Prague a fait ses adieux à Václav Havel
Prague était en deuil, ce mercredi, pour dire adieu à Václav Havel. Sa dépouille a été transférée, dans la matinée, de l’Eglise Sainte-Anne dans la Vieille Ville au Château de Prague, où était préparée une cérémonie officielle. C’est au son des cloches des églises de la Vieille Ville que le cortège suivant la dépouille de l’ancien président s’est mis en marche. Dans le cortège se trouvaient, outre les membres de la famille du défunt, son épouse Dagmar et son frère Ivan, de nombreuses personnalités liées d’amitié avec le président. Mais il y avait surtout cette énorme foule de simples gens qui marchaient silencieux et graves. On pouvait lire sur leurs visages que la participation à cette cérémonie était pour eux une affaire de cœur.
« Je suis venue parce que j’ai énormément de respect pour l’ancien président Havel et c’est la dernière chose que je puisse encore faire pour lui. Merci… »
Pour beaucoup de ces gens qui suivaient le cercueil, Václav Havel était une partie de leur vie, homme qui leur avait permis d’espérer, artisan de la liberté. Parmi les personnalités marchant dans le cortège figurait aussi l’ancienne présidente de l’Académie des Sciences tchèques, Helena Illnerová :
« Je suis venue parce que j’aimais et respectais beaucoup Václav Havel. Je crois que c’était le meilleur homme que j’aie jamais connu. Et je suis très heureuse que nous l’ayons eu. Je sentais donc que c’était donc comme un devoir de venir. J’ai besoin d’exprimer ma tristesse avec les autres gens. »
Ils étaient à peu près 10 000 à former ce cortège, et parmi eux, chose étonnante, aussi énormément de jeunes. Ces jeunes n’étaient pourtant pas encore nés quand Václav Havel était puni dans les prisons communistes pour son courage de dire non à l’arbitraire. Ils n’ont pu connaître Václav Havel que dans le rôle de président, et pourtant, leur rapport vis-à-vis de lui est resté humain et quasi intime :
« Je suis venu dire adieu à Václav Havel que je respecte. Mon rapport vis-à-vis de lui était quelque chose de plus qu’un simple rapport vis-à-vis d’un homme politique et d’un homme d’Etat. C’est donc pour moi un adieu personnel. »
Un autre participant au cortège est venu parce qu’il se rend compte de la grandeur de l’ancien président :
« Je veux vivre cette atmosphère, je ne veux pas qu’il disparaisse tout simplement de ma vie, je vais garder le souvenir de son départ. (…) Je me souviens encore de ce qu’il faisait dans les années 1970. Evidemment, je ne le connaissais pas personnellement, mais je garde le souvenir d’un homme qui avait le courage de dire ce qu’il pensait et qui est allé en prison à cause de cela. Moi, enfant, je savais que c’était interdit mais il y avait une poignée de gens qui ont osé bravé l’interdit et en ont payé le prix. Havel est donc pour moi un symbole de la liberté et du courage, surtout à l’époque du communisme. »
L’ancien directeur de l’Institut français de Prague, Didier Montagné, n’a pas manqué non plus l’occasion de rendre un dernier hommage au président défunt. Il met en avant le fait que la disparition de Vaclav Havel a, encore aujourd’hui, la force de mobiliser les foules comme une promesse et un signe que les valeurs auxquelles ce grand Tchèque a consacré sa vie ne sont pas mortes.« Je pense que c’est d’abord lié à la grandeur morale de Václav Havel et à son statut de résistant, pour tout le monde et pour lui-même, à son souci du pouvoir des sans-pouvoir. Aujourd’hui, je pense qu’il y a dans tout cela une portée symbolique par rapport à l’Europe et par rapport à la République tchèque. Pour moi et pour les Tchèques, cet homme qui s’en va, c’est aussi un des grands dirigeants de ce XXe siècle qui a pu soulever des montagnes en quelque sorte. Je dirais aussi que ma présence et celle de tant de Tchèques, tant de jeunes Tchèques, a une portée et une signification très grandes parce qu’ils savent d’une manière inconsciente ou consciente que les valeurs qu’il incarnait sont très rares aujourd’hui dans la sphère politique tchèque et qu’il va manquer beaucoup. Tout le monde le sait et c’est pour ça que tout le monde est là pour dire et affirmer peut-être que ces valeurs doivent subsister quelque part. Je pense qu’il y a une grande valeur de déploration dans cette marche et peut-être d’attente de signal pour les hommes politiques en place qu’il ne faut pas succomber y compris à la mondialisation, y compris à la corruption, y compris aux puissances occultes, qu’il faut continuer à résister et pourquoi pas investir la place civique que Havel occupait. »
Pour la réalisatrice de Český rozhlas - Radio publique tchèque, Hana Kofránková, Václav Havel représente un chapitre important de sa vie. C’est ainsi qu’elle a expliqué sa présence dans le cortège :« Je n’ai pas fait mes adieux à monsieur le président à l’église Sainte-Anne dans le centre Pražská křižovatka ces deux derniers jours et je me suis dit que je devais faire quelque chose pour moi, pour mériter de l’avoir eu. (…) Il représentait pour moi toute une époque. C’était une personnalité qui a ouvert tout ce processus de démocratisation pour nous tous. Cela a commencé pour moi quand nous signions des appels répétés à sa libération de la prison communiste. C’est à ce moment-là que l’on s’est rendu compte qu’il fallait faire quelque chose. Et, en effet, il a été finalement libéré… Nous savions tous qu’il allait partir, mais c’est triste. Quelque chose est fini. »
Oui, le cortège qui accompagnait le cercueil du président de la Vieille Ville au Château de Prague symbolisait peut-être vraiment la fin d’une époque, mais pour beaucoup, comme pour cette femme anonyme qui a parlé au micro de Radio Prague, c’était aussi quelque chose de plus :« Nous voulons partager cette tristesse que nous ressentons tous sans doute. C’est certainement un rappel et une expression des idéaux que représentait Václav Havel pour nous tous qui sommes venus. (…) Pour moi, il représente surtout une profonde humanité et l’expression du fait qu’il est possible de vivre l’amour et la vérité même en politique. »
Le cortège arrivé au Château de Prague, l’hommage populaire s’est transformé en une cérémonie officielle. C’est l’armée qui s’est chargée de cette étape de la cérémonie et a transporté le cercueil déposé sur une prolonge d’artillerie jusqu’à la salle Vladislav. C’est dans cette salle historique où s’est tenue la première investiture présidentielle de Václav Havel, que le cercueil sera exposé jusqu’à vendredi, jour des obsèques nationales.