaillé dans l’Europe de l’Est avec des théâtres, avec des collaborateurs du monde de la marionnette. Il a toujours essayé de venir ici avec un répertoire qui était, à l’époque, peu acceptable. Un répertoire dans lequel il parlait d’idées sur la liberté, toujours avec une critique du système présent, avec une critique du mythe de la liberté. Il a même fait un film en 1968 après l’entrée des troupes soviétiques en Tchécoslovaquie. Le film s’appelle Prague et est très beau. Il a été tourné dans un cimetière de la ville avec les bruits, les sons originaux qui proviennent de la rue. C’était pour lui toujours très important d’être en solidarité avec les peuples, avec les gens qui passaient par des moments très difficiles, soit du fait de dictatures, soit du fait de la pauvreté. Je crois que c’est aussi pour sa que je l’admire en tant qu’artiste. »

Paradoxalement les marionnettes n’ont pas beaucoup de liberté…

« Je ne sais pas, c’est une bonne question. Je crois vraiment comme Michael Meschke qu’il y a une double vie de la marionnette que l’on ne peut pas voir ou que l’on ne connaît pas. C’est vrai qu’elles sont objets de manipulation mais comme on le voit à quelques reprises dans le film, parfois elles s’échappent. Il est possible même pour la marionnette de s’échapper ou de trouver son geste propre. Finalement, rebelle, elle reprend un peu sa propre vie en main. »

Parlons du festival de Karlovy Vary. C’est la première fois que vous venez ? Quelles sont vos impressions ?

« C’est la première fois, je suis vraiment ravie d’être ici. Je trouve que l’équipe, l’organisation est vraiment aimable. C’est un très bon milieu pour montrer ce genre de films, pour se sentir très à l’aise. C’est toujours difficile de montrer un film sur lequel on a travaillé longtemps. Avoir le premier accueil du public, c’est un moment assez stressant pour la plupart des réalisateurs, ce n’est pas un moment de joie. »

Comment s’est passé la première projection ? Vous aviez le tract ?

'The man who made angels fly'
« Non, mais on est toujours dans l’incertitude. On ne sait jamais comment les gens vont réagir. Parce qu’on reste dans un cercle limité jusqu’au moment où le film va vers le public. Et je suis vraiment surpris et touché que le film parle autant aux gens. Il y a une réussite de ce côté-là, dans ces idées qui passent par le film et qui doivent un peu toucher les gens. »

D’autres films du festival vous ont touché ?

« Oui, j’ai vu d’autres films mais qui sont de styles complètement différents. Je pense qu’on choisit toujours de faire un film qui a une expérience. Certains réalisateurs les font pour une expérience de leur propre fantaisie, de leur histoire, d’autres les font pour expérimenter… Donc, c’est vraiment toujours des expériences différentes. C’est intéressant parce que j’aime bien avoir à chaque fois un nouveau regard sur le monde. C’est pour cela que je suis toujours curieuse de voir plein de films. »

Le festival, c’est aussi l’occasion de rencontrer des gens…

« Oui, car c’est vraiment ici que la vie du film commence. C’est à partir de là qu’il va être montré ailleurs, donc ce premier accouchement du film est quand même vraiment important. Afin que cela se passe bien, qu’il y ait un retour qui va donner envie aux autres. J’aimerais bien que ce film soit quand même vu. Je ne dis pas cela seulement parce que c’est mon film, mais vraiment pour la marionnette, pour Michael Meschke, pour faire une découverte, et puis bien sûr pour mes collaborateurs comme Irène Jacob. Elle a donné un rôle à des femmes marionnettes, a été extrêmement généreuse avec nous. Je trouve qu’elle est très touchante dans ce film et j’aimerais que les gens puissent le voir ! »