Laurent Hatat : l’intime, pour évoquer l’histoire
Le Théâtre de la Commune à Aubervilliers présente jusqu’au 26 octobre l’adaptation du roman de Laurent Binet HHhH qui revient sur l’attentat commis en 1942 contre le Reichsprotektor Reinhard Heydrich, par deux parachutistes tchécoslovaques. C’est le metteur en scène Laurent Hatat qui est à l’origine de cette adaptation créée pour le Festival d'Avignon 2012. Il nous explique comment lui est venue cette idée.
Rappelons que HHhH a été récompensé par le Prix Goncourt du premier roman 2010. Mais vous rappelez très justement qu’il est à la fois un roman et en même temps n’en est pas un. Comment adapte-t-on un roman qui est en réalité la réflexion d’un auteur sur un événement historique qui a lui-même une valeur dramatique en soi ?
« Le principe pour moi, qui est très lié à ce que j’aime au théâtre, c’est de passer par l’intime. Une chose qui m’a tout de suite marqué dans le récit que fait Laurent Binet de l’écriture du livre, à l’intérieur de son livre, c’est la manière dont cela a un écho dans sa vie privée, à quel point cette chose-là l’envahit et l’empêche de mener une vie normale. Cela le pousse même à une rupture avec sa compagne parce qu’il est trop sollicité par ses recherches et sa passion qui l’obsède. C’est cette voie-là que j’ai choisie. Au fond, j’ai mis en scène la destruction d’un couple, à travers la création littéraire, le prix à payer pour raconter à quel point cette histoire le passionne, à quel point ces deux jeunes héros tchèque et slovaque le fascinent. Il est met ainsi en péril une forme de couple qui semblait être idyllique. Cela me permet aussi d’inventer un personnage de Natacha, qui existe dans le roman mais qui est très ténu, en la nourrissant de réflexions que l’auteur peut avoir. Je les mets en échange : les questions que le narrateur se pose à lui-même sont d’un seul coup mises dans la bouche de Natacha, ce qui donne une dimension plus active au plateau. Tout cela connaît une rupture à un moment donné et on invente un nouveau théâtre. J’aime justement ne pas rester sur le même mode de théâtralité jusqu’au bout d’un spectacle : on bouge et on fait bouger la place du spectateur qui devient visible pour les protagonistes, pour le narrateur qui s’adresse directement à eux. Il se tourne vers eux et leur raconte la suite. On termine justement par le récit de l’attentat qui intervient à la fin du roman. »Le cœur du roman reste cet attentat contre Reinhard Heydrich par deux parachutistes tchécoslovaques. Que pensez-vous de la position de l’auteur sur cet attentat qu’il qualifie lui-même de « plus grand acte de résistance de la Seconde guerre mondiale » ?
« Ce qui me touche par rapport à la position de l’auteur sur cet événement, c’est le regard qu’il essaye de porter sur la question de l’héroïsme. On se rend bien compte qu’il cherche les héros et au fond, à les chercher si fort, il se rend compte que ce sont des jeunes hommes tout-à-fait normaux. Et que c’est parce que ce sont des jeunes hommes normaux épris de liberté, bouillant de vie et avec un sentiment d’honneur, qu’ils deviennent ainsi des héros. Cela le trouble beaucoup. Je partage un peu cette idée de la nécessité de l’action à un moment donné : dans quelle situation se retrouve-t-on à avoir à agir et comment les choses se passent-elles ? Au fond, l’enquête qu’il mène nous montre que ça se fait presque naturellement. Puis, il y a une réflexion qui est amorcée et qui est intéressante à prolonger : le poids des conséquences d’un tel acte, avec tous les massacres qui ont suivi. Ensuite, c’est une façon de nous rendre vivante l’histoire à nouveau, qui est probablement une voie médiane entre un essai historique très sec et La liste de Schindler où c’est sirupeux. Cette troisième voie pour raconter les faits historiques m’intéresse beaucoup parce qu’elle part aussi de l’intime, qui est pour moi le matériel de départ au théâtre. J’y retrouve donc quelque chose de commun. »
La pièce partira en tournée en France en 2013.