Le rococo praguois (1740-1791)

Photo: Musée de la ville de Prague
0:00
/
0:00

Comment vivait-on à Prague vers le milieu du XVIIIe siècle ? Quel a été l’impact des réformes de l’impératrice Marie-Thérèse et de l’empereur Joseph II sur la vie des Praguois ? Des éléments de réponse sont apportés par l’exposition « Le rococo praguois, la vie culturelle et de société 1740-1791 » qui est à voir au palais Clam-Gallas jusqu’au 22 janvier prochain. Les thèmes légers et sur la joie de vivre caractéristiques du rococo aparaissent à une période qui n’est guère facile pour les Praguois : leur vie est bouleversée par de profonds changements au niveau de l’administration, l’enseignement et l’Eglise, et plus encore par le bilan désastreux de trois occupations militaires de la ville. Ainsi, les habitations deviennent un centre de la vie des bourgeois praguois au XVIIIe siècle. Plus de 600 objets exposés illustrent le style de vie rococo. L’exposition met également en évidence l’apport de la Bohême à ce mouvement artistique européen qui a vu le jour à la cour de Louis XIV.

Photo: Musée de la ville de Prague
« Le rococo est un sentiment social, un style de vie, une certaine atmosphère par laquelle la société du milieu du XVIII siècle réagit à la réalité nouvelle, dure et impitoyable : il y a une sorte de paradoxe entre la vie qui se déroule à l’intérieur des habitations, entre leur décoration intérieure aspirant à plus de légèreté, à plus de liberté, et les catastrophes venant de l’extérieur. Prague a été plusieurs fois assiégée, plusieurs fois conquise, elle a eu à payer des contributions sanglantes, la population a connu la faim, voilà l’image du XVIIIe siècle. »

Václav Ledvinka
Ces propos sont ceux de Václav Ledvinka, directeur des Archives de la ville de Prague, l’un des auteurs de l’exposition, avec le Musée de la ville de Prague. Avec près de 600 objets, tableaux, plastiques, œuvres graphiques, porcelaine, verre, meubles, vêtements, objets d’usage quotidien, livres, etc, l’exposition nous transporte dans l’univers praguois d’il y a 250 ans : elle s’ouvre sur l’année 1740, date de l’avènement de Marie-Thérèse au trône de Bohême. Les 40 ans de son règne, de 1740 à 1780, sont marqués par un nouvel affermissement du pouvoir abolutiste centralisé des Habsbourg, et c’est le moment où le baroque qui a pris une signification politico-religieuse, évolue vers le rococo. A la lumière de ce mouvement artistique, l’exposition documente les événements historiques qui se déroulent alors à Prague, tels que les trois sièges des armées françaises et prusiennes, ou les inondations de 1784 qui ont failli emporter le pont Charles. « L’exposition est une sorte de sonde dans le style de vie des bourgeois praguois du XVIIIe siècle, » explique la commissaire, Pavla Státníková:

Photo: Musée de la ville de Prague
« Le style de vie rococo se développe après le couronnement de Marie-Thérèse et culmine avec la fin de l’occupation française de Prague survenue dans le cadre de la Guerre de Succession. Le style rococo répond avant tout à un important besoin de renouveau : il se manifeste par une aspiration à la légèreté, au raffinement, au confort ainsi qu’à la frivolité. Il est caractérisé par son asymétrie. Le rococo est un style de vie, une façon de s’habiller. Il s’exprime de manière éclatante dans la décoration intérieure, à travers les meubles élégants richement décorés et dotés de dorures, la ferronnerie, les figurines de porcelaine, les objets décoratifs non utilitaires, avec l’insertion de peintures, de fresques et de miroirs. La porcelaine et la céramique sont un élément nouveau : ils font leur apparition dans les résidences de la bourgeoise praguoise du milieu du XVIIIe siècle. Le rococo est en opposition à la période précédente, au style baroque imposant et massif de la première moitié du XVIIIe siècle. »

Pavla Státníková
Pour Pavla Státníková, le terme rococo est d’origine française : il résulte d’une association du mot français, rocaille, qui sert à désigner une ornementation inspirée des lignes contournées des rochers et des coquillages, trait caractéristique de ce style. « En France, on parle d’ailleurs plus volontiers de style rocaille, » observe Pavla Státníková, en évoquant encore une différence : « tandis qu’en Bohême, le rococo renoue avec le baroque et évolue vers le classicisme, en France, l’évolution va dans le sens inverse : le rococo supplante le classicisme. » A la question de savoir en quoi consiste l’apport concret de Prague au mouvement rococo, elle répond :

« En ce qui concerne les arts plastiques, ici à Prague, les artistes les plus représentatifs pour cette période sont le sculpteur Ignác Platzer, le peintre Norbert Grund, les frères Heger, sans oublier les objets créés par le graveur Josef Carmine. »

Le théâtre et la musique ont également leur place dans cette exposition, bien qu’il n’y ait pas à proprement parler de musique rococo. Un événement historique marque la fin du mouvement rococo en Bohême : le couronnement de Léopold II. On écoute Pavla Státníková :

Le couronnement de Léopold II
« En conclusion, l’exposition rappelle, grâce à un important fonds iconographique, le défilé de couronnement de Léopold II qui a traversé Prague. Les étendards des corporations praguoises qui ont alors défilé dans les rues de Prague fournissent un témoignage du mouvement rococo caractérisé par une légèreté et une joie de vivre d’une part, et de la fin du siècle marquée par le début des Lumières, le pragmatisme et le développement des sciences. »

Prague,  1740,  photo: Musée de la ville de Prague
La période rococo s’inscrit dans l’histoire également par une nouvelle organisation de Prague. Jusqu’en 1784, il existe quatre villes indépendantes : Staré Město – la Vieille-Ville, Nové Město - la Nouvelle-Ville, Malá Strana – le Petit Côté et Hradčany – le quartier du château. Sur décision de l’empereur Josef II, ces quatres villes seront réunies en en une seule ville royale et impériale, la capitale Prague. Une administration unique est instaurée, son siège se trouve à l’hôtel de ville de la Vieille-Ville, et elle a à sa tête le magistrat composé de bourgmestre et de conseillers élus. Et ce n’est pas le seul changement administratif, comme le complète Jaroslava Mendelová des Archives de la ville de Prague :

Prague,  1769,  photo: Archives de la ville de Prague
« Ce qui est important c’est que le premier registre du cadastre a vu le jour sous le règne de Marie-Thérèse. Il s’agissait d’une sorte de recensement de la population et des maisons à des fins fiscales. Ce qui est aussi très intéressant, c’est qu’en 1770 les maisons praguoises ont pour la première fois été numérotées. Les réformes menées par Joseph II ont marqué la fin de l’autogestion praguoise en place jusqu’en 1784. Les conseillers du magistrat nouvellement créé se recrutaient chez des fonctionnaires expérimentés, ils devaient passer toute sorte d’examens et posséder une formation juridique. »

Jean Nepomucène,  photo: Musée de la ville de Prague
L’exposition présente également les objets de culte. Après l’abolition des couvents et l’interdition des ordres religieux par Joseph II, la position de l’Eglise a été confortée par la canonisation de saint Jean Nepomucène. L’événement a inspiré de nombreux artistes de l’époque. On peut y admirer aussi la reconstitution des bibliothèques qui font partie intégrante des demeures des bourgeois, mais aussi d’artisans praguois. Le catholicisme, qui devient religion d’Etat, réduit toutefois l’offre de livres. Si avant la Montagne blanche, un ménage bourgeois sur deux possède une bibliothèque, à la fin du XVIII siècle, ce n’est plus qu’un sur dix. Quels sont les plus beaux objets exposés ? Jaroslava Mendlová :

Photo: CTK
« Parmi les plus beaux objets exposés figurent les armoiries et les actes par lesquels sont reconnus les privilèges des corporations, dont les jardiniers ou les cordonniers. Les armoiries en miniature de bourgeois praguois sont aussi d’un grand intérêt. Un objet très précieux à noter : la collection d’esquisses de l’architecte Josef Jäger qui est venu à Prague du Tyrol dans les années 1750. »

Le palais Golz-Kinski
Josef Jäger est entre autres l’auteur des remaniements rococo de nombreux palais de Malá Strana. Le rococo n’a pas laissé de trace profonde sur l’architecture de Prague. Il s’agit plutôt d’éléments extérieurs et de décorations rococo. C’est le cas notamment du palais Golz-Kinski sur la place de la Vieille-Ville et du palais Archiépiscopal situé près du château de Prague.