Victimes eux aussi du régime communiste, la femme et le fils de Rudolf Slánský réhabilités

Rudolf Slánský

Le tribunal municipal de Prague a réhabilité cette semaine à titre posthume pour privation illégale de leur liberté individuelle la femme et le fils de Rudolf Slánský, ancien cadre du Parti communiste tchécoslovaque, condamné à la pendaison en 1952.

Rudolf Slánský | Photo: Archives nationales/Wikimedia Commons,  public domain

C’était un combat auquel Marta Slánská, la fille de l’ancien secrétaire général du Parti communiste tchécoslovaque, Rudolf Slánský, était attachée depuis longtemps. Mercredi, elle a finalement obtenu gain de cause : le tribunal municipal de Prague a reconnu que Josefa Slánská et Rudolf Slánský fils, la mère et le frère de Marta, avaient effectivement été privés de manière illégale de leur liberté individuelle durant le régime communiste.

Pour comprendre le fond de l’affaire, il faut remonter au début des années 1950. Rudolf Slánský, le père de famille, est alors l’un des hommes forts du Parti communiste tchécoslovaque (PCT), qui s’est emparé du pouvoir par un coup d’Etat en février 1948.

Rudolf Slánský et Klement Gottwald en 1948 | Photo: Svět v obrazech/Moravská zemská knihovna/Wikimedia Commons,  public domain

Quatre ans plus tard, l’homme politique tombe cependant en disgrâce. Alors que la situation économique de la Tchécoslovaquie n’est pas aussi florissante qu’espérée, Staline presse le PCT de faire le tri dans ses rangs et de trouver des boucs-émissaires qui porteront la responsabilité des ratés du régime.

Rudolf Slánský est arrêté sur ordre du président tchécoslovaque Klement Gottwald, avec treize autres personnes, dont Artur London et Rudolf Margolius. Les hommes sont emprisonnés, torturés et interrogés sans relâche pour avouer des crimes qu’ils n’ont pas commis. À l’issue d’un procès spectacle, digne de ceux de Moscou dans les années 1930, où les accusés ont été forcés de réciter au mot près des tirades apprises par cœur, les quatorze hommes reconnaissent les uns après les autres avoir participé à un complot sioniste, bourgeois et nationaliste, créé de toutes pièces, visant à renverser le régime. Onze sont condamnés à mort, dont Rudolf Slánský, et trois à la prison à perpétuité.

Séjours en prison

Le sort tragique réservé au père Slánský a une répercussion, dans le même temps, sur toute la famille qui est placée sous la surveillance continue de la StB, la police secrète tchécoslovaque. Dans une interview accordée à la Télévision tchèque, Marta Slánská se souvient de l’enfance difficile qu’elle a vécue en raison de l’ostracisation de sa famille :

Rudolf Slánský avec son épouse Josefa et fille Marta | Photo: Paměť národa

« Quand j’étais enfant, toute la nation nous haïssait. Psychologiquement, cela vous marque. Lorsque nous marchions dans la rue, les gens changeaient de trottoir. C’était un sentiment de culpabilité permanent et j’ai dû grandir avec cela. »

Au début de l’année 1952, Josefa Slánská, la femme de Rudolf père, est arrêtée et envoyée plusieurs mois à la prison de Ruzyně à Prague. Vingt-ans plus tard, en 1972, c’est au tour de Rudolf Slánský fils, d’être incarcéré sans raison, pendant quelques jours.

Mercredi, c’est justement au sujet de ces incarcérations arbitraires que le tribunal municipal de Prague a eu à se prononcer. Après délibération, les juges ont finalement reconnu que Josefa et Rudolf fils, décédés respectivement en 1995 et 2006, avaient été privés de manière illégale de leur liberté individuelle. À l’annonce de leur réhabilitation, le procureur Aleš Cimbala n’a émis aucune objection :

« Quand une injustice se produit, même si elle est perpétrée à l’encontre de personnes qui ont elles-mêmes contribué à mettre en branle toute cette machine dans leur vie antérieure, il s’agit toujours d’une décision sans fondement juridique. »

Une allusion peut-être, de la part du procureur, aux dernières paroles de Rudolf Slánský qui, avant de se diriger vers la potence, aurait déclaré : « Je n’ai que ce que je mérite », prenant sûrement conscience sur le tard de la nature profonde du régime qu’il avait aidé à bâtir.

Marta Slánská | Photo: ČT

En tout cas, pour Marta, aujourd’hui âgée de 75 ans, l’annonce de la réhabilitation de sa mère et de son frère a été un soulagement. Absente des bancs du tribunal pour des motifs de santé et en raison de la forte charge émotionnelle que représente l’affaire, elle a néanmoins fait savoir qu’elle était heureuse du verdict et qu’elle espérait que la décision ouvre la voie à d’autres cas similaires.

Son avocat, Lubomír Müller, a déclaré à la Radio tchèque qu’il avait déjà pris contact avec certains proches des condamnés des Procès de Prague, notamment Ivan Margolius, dont le père Rudolf a été exécuté avec Rudolf Slánský en 1952.