Vive émotion dans les rues de Prague après la mort de « Monsieur le Président »

Foto: Kristýna Maková

Dans la matinée, c’est encore, à Prague comme ailleurs, le quatrième dimanche de l’Avent habituel : les préparatifs pour Noël battent leur plein, les gens se pressent dans les magasins et dans les rues, des verres de vin chaud entre les mains. En début d’après-midi, après l’annonce officielle de la disparition de Václav Havel, la nouvelle fait immédiatement le tour du pays et déclenche une communion dont on est ici rarement témoin : les gens se téléphonent, s’envoient des textos, pour partager, tout simplement, leur tristesse.

En fin de journée, les habitants de toutes les grandes villes tchèques se recueillent spontanément. A 18 heures, alors que les cloches de nombreuses églises retentissent en même temps, des milliers de Pragois ont déjà rendu hommage à Václav Havel : personnes âgées, familles avec enfants, étudiants, groupes d’amis, ils viennent poser des fleurs et allumer des bougies dans le passage de l’Avenue nationale, là où se trouve le petit monument rappelant les événements de novembre 1989 et où est désormais accrochée une photo de Václav Havel. L’émotion est forte, mais les Tchèques, d’habitude timides face au micro, n’hésitent pas à se confier…

« Pour plusieurs générations, Václav Havel symbolisait le fait que personne ne doit se laisser opprimer et détruire par le régime, qu’il faut rester fidèle à soi-même, intègre et honnête. »

« Tout ce que Havel a fait est encore plus important pour mon enfant qui est là avec moi que pour moi-même. C’est tout simple : grâce à lui, nous pouvons vivre comme nous vivons aujourd’hui. Il a représenté une humilité et une honnêteté qui manquent terriblement à notre société actuelle. »

« Pour moi, Václav Havel a personnifié le changement survenu dans notre pays avec la révolution de velours. A l’automne 1989, j’assistais à toutes les manifestations et meetings sur la place Venceslas, je le voyais arriver, accompagné de gens qui veillaient à sa sécurité, et monter au balcon. Je suivais ensuite toutes ses activités et son engagement. C’est quand même mon contemporain… Même si je n’ai jamais eu la possibilité de lui parler, il m’était proche et je l’estimais beaucoup. C’est une grande perte pour moi. »

Les Pragois affluent également sur la place Venceslas, lieu traditionnel de manifestations. Au pied de la statue de leur saint patron, un jeune homme est en train de coller l’affiche du film « Občan Havel » (« Citizen Havel »), pendant que son collègue lit des extraits du célèbre entretien du journaliste Karel Hvížďala avec Václav Havel, « Interrogatoire à distance ».

Les représentants de la jeune génération, même ceux qui n’ont pas vécu la chute du rideau de fer, sont présents et visiblement touchés :

« On dit souvent que Václav Havel était un homme bien. Voilà pourquoi nous sommes venues. »

« Il était une source d’inspiration pour moi. C’était quelqu’un qui s’est battu pour la vérité. Elle représentait pour lui la principale valeur morale. Moi aussi, j’essaye de vivre dans la vérité, comme Václav Havel. C’est un triste jour pour moi, car je viens de perdre le modèle que j’ai suivi. »

Eloigné de la foule, un homme portant un béret et des lunettes se recueille. Jozef Drobný a participé, en tant que signataire de la Charte 77, aux manifestations anti-communistes, organisées en janvier 1989 à la mémoire de la mort de l’étudiant Jan Palach, et violemment réprimées par la police. Il nous confie un de ses souvenirs personnels de Václav Havel.

« C’était mon président… Nous avons tous les deux été arrêtés ici, sur la place Venceslas, pendant la Semaine Palach. Je côtoyais Václav Havel dans l’appartement de Petr Uhl et d’Anna Šabatová, dans la rue Anglická, où se rassemblaient les dissidents. Nous avons donc tous été arrêtés, je me souviens encore de Dana Němcová qui était avec nous. La police nous a rassemblés dans la rue Školská, où nous attendions l’interrogatoire avant d’être transportés dans la prison de Ruzyně. Il faisait terriblement froid, -14°C… A Ruzyně, ils m’ont jeté dehors après 48 heures de réclusion. Mais Václav Havel, lui, y est resté… C’est trop triste, je ne peux pas me remettre de cette nouvelle que j’ai apprise ce matin… »

Dès ce lundi, les Tchèques peuvent rendre hommage à Václav Havel à l’ancienne église Sainte-Anne à Prague. Ils peuvent également signer des livres de condoléances, au Château de Prague ou sur Internet.

Photos : Kristýna Maková