La vie de Jarmila Najbrtová-Lorencová : une leçon de liberté et de courage
La vie de Jarmila Najbrtová-Lorencová (1922 – 2012) est close. Mercredi, sa famille, ses amis et des représentants de l’ambassade de France, réunis à l’église protestante Saint-Clément, ont rendu un dernier hommage à cette ancienne employée de la Bibliothèque française et de la Bibliothèque nationale de Prague. En 2009, le gouvernement français avait décerné à Jarmila Najbrtová-Lorencová la médaille de Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres en signe de reconnaissance pour le courage qu’elle avait montré dans les années sombres de l’occupation soviétique de la Tchécoslovaquie. Václav Richter a demandé à Roselyne Chenu, ancienne secrétaire générale de la Fondation pour une entraide intellectuelle européenne, d’évoquer ses souvenirs de Jarmila, une femme qui avait laissé une profonde empreinte dans sa vie :
Vous souvenez-vous encore comment, dans quelles circonstances, vous avez fait la connaissance de Jarmila Najbrtová-Lorencová ?
« Oh oui. C’était au mois d’avril 1967, parce qu’elle avait une vieille amie à Prague qui était liée d’amitié avec la mère d’Ivana Tigrid, et c’est ainsi que Pavel Tigrid a su que Jarmila rêvait de pouvoir enfin venir en France et il nous a demandé une bourse pour elle. J’ai retrouvé dans mes notes que c’est le 6 avril 1967 qu’elle est venue me voir dans mon bureau et que nous lui avons donné une bourse qui lui a permis de passer quelque temps à Paris. Et c’est de là que date notre amitié. »
Etait-ce une sympathie immédiate et mutuelle ou bien vos rapports ont-ils évolué avec les années ?
« Bien sûr, cela a été une sympathie immédiate, mais comme deux ans plus tard, en 1969, j’étais à Prague et que Jarmila a eu le courage de me voir, de prendre le risque de voir des étrangers, de me faire rencontrer des amis à elles, de m’amener chez elle où j’ai rencontré sa mère, notre amitié s’est approfondie avec les années et elle est devenue comme une sœur pour moi. »
Vous avez donc été amie de Jarmila Najbrtová pendant de longues années. Gardez-vous de cette longue amitié un souvenir qui vous est particulièrement cher ?
« Oui, je dirais son mélange de dignité, de modestie, son sens de l’honneur et de l’humour, son sourire et son courage. J’avais beaucoup de tendresse pour elle, nous avons beaucoup ri et nous avons parfois pleuré ensemble. »
Vous êtes une des personnes qui ont attiré l’attention des autorités françaises sur les activités de Jarmila Najbrtová sous le régime communiste et grâce auxquelles Jarmila a obtenu du gouvernement français la médaille de Commandeur de l’Ordre des arts et des Lettres. Que pouvez-vous dire des activités de Jarmila Najbrtová qui lui ont valu cette décoration ?
« Alors, je dois vous dire que j’estime, et c’est un point de vue personnel, qu’à un certain moment, elle a même sauvé l’honneur de la France lorsque certains directeurs français de la Bibliothèque française de Prague retiraient des rayons, probablement par crainte d’avoir des ennuis ou de voir la bibliothèque fermée par les autorités tchécoslovaques de cette période-là, des livres et même des journaux qui pouvaient être consultés à la Bibliothèque nationale. Et Jarmila s’était procurée, je ne sais comment, les clés des placards où ces livres et ces journaux étaient cachés pour les faire circuler discrètement parmi les lecteurs en lesquels elle avait confiance. Elle a eu plus de courage que les directeurs. »
Quelle a été la réaction de Jarmila à cette décoration française ? Comment l’a-t-elle reçue ?`Que signifiait-elle pour elle ?
« Je pense que c’était un immense bonheur, parce que je crois que la France était sa seconde patrie. Elle avait été nourrie intellectuellement et spirituellement par un grand nombre d’auteurs français. Un des plus importants a été Camus qui l’a accompagnée jusqu’à la fin sa vie. Et je pense que le fait d’être reconnue, j’allais dire des nôtres, par cette décoration, c’était probablement, j’imagine, le dernier grand bonheur qu’elle a eu, et ce d’autant plus qu’elle a retrouvé M. Lucien Chamard-Bois. A l’époque, en 1967, donc au moment de la réouverture de la Bibliothèque française de Prague, rue Štěpánská, M. Chamard-Bois était attaché culturel. J’ai retrouvé une lettre adressée par Jarmila à Chamard-Bois en 2008 et dans laquelle elle lui écrivait : ‘Vous avez été le premier Français qui m’a souri et m’a accueilli cordialement à Štěpánská.’ Et le fait que, tant d’années plus tard, ce soit lui qui lui remette cette décoration, ça a été comme un cercle qui se refermait et un bonheur pour elle. »
Qu’est-ce que l’amitié de Jarmila vous a apporté à vous et à votre vie ?
« Elle m’a d’abord émerveillée, son sourire m’a souvent fait du bien. C’est une femme à laquelle probablement les douleurs et les épreuves qu’elle avait subies, son sens de l’humour et sa formation protestante - parce que si ma mémoire est bonne, son père était protestant et sa mère catholique - donnaient une sorte de liberté intérieure. Elle ne jugeait pas les êtres, elle les écoutait, les respectait et elle m’a très souvent encouragée dans mon propre travail. Elle a été une leçon pour moi. »