La décision inattendue prise mercredi par le Premier ministre de démettre de ses fonctions le ministre de la Justice, Jiří Pospíšil, faisait la une de tous les quotidiens tchèques ce jeudi. Officiellement, Petr Nečas a justifié sa décision en argumentant qu’il n’avait plus confiance en les capacités de Jiří Pospíšil à gérer le portefeuille ministériel. Mais à en croire les médias, les raisons de ce limogeage, qui a fait naître une importante vague de mécontentement, sont tout autres.
Jiří Pospíšil et Petr Nečas, photo: CTK
Mais pourquoi donc Petr Nečas a-t-il limogé Jiří Pospíšil, un des rares membres de la coalition gouvernementale actuelle fort d’une image positive auprès de l’opinion publique, notamment dans la lutte contre la corruption ? C’est en somme la question que se pose la majorité des commentateurs de la scène politique tchèque. Tous ou presque s’accordent à dire que la décision du Premier ministre est en lien direct avec le projet du désormais ex-ministre de la Justice de nommer la procureure Lenka Bradáčová, personnage central dans l’arrestation récente du très influent député social-démocrate David Rath, au poste de présidente du ministère public supérieur de Prague. Or, la nomination de Lenka Bradáčová épouvanterait tous les partis politiques, et notamment le Parti civique démocrate (ODS), principale formation de la coalition. Si elle devenait présidente du ministère public supérieur de Prague, Lenka Bradáčová pourrait vouloir enquêter sur plusieurs affaires, comme celles des commandes militaires surévaluées, affaires dans lesquelles seraient impliquées les plus hautes sphères du gouvernement.
Lenka Bradáčová.
Personne, pas même au sein des partenaires de la coalition, sauf peut-être le Premier ministre lui-même, ne croit donc à l’argumentation officielle de ce dernier selon laquelle il aurait limogé Jiří Pospíšil pour son incapacité à respecter la discipline budgétaire imposée à tous ses collègues par le ministre des Finances. Jiří Pospíšil a d’ailleurs été le premier à faire remarquer que son limogeage pourrait être à mettre en rapport avec l’éventuelle nomination de Lenka Bradáčová. Bien que très critiqué, Petr Nečas a pourtant répété ce jeudi sa version initiale des faits :
Petr Nečas, photo: CTK
« Je comprends qu’une révocation des fonctions de ministre est quelque chose de difficile à vivre et que le ministre en question cherche à présenter son départ le plus honorablement possible. Néanmoins, les raisons de sa révocation sont celles que j’ai déjà évoquées. Concernant le projet de nomination de Lenka Bradáčová, je n’étais pas au courant. Je peux le prouver à travers mes communications téléphoniques avec le président du ministère public suprême. »
Même si beaucoup considèrent les explications du Premier ministre insuffisantes, le quotidien Mladá fronta Dnes notait, lui, dans son édition de ce jeudi, que la révocation de Jiří Pospíšil pourrait avoir encore d’autres origines que le différend sur la nomination du futur président du ministère public supérieur. Selon le journal, cette mise à l’écart serait la conséquence des mauvaises relations qu’entretiennent depuis longtemps Petr Nečas et Jiří Pospíšil, auquel le chef du gouvernement reprochait la direction insuffisamment ferme du ressort de la justice. Néanmoins, le commentateur de Mladá fronta reconnaît que l’on y verra plus clair si le Premier ministre refuse de nommer Lenka Bradáčová aux fonctions de présidente du ministère public supérieur, afin de protéger certains de ses collègues de poursuites judiciaires.
En attendant, nombreux sont ceux qui voient dans la révocation du ministre de la Justice un signal fort devant servir à faire comprendre aux derniers procureurs et policiers intrépides qu’ils feraient mieux de ne pas s’intéresser de trop près aux casseroles que traînent certains responsables haut placés de la coalition gouvernementale.