Marek Halter : « Si j’étais Benyamin Netanyahou, j’aurais envoyé un télégramme de félicitations à Mahmoud Abbas »
C’est pour présenter la traduction tchèque de son livre « Le Kabbaliste de Prague » que l’écrivain Marek Halter a visité les 5 et 6 décembre 2012 la capitale tchèque. Dans un entretien qu’il a accordé à cette occasion à Radio Prague, il a été question de son livre inspiré par l’histoire et les légendes pragoises mais aussi d’autres œuvres de cet auteur français né en 1936 à Varsovie, parmi lesquelles la saga La Mémoire d’Abraham. Marek Halter, fondateur et président du Comité pour la paix négociée au Proche Orient et initiateur des premières rencontres entre Israéliens et Palestiniens, a évoqué également ses activités en faveur de la paix. Voici la deuxième partie de cet entretien.
« Vous savez, on n’invente jamais rien. Il y a toujours des gens avant vous. (Rires) C’est comme ça et on ne sait jamais qui était le premier. Il y a une littérature, que j’appellerais épique, qui essaie de reproduire l’histoire et en injectant l’imaginaire et les personnages imaginaires rend cette histoire universelle. D’abord c’était la Bible. Donc j’appartiens à cette catégorie d’écrivains. Je suis parti de la légende familiale. Ce n’est pas sûr qu’il y ait eu un rouleau qui est passé de génération en génération. Mais je savais et on me disait depuis que je suis tout petit que nous sommes peut-être une des plus anciennes familles d’imprimeurs juifs. Et en effet, j’ai trouvé les traces d’un Halter, Gabriel Halter, qui a travaillé avec Gutenberg. Et à partir de là, j’ai suivi toutes les publications des descendants de ce Gabriel Halter et, imaginez-vous, que j’ai découvert ensuite une imprimerie de mes ancêtres à Soncino dans la vallée du Pô en Italie où il y a une maison de cette famille d’imprimeurs juifs. C’est là où l’imagination d’un écrivain s’introduit. Donc autour d’une histoire vraie, j’ai brodé neuf cents pages d’histoire d’une famille juive, en réalité du peuple juif de la destruction du Temple par Titus en l’an 70 de notre ère jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à mes parents. »
Pour le pape Jean-Paul II, c’était le livre de réconciliation. Avez-vous eu, en écrivant ce livre, l’intention de contribuer à la réconciliation judéo-chrétienne ?
« Non, je n’ai pas pensé à ça. Le Pape Jean-Paul II, je l’ai connu par hasard. Nous sommes devenus très proches parce que l’ambassadeur de France auprès du Vatican à l’époque était Xavier de la Chevalerie, et quand mon livre La Mémoire d’Abraham est sorti en Italie, je lui ai demandé de transmettre de ma part un exemplaire au Pape. Et du coup, le Pape a voulu me connaître. C’était une rencontre forte pour moi. Il m’a pris dans ses bras, on s’est embrassé et je crois qu’à ce moment il s’est passé quelque chose entre nous. Vous savez la relation entre les hommes, c’est la même chose que la relation entre l’homme et Dieu. Il se passe quelque chose ou il ne se passe rien. A partir de là, on avait une tradition de déjeuner ensemble tous les mois. Et quand il a lu mon livre, il m’a envoyé un petit mot. Et du coup, mon éditeur a reproduit ce petit mot sur la couverture de la nouvelle édition de mon livre. Voilà. (Rires) »Depuis de longues années vous luttez pour la paix au Proche Orient. Après tant d’années d’efforts, constatez-vous un certain progrès, un changement positif dans la situation au Proche-Orient et dans celle de la diaspora juive dans le monde ?
« J’aurais tendance à dire non, bien sûr. Mais ce n’est pas vrai. Malgré tout, les choses avancent. Bien sûr, on avait signé la paix, Yitzhak Rabin a été tué, j’ai pleuré, je suis allé à son enterrement, c’est tout ce que je pouvais faire. Et il fallait recommencer tout à nouveau ou presque. Sadate, c’était un ami. Sadate a été tué et j’ai pleuré à nouveau parce que la paix entre les hommes dépend des hommes. Si ces hommes de paix sont tués, il faut trouver d’autres hommes pour les remplacer sauf qu’eux, ils ont déjà existé avant. On ne commence pas à zéro. C’est ça qui est important. »
En 1967, vous avez fondé et présidé le Comité international pour la paix négociée au Proche-Orient et vous avez été à l’origine des premières rencontres entre Israéliens et Palestiniens. Vous connaissez donc cette problématique. Comment voyez-vous la résolution faisant de la Palestine un Etat observateur non membre de l’ONU. Est-ce un changement important ? Qu’est-ce que cela peut apporter à la Palestine, à Israël et à la politique internationale ?
« Nous vivons dans les symboles. En réalité cela ne change rien - c’est terrible à dire - mais symboliquement, c’est important. Vous avez le droit d’être reconnu comme Etat. C’est comme ça. Il y a le Kosovo, cinq cent mille personnes et ils ont un Etat. Ecoutez, c’est quand même de la folie, mais c’est comme ça. Moi, si j’étais Benyamin Netanyahou, j’aurais envoyé un télégramme de félicitations à Mahmoud Abbas. J’aurais dit : ‘Bravo, je suis fier qu’il y ait un Etat palestinien à coté, maintenant venez à Jérusalem, nous allons négocier la paix. Malheureusement, Netanyahou n’a pas le même courage que moi. Mais moi, je ne suis pas premier ministre d’Israël. »
Et encore une dernière question que je pose souvent aux écrivains étrangers qui viennent en République tchèque. Quels sont vos livres que les lecteurs tchèques devraient lire encore, qui devraient être traduits en tchèque ?« Vous savez, j’ai déjà signé pour six livres. Un petit livre qui va sortir l’année prochaine, un petit essai. J’ai repris le titre d’un livre de Jerry Rubin, en 1968 un étudiant à Barclay, ‘Do It !’. Je suis en train de faire un petit livre - je ne sais pas si ça va révolutionner le monde - qui s’appellera ‘Faites-le !’ Vous êtes devant la télévision, vous vous indignez, vous n’aimez pas, alors faites quelque chose, faites-le ! Ensuite j’ai signé pour une trilogie. Comme vous savez j’ai réhabilité les femmes de la Bible avec trois livres… » …dont deux ont déjà été traduits en tchèque … « … et puis là je vais faire une trilogie sur les femmes de l’Islam, les trois femmes qui ont fait l’Islam. Cet Islam qui ne respecte pas la femme aujourd’hui. C’est important, il y a un milliard de musulmans, disons 500 millions de femmes, et il faut leur donner les récits de leur propre histoire. Dans leur histoire il y a Khadija, femme de Mahomet. Elle était la première, la seule qui l’a soutenu, sinon il n’y aurait pas de Coran. Puis Fatima, leur fille, qui est aujourd’hui plus sainte en Iran que Mahomet parce que c’est elle la guerrière, c’est elle qui a créé les schismes. Et puis Aïcha. C’est elle qui est à l’origine des sunnites, l’autre partie de l’Islam. La Sunna veut dire tradition et dans les hadiths, dans les traditions, la moitié est écrite pas elle. Donc voilà trois femmes libres. Mon éditeur m’a demandé, avant de signer, si j’avais le courage, parce que c’est dangereux. Vous savez, la vie est pleine de dangers. Vous traversez la rue et vous pouvez être écrasé par une voiture. C’est la même chose. Je pense que d’abord ce sont des histories magnifiques sur le plan romanesque, magnifiques et utiles. Et puis après j’en ai d’autres. Donc tous ces livres, j’aimerais qu’on les lise en Tchéquie. C’est un pays que j’aime beaucoup, non seulement le pays de Kafka et de Werfel, mais aussi celui de Beneš et de Masaryk qui sont des exemples pour la démocratie. »