Les Tchèques mangent « de la viande sans viande »
La qualité des denrées alimentaires en République tchèque est souvent sujette à caution. Les aliments en provenance de la Pologne par exemple, sont régulièrement impliqués dans des affaires d’intoxication alimentaire et suscitent la méfiance des consommateurs. Ceux-ci, la plupart du temps pour faire face à des contraintes budgétaires, privilégient la quantité à la qualité. Des initiatives se développent pour lutter contre cette « malbouffe », avec notamment le développement d’un site internet qui recense les produits de mauvaises qualités et qui en informe le consommateur.
« Quand nous avons testé des filets de poisson emballés afin de savoir quel était le pourcentage de chair de poisson dans ces filets, nous avons été surpris de constater que les gens achètent des poissons qui ne contiennent que 10,14% de chair de poisson. »
Ce sont, comme bien souvent, les plus modestes qui en paient le prix et les hausses successives du taux de la TVA - le taux appliqué aux denrées alimentaires passera à 15% en janvier prochain - n’arrangent rien. Les produits de qualité restent trop chers et les consommateurs sont moins regardants sur la qualité quand ils ont les yeux rivés sur le portefeuille comme le regrette Zdeněk Juračka de l’Union tchèque du commerce et du tourisme :
« Pour moi, en tant que représentant des petites commerces, cette constatation me chagrine. D’un autre côté, il y a certainement des raisons qui peuvent l’expliquer : il y a une demande croissante pour des aliments moins chers et évidemment des aliments moins chers sont synonymes de moindre qualité. »C’est la qualité dans son ensemble des aliments proposés sur les étalages des magasins tchèques qui révoltent Roman Vaněk de l’Institut pragois de cuisine, puisqu’elle nuirait également au développement et à la promotion de la gastronomie tchèque :
« Il existe des nations cultivées où on ne permettrait pas de mettre en rayon des aliments tels qu’on les voit couramment dans nos supermarchés à disposition des clients alors qu’ailleurs ils seraient mis hors de vue. Surtout, personne n’oserait acheter ces produits. C’est là que commencent les mésaventures de la gastronomie tchèque »Les produits alimentaires tchèques sont en moyenne 10% plus cher et sont de moins bonne qualité que les mêmes denrées en Allemagne, même constat en Croatie, pays de villégiature très apprécié des Tchèques. Il faut dire que la législation tchèque a longtemps été peu tatillonne, laissant les mains libres aux distributeurs et aux chaînes de production. Miroslav Toman, le président de la Chambre économique, considère cependant qu’ « ils ne sont jamais moqués des clients et n’ont jamais délaissé la qualité de leurs produits ». Ce n’est pas ce que pense Zdeněk Juračka qui considère que le marché tchèque passe au second plan pour beaucoup d’industriels de l’agro-alimentaire :
« Je sais que les chaînes de magasin ont régulièrement des conflits avec leurs fournisseurs, qui, à partir de recettes similaires réalisent des produits de moins bonnes qualités pour les Tchèques que pour les Allemands. »Cependant, selon la Commission européenne, deux produits de marque similaire ne doivent pas nécessairement avoir la même composition partout dans le monde. Le ministre de l’Agriculture Petr Bendl estime qu’il faudrait avant tout se méfier des produits importés. Une polémique sur la mauvaise qualité supposée des produits en provenance de la Pologne a ainsi éclaté en juin dernier alors que le championnat d’Europe de football s’y déroulait. En ce début du mois d’août, la République tchèque a même porté plainte contre X après la découverte de milliers de tonnes de produits alimentaires polonais contenant du sel industriel. Inquiétant quand on sait que la Pologne a vu ses exportations de denrées alimentaires vers le voisin tchèque multipliées par quatre en dix ans et est désormais le deuxième fournisseur du pays après l’Allemagne.
Cependant, la relative surmédiatisation des procès ou des cas d’intoxication alimentaire impliquant des aliments d’origine polonaise est sans doute également un moyen de ne pas se confronter aux difficultés rencontrées par l’agriculture et l’industrie agro-alimentaire tchèques ; à commencer par la concurrence intra-européenne et extra-européenne qui, en exerçant une pression sur les prix, peut parfois conduire certaines entreprises à négliger la qualité de leurs produits. Petr Bendl souhaite encourager les chaînes de distribution à diffuser des produits tchèques régionaux, afin que l’offre en produits de qualité se développe. Zdeněk Juračka, qui représente donc les intérêts des commerces tchèques, pense cependant que l’agriculture tchèque n’est pas forcément adaptée à intégrer des chaînes de production et de distribution à l’échelle régionale. De plus, il considère que c’est la demande qui conditionne cette offre parfois médiocre :« Il apparaît qu’il est difficile d’évaluer si ce phénomène est de plus en plus fréquent ou non. La plupart des magasins tchèques, et cela concerne aussi les grandes surfaces, diffusent des produits alimentaires tchèques. Mais la question se pose de savoir si cette offre est lucrative. Et nous savons tous, nous les professionnels du secteur comme les habitants de ce pays, qu’il existe malheureusement une forte demande pour des produits bon marché, et parfois nous faisons l’erreur d’importer ces aliments. »Une des solutions pour lutter contre la « malbouffe » serait donc d’augmenter les salaires. Ce n’est pas la direction prise par le gouvernement de Petr Nečas. Pour faire face à la mauvaise qualité des aliments disponibles en rayon. L’Etat, en partenariat parfois avec certaines associations de consommateurs, veut s’appuyer sur deux aspects : la prévention et la répression. Sur ce dernier point, l’heure est à l’intensification des contrôles. Ceux-ci sont de plus en plus souvent réalisés sous l’impulsion de consommateurs mécontents. Ainsi, en ce qui concerne ces contrôles, alors qu’il y en a eu 2 793 pour toute l’année 2011, on en recensait déjà 2813 pour les six premiers mois de l’année 2012.
Cette tendance s’accompagne d’un renforcement des peines encourues par les commerçants contrevenants, puisque l’amende maximale prévue dans le cas d’une infraction est passé de trois millions à dix millions de couronnes. Certains n’ont pas tardé à critiquer cette hausse qu’ils considèrent disproportionnée, surtout dans le cas d’un petit détaillant pour lequel une telle amende conduirait inévitablement à mettre la clef sous la porte. Ce n’est pas l’avis de Martin Klanica, le directeur en chef de la section de contrôle et de droit de l’Inspection d’Etat agricole et alimentaire, selon lequel les amendes n’étaient auparavant pas dissuasives.L’autre volet développé, c’est la prévention. Il s’agit d’informer les consommateurs afin qu’ils sachent à quoi s’en tenir avec certains aliments. Le ministère de l’agriculture, en partenariat avec l’Inspection d’Etat agricole et alimentaire a ainsi développé un site internet original, en ligne depuis début juillet. A l’adresse Internet, sont cataloguées toutes les denrées alimentaires ayant fait l’objet d’une inspection et potentiellement dangereux. Le porte-parole du ministère de l’Agriculture, Jan Žáček détaille les trois catégories de produits concernés :
« Les premiers sont des aliments dangereux. Ce sont des aliments qui peuvent être vraiment nocifs pour la santé. Une autre catégorie concerne les produits falsifiés, quand le vendeur ou le producteur induisent intentionnellement en erreur le consommateur. C'est-à-dire qu’on nous ment et qu’on veut littéralement nous tromper. Enfin la troisième catégorie renferme les produits de mauvaise qualité, pour lesquelles la composition inscrite sur l’emballage ne correspond pas à leur composition réelle. » Plus d’un million de produits seraient concernés par l’une ou par plusieurs de ces trois catégories. Toutes les enseignes de distribution sont assez bien représentées, mais c’est la chaîne de distribution britannique Tesco, très implantée en République tchèque qui remporte la palme avec pas moins de 44 produits contrôlés dangereux, mensongers ou de mauvaise qualité. Difficile cependant de savoir si ces efforts pour assainir l’offre alimentaire porteront leurs fruits car le premier rempart à l’achat d’aliments de bonne facture est la contrainte économique.