Pour les familles des exécutés en 1952, des plaies restent encore ouvertes
En novembre 1952, Prague a été le théâtre de procès politiques considérés comme les plus grands procès monstres organisés dans les années 1950 dans l’Europe communiste. Le dernier supplément Orientace du quotidien Lidové noviny a consacré trois pages au rappel de ces procès à l’issue desquels onze peines capitales et trois peines de prison à vie ont été prononcées, et surtout aux répercussions que ces verdicts ont eues sur les familles des condamnés... Une récente édition du journal a également publié un article évoquant comment la catastrophe de la centrale nucléaire de Tchernobyl en 1986 a touché une équipe de cyclistes tchécoslovaques.
C’est ainsi que l’historien Petr Zídek décrit les derniers moments de la vie des onze hauts responsables communistes de l’époque. Il poursuit :
« L’exécution a mis fin au martyre des condamnés qui avaient subi pendant de longs mois des tortures physiques et psychiques infligées lors des interrogatoires orchestrés par des conseillers soviétiques et à l’issue desquels les prévenus ont fait des aveux fictifs. Une expérience qui n’a toutefois pas empêché certains d’entre eux de rester fidèles à leur doctrine jusqu’au bout et de proclamer encore sous la potence : ‘Vive le parti communiste ! Vive l’Union soviétique ! »
Les lettres que tous les condamnés ont adressées à leurs familles et à leurs enfants n’ont trouvé leurs destinatires qu’en 1963, en vertu des procès de réhabilitation. Petr Zídek écrit :
« Tous les condamnés, à l’exception de trois d’entre eux, avaient des enfants. Il y en avait une vingtaine au total. D’âge adulte, écoliers ou tout petits, les circonstances de la mort de leurs pères leur ont causé des traumatismes profonds qui les ont marqués à vie ».
Les persécutions des familles stigmatisées ont commencé avant même l’exécution des condamnés. Ainsi, l’épouse de Rudolf Slansky, qui avait été arrêtée en rentrant d’une soirée offerte par le Premier ministre de l’époque, Antonín Zápotocký, a été détenue le même jour que son mari pour être internée avec ses enfants et d’autres membres de sa famille, sous surveillance rigoureuse, dans un endroit et dans des conditions minables. Le sort d’autres familles a été plus dramatique encore, dans la mesure où les enfants, séparés de leurs mères, arrêtées ou internées, ont été placés dans des foyers. Cela a été le cas, par exemple, des deux fils d’Otto Šling. L’un d’entre eux se souvient :
« L’atmosphère qui nous entourait dans ces foyers était absolument hostile. Quand on a sept ans, on ne doute pas. On ne pouvait pas imaginer à l’époque que le président Klement Gotwald puisse mentir. Alors finalement, nous étions fâchés contre notre père, nous le prenions pour un traître... »Certaines épouses également, de conviction communiste profonde, ont cru à la véracité des aveux forcés de leurs maris, en suivant le déroulement des procès qui étaient retransmis quotidiennement en direct et largement diffusés par la radio. La situation a pourtant été difficile tant pour les familles convaincues que pour celles moins convaincues :
« Ces familles vivaient sans cesse sous la surveillance de la police d’Etat, qui contrôlait et fournissait des informations sur chacune de leurs démarches. Par ailleurs, beaucoup d’entre elles ont été contraintes de quitter leurs domiciles pour aller s’installer dans des espaces serrés ou encore déménager dans des endroits très reculés du pays. Ce n’est que plusieurs années plus tard qu’elles ont pu retourner à Prague. »
En conclusion, l’article donne la parole à plusieurs descendants des onze hommes exécutés suite aux procès de 1952. Tous affirment être traumatisés à jamais par cet événement et ressentir de la culpabilité. Ce sentiment concerne notamment ceux qui ont cru à l’époque que leur père avait été condamné et exécuté de plein droit et n’ont appris la vérité que bien plus tard.
Certains d’entre eux vivent aujourd’hui à l’Occident et ont décrit leur expérience traumatisante sous forme littéraire. C’est le cas du fils de Rudolf Margolius, établi depuis les années 1960 en Grande-Bretagne. Comme il le remarque dans la préface de son ouvrage ‘Prague derrière le miroir’, « sa vie a éclaté en 1952 et ne s’est jamais tout à fait recomposée ».Dans un entretien accordé au journal Lidové noviny, il s’est confié :
« Ce livre m’a aidé à mettre de l’ordre dans ma tête. D’un autre côté, je dois dire que la mort de mon père a été un coup très dur. Perdre un membre si proche de sa famille à un tel âge - je n’avais que cinq ans - est particulièrement traumatisant. J’ai mis beaucoup de temps avant de pouvoir à vivre avec cela. Déjà à l’époque où je fréquentais une crèche, je demeurais isolé des autres enfants. Pour pouvoir commencer normalement ma scolarité, j’ai dû changer de nom. »
La fille d’un autre condamné, Karel Šváb, déclare elle aussi être traumatisée et « éprouver de la peine pour son père et pour les gens de sa génération qui ont cru qu’il fallait imposer leurs idéaux par la force ». Un sentiment que partage la fille d’un autre dirigeant communiste exécuté, Otto Fischl, qui remarque toutefois « qu’il y a aujourd’hui encore à Prague des gens qui étaient eux aussi communistes et que cela n’accable pas ».
Dans son article consacré aux Procès de Prague, depuis lesquels cinquante ans se sont écoulés ces derniers jours, l’historien Petr Zídek observe que leurs protagonistes demeurent aujourd’hui un peu dans l’ombre de la mémoire des gens qui ont été persécutés par le régime communiste, puisqu’ils ont eu le courage de s’y opposer. Est-ce parce qu’il s’agissait de cadres du Parti communiste qui avaient précédemment prôné avec beaucoup de ferveur « des lendemains heureux » et qui ont fini par être pris dans un engrenage auquel ils avaient contribué à la mise en place ?
Les pages sportives de la presse ont récemment évoqué une des éditions de la fameuse course cycliste appelée Course de la Paix, celle qui s’est tenue dix jours après l’accident nucléaire de Tchernobyl, survenu le 26 avril 1986. Son départ avait été donné dans la ville de Kiev en Ukraine, à une centaine de kilomètres du lieu de la catastrophe. Seulement onze équipes de six coureurs, au lieu d’une vingtaine l’année précédente, y étaient inscrites. L’équipe tchécoslovaque a répondu présente. L’édition de samedi dernier du journal Lidové noviny rappelle certains aspects de cet événement :« Les autorités tchécoslovaques prétendaient que cet accident n’était pas grave et qu’il n’y avait aucun risque. Mais les gens qui pouvaient écouter les radios étrangères ne les croyaient pas... En dépit de certaines craintes, les cyclistes tchécoslovaques, qui ne disposaient que d’informations contradictoires, se sont rendus à Kiev, car leur éventuel forfait aurait signifié menacer la suite de leur carrière sportive. »
Le cycliste Vladimír Kozárek, qui a été le seul à refuser, sous prétexte d’ennuis de santé, a été exclu pour un an de la sélection nationale. Jozef Regec, qui a remporté la première étape à Kiev, a lui été atteint, dix-neuf ans plus tard, d’un cancer du rein. Il explique :
« Aucun médecin n’a confirmé ni exclu un rapport entre ma maladie et ma présence à Kiev. Mais moi, j’en suis certain... A l’époque, j’ai voulu tout simplement y aller, je ne réfléchissais pas beaucoup au contexte. J’ai pourtant assez vite compris que c’était le gouvernement tchécoslovaque de l’époque qui tenait à ce que nous y allions. Il va de soi que la Course de la Paix était en grande partie une affaire idéologique, et de ce fait, notre absence était impensable. »En 2010, Jozef Regec a été élu à la Chambre haute du Parlement.