Antoine Marès : « L’héritage de Václav Havel est plus symbolique que politique »
Antoine Marès est historien, spécialiste de l’Europe centrale, et notamment des relations franco-tchèques. Il est revenu au micro de Radio Prague sur le parcours de Václav Havel et notamment sur ses liens avec la France. Mais il nous a d’abord précisé ce que le président-dramaturge disparu représentait pour lui.
« Pour moi Václav Havel représente la dissidence, la résistance tchèque car j’en ai entendu parler très tôt, notamment par Pavel Tigrid à Paris. Mais en fait, je l’ai rencontré seulement après 1989, je l’ai croisé dans les salons de l’ambassade de France une première fois et puis la dernière fois que je l’ai vu c’était à la présentation d’un ouvrage, ‘Le Fantôme de Munich’, qui venait d’être traduit en tchèque. J’étais assis juste à côté de lui à l’Institut français de Prague, il était en compagnie de Miloš Forman et le projet qu’ils avaient était d’adapter ce roman en un film. Le projet ne s’est pas réalisé pour des raisons que j’ignore. »
Vous êtes spécialiste des liens entre les pays tchèques et la France. Pourriez-vous nous rappeler quels étaient les rapports de Václav Havel avec la France ?
« Je dirai que les rapports étaient un peu inégaux. J’ai l’impression que l’attraction de Václav Havel pour la France était moindre que celle des Français pour Václav Havel. J’en veux pour preuve que la nouvelle de son décès, il y a deux jours, a fait la première de tous les journaux français. Cela me paraît assez significatif, et je pense que Václav Havel, et ce n’est pas porter un jugement de valeur sur sa trajectoire ou sa réflexion, était beaucoup plus attiré par le monde anglo-américain que par la France. En revanche, en France il a été très connu et apprécié très tôt, traduit et beaucoup joué. Je crois que les milieux du théâtre ont fait énormément pour le soutenir. »Il me semble que dans les années 80, voire dans les années 70, il a été joué à Avignon ?
« Tout à fait, à Avignon, mais aussi à Chaillot. Je me souviens de lectures auxquelles participait Michel Lonstal et d’autres. Ses pièces étaient mises en scène. Il y avait un lien très fort et je pense que l’émotion, en particulier dans les milieux intellectuels, était très forte à l’annonce de son décès. »
Il faut peut-être rappeler brièvement que le président François Mitterrand avait accueilli Václav Havel et d’autres dissidents lors d’un petit déjeuner à l’Ambassade de France à Prague. Pourriez-vous rappeler dans quelles circonstances cela s’est déroulé ?
« François Mitterrand avait pris le parti de développer sa politique à l’égard des démocraties populaires et il était allé dans plusieurs de ces pays : RDA, Tchécoslovaquie…Ce qui a l’époque lui a été très reproché. En décembre 1988 lorsqu’il est arrivé à Prague, il a exigé de pouvoir rencontrer les dissidents. La diplomatie française a fait une forte pression sur ses interlocuteurs tchèques, en mettant cette présence des dissidents à l’ambassade comme condition au voyage. Je pense que quand François Mitterrand et son entourage ont eu ce déjeuner, il n’imaginait pas que, moins d’un an plus tard, il trouverait le président Havel à la tête de l’Etat tchécoslovaque. »
Justement Václav Havel, le dramaturge dissident, est devenu président presque malgré lui. C’est ce que peut parfois lui-même disait. Pourquoi Havel s’est imposé en 1989 en tant que leader ?
« De mon point de vue il était quand même le dissident le plus en vue, et relativement jeune parmi ceux qui avaient initié la Charte 77. Jan Patočka était déjà décédé, l’autre grande figure, Václav Černý, avait disparu, il était assez naturel qu’il s’impose. Aussi la volonté de rupture, avec ceux qui avaient plus été associés aux pouvoirs, c’était toute la raison de la rivalité entre Alexandre Dubček et lui-même. La troisième raison, semble t-il, c’est qu’il est apparu aux yeux des Tchèques comme un continuateur de l’esprit masarykien. Tout cela combiné me semble expliquer très largement l’arrivée de Václav Havel à la tête de l’Etat alors que rien ne le prédestinait à rentrer dans la politique. »
Comment expliquez-vous cette espèce de désamour qui a finalement un peu envahi les Tchèques pendant sa présidence alors que lui-même finalement ne se faisait aucune illusion sur l’exercice du pouvoir et savait que c’était un exercice périlleux qui n’apportait pas que des lauriers ?
« Je dirais peut-être quelque chose d’assez général : l’usure du pouvoir. Et aussi un certain nombre de gestes qu’il a fait et qui n’ont pas été compris et ont choqué l’opinion. Je pense que son attitude à l’égard de l’Allemagne a été mal ressentie par une partie, du moins, de l’opinion. Sa vie personnelle aussi, l’attachement des Tchèques à sa première épouse était très fort, le fait qu’il se soit si vite remarié en a choqué certains. C’est une multitude d’éléments, je crois, qui explique qu’il y a eu une certaine prise de distance. Il ne faut pas oublier non plus que l’homme avait beaucoup souffert dans les prisons communistes et était affaibli. Peut-être n’a t-il pas pu donner toute sa mesure comme homme politique, en particulier lors de son second mandat. »
Quel est selon vous aujourd’hui, au moment où Václav Havel vient de disparaître, son héritage ?
« Je crois que c’est plus un héritage symbolique qu’un héritage pratique, politique. Ce qui restera vraisemblablement de lui c’est son concept du ‘pouvoir des sans pouvoir’, c’est-à-dire la possibilité pour une opinion publique, une nation, de résister et finalement de l’emporter. Cela me paraît être le point essentiel. Le second élément est la leçon de courage qu’il a donné à ses compatriotes tout au long de sa vie. »