Jean-Marc Avrilla : « Il y a une vraie circulation des artistes au sein de l’Europe centrale »
Jusqu’au 26 novembre, la Galerie 35 à l’Institut français de Prague propose une exposition intitulée « C’est un début ! ». Cette exposition est le projet de fin de résidence du commissaire français Jean-Marc Avrilla, qui a passé deux mois à Prague, à la MeetFactory, dans le cadre d’une coopération entre ce centre des arts et l’Institut français. Jean-Marc Avrilla a ainsi eu l’occasion de sonder la scène artistique contemporaine tchèque – et slovaque, prémices de futurs projets d’exposition.
Ici, à l’Institut français, vous organisez une autre exposition intitulée « C’est un début ! ». Pouvez-vous décrypter ce titre et nous en dire plus sur cette exposition particulière ?
« C’est une exposition particulière parce que c’est une exposition de fin de résidence. Il m’était difficile de faire une exposition réellement construite sur la scène tchèque. Cela va me demander encore plus de travail et de prendre de la distance. Dans l’immédiat, ce n’était pas assez clair pour faire une exposition. J’ai plutôt consacré cette exposition à la manière dont j’ai conduit mes recherches pendant deux mois. ‘C’est un début !’, ça a deux sens. C’est un début, au sens du commencement. Pour moi, c’est une manière de marquer que je vais revenir, que je vais travailler avec un certain nombre d’artistes. Donc c’est véritablement un commencement avec une scène artistique que je ne connaissais pas, ou très peu. Mais cela a aussi le sens de : ce n’est pas terminé… C’est complètement ouvert. Cette exposition va présenter des directions très différentes : il y a des artistes qui sont très différents les uns des autres. J’ai pensé cette exposition selon un protocole très simple : demander aux artistes de m’envoyer une image, un texte, un objet qui puisse à la fois témoigner du résultat de nos entretiens et être un point de départ pour une réflexion pour un projet futur. »Quel regard posez-vous sur la scène artistique contemporaine tchèque ? Par rapport à ce que vous connaissez, plus à l’Ouest…
« Je fais beaucoup la comparaison entre la scène ouest-européenne et la scène est-européenne, qui sont très différentes. La première chose qui m’a marquée et qui continue de me marquer, c’est qu’il y a une vraie circulation des artistes au sein de l’Europe centrale, entre les pays. Il y a évidemment la République tchèque et la Slovaquie, mais c’est également vrai de l’Allemagne sud-est, Berlin, de la Hongrie, de l’Autriche. Cela change beaucoup par rapport aux artistes français qui, dans leur grande majorité, restent en France. C’est vrai que l’échelle des pays n’est pas la même et qu’il y a une autre donnée : la langue. Le français est parlé sur un plus grand territoire, au contraire du tchèque, du slovaque, qui nécessite d’aller vers l’autre pour sortir d’un espace trop étroit. Cela donne un aspect très international à cette scène, même si c’est limité à l’Europe centrale. J’étais à la remise du Prix Chalupecký à Brno, et j’ai trouvé qu’il y avait une scène très dynamique. C’est une scène où les acteurs, artistes et commissaires, doivent presque se débrouiller avec quelques institutions, très limitées en nombre. Et j’ai compris que depuis une dizaine d’années qu’il y a des choses qui se sont structurées, que des lieux se mettent en place, par ces acteurs mêmes, ce qui rend cette scène très dynamique, très ouverte à ce qui se passe au niveau international. »Au niveau de leur recherche artistique, de leurs interrogations, retrouve-t-on des choses similaires aux artistes aux Etats-Unis, en Angleterre, en France ?
« C’est très difficile de répondre à cette question. Il y a des différences qui m’apparaissent maintenant, vis-à-vis de la scène française notamment, qui d’un point de vue général, a développé toute une recherche formaliste. Cela n’empêche pas d’être conceptuel, mais c’est plus un travail sur la forme qui peut être moins recherché ici. Cela peut être lié, historiquement, à des artistes fondateurs, tchèques ou slovaques, que ce soit Kovanda ou Július Koller, qui ne sont d’ailleurs pas nécessairement des artistes conceptuels, qui interrogent la performance, l’action, la position de l’art au quotidien, par des gestes réduits, mais qui peuvent changer beaucoup de choses. Il y a peut-être cette dimension d’échelle différente entre un art français et un art tchèque. Les questions sont très différentes en Slovaquie puisque la question de l’identité et de sa construction semble être problématisée dans un certain nombre d’œuvres. Ensuite, sur le plan des objets, des formes elles-mêmes, finalement on a le même niveau. Ici, il y a un niveau de très grande qualité. J’ai rencontré des enseignants-historiens, des enseignants-artistes, des étudiants. Je fais la comparaison avec la France et le niveau est excellent ici. C’est très encourageant, même s’il y a une forme de difficulté dans l’isolement ou de dissociation entre la partie est et la partie ouest de l’Europe, qui me trouble beaucoup. »Vous disiez que cette exposition que vous présentez à l’Institut français n’est qu’un début. Avez-vous déjà des pistes pour ces projets futurs d’exposition ?
« Cela veut dire plusieurs expositions en France certainement. C’est quelques expositions monographiques ou solo de quelques artistes. J’en ai vraiment envie. Ensuite, il y aurait un projet plus ambitieux de groupe autour d’une génération d’artistes comme Zdeněk Baladrán, Adam Vackař… peut-être même jusqu’à des artistes encore plus jeunes, que j’ai découverts ici, qui sont pleins de promesses. Il y a une vraie richesse et un travail qui est une vraie réflexion sur la société. Tout cela m’intéresse beaucoup. Ces expositions de groupe vont demander évidemment un certain temps de recherche. A l’inverse, j’aimerais revenir ici et proposer des expositions d’art français, car l’échange n’est intéressant que s’il a lieu dans les deux sens. »