De Puteaux à Opočno
« Le retour de František Kupka chez lui » est le titre d’un projet initié en 2011, année du 140e anniversaire de la naissance du célèbre peintre considéré comme le pionnier de l’art abstrait, et devant aboutir à l’automne 2012, où 100 ans se seront écoulés depuis la première exposition de ses tableaux au Salon d’Automne à Paris. Soumis par la ville natale du peintre, Opočno, en Bohême de l’Est, le projet demande le transfert de la dépouille de František Kupka de Puteaux près de Paris où il a vécu, créé et où il est mort.
La ville d’Opočno est l’un des initiateurs du projet de transfert de la dépouille de František Kupka vers la République tchèque. Šárka Škrabalová, adjoint au maire d’Opočno :
« Soutenu par la région de Hradec Králové, le projet est mis en œuvre par la ville d’Opočno qui a installé une exposition dans les locaux de la chapelle mariale d’Opočno. Il s’agit d’un projet pilote, d’un premier pas vers le retour symbolique de František Kupka en République tchèque. Lancé le 22 septembre 2011, le projet sera étalé sur toute l’année 2012. Avec le soutien des autorités régionales et du ministère de la Culture, la ville d’Opočno voudrait parvenir à ce que l’urne contenant les cendres de Kupka soit déposée en République tchèque. »
Dans la chapelle mariale d’Opočno sont exposées les copies des tableaux abstraits les plus connus de František Kupka, tels que Les touches du piano - Le Lac, Amorpha – Fugue à deux couleurs, Plans verticaux, Bleus mouvants. Ils traduisent la conception de l’art que Kupka défend dans ses écrits : un exercice spirituel qui lui permet de se rapprocher de la nature en s’inspirant des principes qui la gouvernent, ainsi que l’observe Šárka Škrabalová :
« Dans chacun des tableaux, on aperçoit une femme… Kupka aimait les femmes, on s’en aperçoit dès le premier regard. C’est évident également sur ses toiles aux motifs classiques comme celle qui est très connue et qui présente des cavalières… Cette exposition est un aperçu de sa création abstraite, il n’y a pas de travaux de ses débuts, uniquement ceux créés vers la fin de sa vie qui était, sans exagération, un peu folle. »
Dès son adolescence, Kupka est initié au spiritisme et fait preuve de dons de médium qu’il a exploités notamment pour financer ses études. Grand visionnaire, Kupka était partisan du mysticisme, de la théosophie, des philosophies orientales, de l’astrologie et de l’occultisme, des courants fort répandus au tournant du siècle.
Les tableaux exposés à Opočno sont tous des copies de tableaux provenant des collections de la Galerie nationale de Prague :
« Ce n’est que la première partie de l’exposition, au printemps prochain, elle sera complétée par sept autres copies de tableaux du musée Kampa qui appartiennent à la collectionneuse Meda Mládková. L’exposition est financée avec le concours de l’Eurorégion Glacensis, et la ville de Radkov, en Pologne. D’ici la fin 2012, nous exposerons une quinzaine de tableaux de Kupka. Nous sommes en contact aussi avec Puteaux, en France, avec Mme le maire de Puteaux, avec laquelle nous négocions le prêt d’autres copies de tableaux que Kupka a créés à Puteaux, où il a vécu et où il est mort. »
Après avoir mené une vie de bohème à Montmartre, Kupka s’installe en 1905 à Puteaux, rue Lemaître. Depuis 1992, les tours Kupka se dressent dans le quartier La Défense, sorte d’hommage rendu par la France à l’artiste qui a vécu et créé dans cet endroit pendant plus d’un siècle.
La collectionneuse Meda Mládková a essayé de briser le silence qui a régné dans les années 1950 en Tchécoslovaquie sur František Kupka, qualifié de peintre incompréhensible pour le peuple. Peu à peu, sa création est tombée dans l’oubli, ainsi que le lieu de son dernier repos, le cimetière du Père Lachaise.
En 2007, année du 50e anniversaire de la disparition du peintre, une étudiante de l’Université Masaryk de Brno, Barbora Jaklová, avec l’aide de la conseillère municipale de Puteaux, Mme Nadine Jeanne, parvient à redécouvrir au columbarium du Père Lachaise l’urne marquée du nom de « František Kupka, officier de la Légion d’honneur ». Un an après, Puteaux et Opočno signent un accord de partenariat.
Le projet de transfert de la dépouille de František Kupka en République tchèque, coïncidant avec les 100 ans depuis la première exposition de ses tableaux au Salon d’Automne, jouit du soutien du maire de Puteaux, Mme Joëlle Ceccaldie-Raynaud. Le gouverneur de la région de Hradec Králové, Lubomír Franc, souhaite vivement que les cendres de Kupka soient inhumées au cimetière de Slavín à Prague où reposent de nombreux artistes tchèques. Du côté tchèque, le projet est soutenu par les ministères des Affaires étrangères et de la Culture, par l’archevêque de Prague Dominik Duka, pour ne citer que quelques noms.
Mais František Kupka, l’aurait-il souhaité ? Šárka Škrabalová:
« Les opinions divergent, certains répondent par la négative, en revanche, il y en a beaucoup qui affirment que le souhait de Kupka était de retourner en Bohême, pour que ses cendres soient déposées ici. »
L’œuvre de František Kupka, qui a voulu n’être assimilé à aucun courant, ne sera amplement reconnue que vers la fin du XXe siècle. Pour Tomáš Vlček, directeur des collections d’art moderne de la Galerie nationale, la création de Kupka est hors normes et catégories esthétiques, atemporelle, remplie d’une énergie visionnaire puissante.
Aujourd’hui, les tableaux de František Kupka sont exposés au musée Guggenheim à New York, au Musée national d’Art moderne à Paris, à la Galerie nationale de Prague, au musée Kampa, ils font partie des collections privées de la famille Waldes, mécène de Kupka dans les années 1919-1938, et dorénavant aussi à Opočno. Des Kupka battent tous les records aux enchères en République tchèque : en 2007, le tableau Elévation IV s’est vendu à 22 millions de couronnes.
Une première rétrospective du peintre a eu lieu de son vivant, en 1946, à la galerie Mánes. Arrivé à Prague, František Kupka a alors prononcé une conférence dont une partie, conservée dans les archives sonores de la Radio tchèque, essaie de formuler sa vision de l’art :
« L’art est basé sur le partage des idées et des émotions. Il est basé sur la lecture des notes représentant des objets, des animaux, des personnes. S’il en est ainsi, c’est parce que cette façon de s’exprimer était antérieure à l’écriture qui est une définition des sons et de la parole. »Depuis 2005, Opočno rend hommage à l’enfant du pays par un festival culturel portant son nom. Dans la rue Zámecká pas loin du château d’Opočno, on peut visiter la maison natale de František Kupka.