Une littérature née dans l'isolement

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Le palais Clam-Gallas, un des plus beaux édifices baroques de Prague, abrite ces jours-ci une exposition consacrée à la littérature tchèque de langue allemande des premières décennies du XXe siècle. L'objectif de cette exposition internationale préparée par un groupe d'auteurs est de montrer l'aspect visuel de ce grand chapitre de la littérature européenne.

Vaclav Ledvinka
J'ai demandé plus de précisions au directeur des Archives de Prague, Vaclav Ledvinka.

« Il s'agit d'abord d'un collectif de membres de la Fondation Gerhard Hauptmann de Düsseldorf, de professeurs de l'Université de Wuppertahl et bien sûr des germanisants de l'Université Charles de Prague, notamment du professeur Kurt Krolop, qui réalisent un grand projet de recherches concernant la littérature tchèque de langue allemande. En préparant une espèce de dictionnaire des auteurs tchèques de langue allemande et de leurs oeuvres, ces chercheurs se sont rendus compte qu'il serait utile de montrer aussi l'aspect visuel de cette littérature. En étudiant ces écrivains, ils voyaient que leurs livres avaient aussi une grande valeur typographique et graphique et désiraient le montrer au public. »

Le visiteur de l'exposition peut donc voir deux centaines d'objets, livres, reliures, pochettes et illustrations de livre créés à partir de 1900 jusqu'au début de la Deuxième Guerre mondiale, mais aussi une collection d'affiches d'époque évoquant la création littéraire et théâtrale de cette période.

« Ce sont les oeuvres de valeur, car ces livres et ses affiches reflétaient l'évolution des arts et les changements de styles, de l'impressionnisme et de l'Art nouveau, en passant par le cubisme jusqu'aux mouvements expressionnistes et modernistes de l'entre-deux-guerres. Ces livres et ces affiches sont souvent des oeuvres d'artistes importants de la communauté allemande de Prague. »


En 1848 Prague n'a que 120 000 habitants dont la moitié est germanophone. En 1900, le nombre des habitants de la ville atteint déjà près de 400 000 dont seulement 6 % parlent allemand. On constate donc un important recul de la population germanophone. Ceux qui parlent allemand se sentent bientôt isolés. Pourtant, la culture allemande est toujours présente. Géographiquement, la minorité allemande occupe le centre de la cité. Socialement, elle est composée de commerçants, de professeurs, d'officiers, de fonctionnaires. Près de la moitié de ses membres sont d'origine juive, car 90 % des enfants de familles juives, avant la Première Guerre mondiale, fréquentent les écoles allemandes.

Cette culture insulaire dans le milieu tchèque n'en est pas moins importante au niveau européen. Prague n'est pas une très grande ville et pourtant les Pragois germanophones ont à leur disposition deux théâtres, une salle de concert, des maisons d'éditions, des journaux. Parmi les trois quotidiens la place de choix appartient au Bohemia qui a su réunir les journalistes de qualité.


C'est à partir de la fin du XIXe siècle qu'on peut constater aussi un essor des activités littéraires de la minorité allemande. Vaclav Ledvinka :

« La littérature pragoise de langue allemande, est considérée, depuis quelque quarante années déjà, comme un phénomène de la littérature mondiale. Franz Kafka, Franz Werfel, Reiner Maria Rilke sont les auteurs que tout le monde connaît, ce qui ne veut pas dire que tout le monde les lit. L'exposition présente donc l'aspect des premières éditions de leurs livres, mais elle démontre aussi qu'il n'y avait pas que ces auteurs célèbres, mais qu'ils étaient entourés de toute une pléiade d'écrivains moins connus ou d'une renommé régionale.

Les auteurs de l'exposition se proposent de démontrer que ces auteurs n'écrivaient pas seulement à Prague, mais aussi dans les régions frontalières de Bohême et cette culture littéraire était très importante en Moravie, dans les villes de Brno et d'Olomouc, pour être concret. »

Leur situation n'était pas simple et ils se sentaient souvent isolés dans la majorité tchèque. Au début du XXe siècle, le climat à Prague s'alourdissait d'ailleurs de plus en plus par la montée du nationalisme et l'animosité tchéco-allemande. On en vient à se demander quel a été l'influence de ses auteurs sur les écrivains et les lecteurs tchèques.

Vaclav Ledvinka: « Certains de ces auteurs étaient très connus à l'époque dans le milieu culturel tchèque, par exemple Franz Werfel, Max Brod, Reiner Maria Rilke. Mais, à l'époque, pratiquement personne ne connaissait Franz Kafka qui est aujourd'hui le plus célèbre de tous ces auteurs et presque personne ne lisait ces oeuvres. Ce qui est caractéristique pour cette littérature c'est cette sensation de vivre dans un ghetto, dans un isolement. La minorité allemande diminuait, l'élément tchèque prenant de plus en plus d'importance et le nationalisme s'exaspérant notamment après 1900, les cultures allemande et tchèque existaient l'une à côté de l'autre comme deux mondes isolés. Seules quelques personnalités entretenaient des contacts tchéco-allemands, comme par exemple Werfel et Brod avec les écrivains tchèques réunis autour de la Revue moderne. Certains peintres et graphistes allemands comme Orlik et Teschner travaillaient aussi pour les clients tchèques, mais on peut dire que le nationalisme a dressé entre les deux camps de puissantes barrières. »

L'exposition de littérature tchèque de langue allemande sera ouverte jusqu'au 15 septembre.